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« En 86, je voulais défoncer le gardien brésilien ! »

Propos recueillis par Alexandre Doskov
12 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>En 86, je voulais défoncer le gardien brésilien !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le psychodrame de 1982, le chef-d’œuvre de 1984, l'aventure de 1986... En traversant les 80's avec le maillot Bleu, Bruno Bellone s'est offert quelques beaux souvenirs, et s'est même permis de donner un coup de main en offrant un Euro à la France. Premier acte de l'entretien avec « Lucky Luke », un retour sur ces années folles qui sent bon les accidents de car, les gardiens terrassés et l'amitié entre joueurs de ballon.

Quels souvenirs gardez-vous de l’Euro 84 en France ?C’est vrai que ça date… En 1984, on sortait d’une super Coupe du monde, donc on était vachement attendu. On était donné favoris. C’était compliqué parce qu’on avait la pression des médias, et tous les jours, on devait passer pratiquement une heure et demie avec les médias pour parler des matchs, de l’Euro…

Le chauffeur est arrivé au stade en sang. Je lui ai dit « Merci ! Tu nous a sauvés, toi ! »

En finale, vous êtes l’homme qui a donné l’avantage définitif à la France en 1984 face à l’Espagne. Et pourtant, vous apprenez que vous êtes titulaire juste avant la rencontre.En définitive, je joue la finale parce que j’ai la chance d’entrer en prolongation contre le Portugal en demi-finale, à Marseille. On était menés 2-1 quand je suis entré, et trois ou quatre minutes après, Domergue égalise. Après, on a cette fameuse action de Jean Tigana qui accélère, et on se demande où il est allé prendre cette énergie ! Il est parti du centre, il a accéléré, il est parti sur le côté droit et puis il a eu cette lucidité de centrer en retrait sur Michel Platini. Et Michel, comme le joueur qu’on connaît, ne s’est pas affolé. Il a contrôlé, et il place bien le ballon en hauteur.


Ce qui est fou, c’est que toute l’équipe de France avait failli mourir avant cette demi-finale. Racontez-nous l’histoire.Avec le bus, on allait jouer notre demi-finale contre le Portugal à Marseille, au stade Vélodrome. On a pris une route nationale, pour ne pas être encombré. Et là, un autre bus arrive en face. Tu te dis : « Putain, mais il ne passe pas, lui ! » , il y a un ravin de dix mètres sur le côté donc si on tombe, le match, on ne le joue jamais. L’autre, il nous chope par le rétro, il tape dans la vitre, tout pète ! Et là, avec Jean Tigana, on était juste derrière le chauffeur, et le mec il n’a pas bronché. Il était en sang, il avait pris tous les éclats de verre, et il n’a pas bougé. L’autre gars, il ne s’est pas arrêté, il a continué ! Sans pitié. En plus, on avait les motards et tout devant. Et Tigana, il était blanc. Il m’a regardé, et il m’a dit : « On ne perd plus. On a failli mourir, on ne perd plus. » Il n’y avait plus un bruit. Le chauffeur, il est arrivé au stade en sang. Je lui ai dit : « Merci ! Tu nous a sauvés, toi ! » Il ne bronchait pas, ça m’a choqué.

Durant cette compétition, Platini était en état de grâce. Ça fait quoi de jouer avec quelqu’un qui marche sur l’eau ?Il a marqué 9 buts ! C’est pour ça que je rigole toujours, parce qu’il me dit souvent : « J’aurais préféré marquer le tien de but. » Moi, je lui dis : « J’aurais préféré marquer les 9 buts ! »

Surtout que son but en finale, c’est le coup franc le plus laid de sa carrière !Oui, ça l’a fait chier ! Qu’on ne se souvienne que de ce but. Il me dit : « J’en ai marqué 9, on ne se rappelle que de celui de Arconada. » Mais il compte, quand même, même si c’est un but pourri ! C’est le gardien qui fait la connerie, c’est pas lui.

Et Arconada, lorsque vous arrivez face à lui en toute fin de match, dans les arrêts de jeu, vous le sentez déstabilisé depuis sa boulette ou il s’était re-concentré entre-temps ?Ha non, pas du tout, il s’est remis assez rapidement. Sur cette action, je me rappelle, il ne bouge pas. Il bloque le côté du but, et il me met un peu dans l’embarras parce que je ne sais pas quoi faire. Jusqu’à la dernière seconde, je ne sais pas quoi faire ! Je pensais frapper fort sur le côté, frapper fort sur lui, ou carrément tuer un spectateur pour gagner du temps, parce qu’on jouait à 10 ! Et au dernier moment, je me suis dit : « Je la pique » , parce qu’il ne bougeait pas. Lui dans sa tête, je suis sûr qu’il s’est dit : « Il va me mettre une pastille, il va m’allumer. »

Vous étiez déjà dans le groupe pour la Coupe du monde 82, mais vous n’aviez disputé qu’un seul match.Je joue le match pour la 3e place, contre la Pologne. C’était pas un cadeau, hein ! Vu les joueurs qu’il y avait, Grzegorz Lato… Ils avaient une équipe de fou, Boniek… Un truc de malade, ils allaient à 2000 à l’heure, et c’est dommage. On perd, mais on fait un bon match. Mais on avait plein de blessés, et il y a des joueurs qui n’avaient pas voulu jouer parce qu’ils étaient écœurés par la demi-finale contre les Allemands.

Et après, ce qui a été terrible, c’est dans le vestiaire. Tu as plein de joueurs qui se mettent à pleurer, et je les comprends parce que la plupart arrêtaient leur carrière. C’était leur dernière Coupe du monde, et c’est horrible.

Cette demi-finale, ce traumatisme, comment on le vit lorsqu’on est dans l’équipe, sur le côté du terrain, et qu’on vit sa première Coupe du monde à 20 ans comme vous à l’époque ?C’est simple, sur le banc, quand on mène 3-1, je me dis : « Ça y est, première fois que je suis en Coupe du monde, je vais jouer la finale. » Il y avait des joueurs blessés, je me disais même que je serais peut-être titulaire… Avec ceux qui étaient avec moi sur le banc, on s’est dit qu’on allait en finale, que c’était énorme, magnifique. J’avais 20 ans, alors une finale de Coupe du monde, en plus contre l’Italie… Et puis le 3-2, le 3-3… Et encore, aux penaltys, on peut encore y aller. Si Didier Six marque, c’est fini. C’est terrible. Et après, ce qui a été terrible, c’est dans le vestiaire. Tu as plein de joueurs qui se mettent à pleurer, et je les comprends parce que la plupart arrêtaient leur carrière. C’était leur dernière Coupe du monde, et c’est horrible. Moi, j’avais 20 ans, j’étais là, je ne pleurais pas parce que je me disais que j’allais peut-être en faire une autre.

Vous avez marqué votre premier but en Bleu très jeune, en 1981, et on vous présente alors comme un grand buteur en puissance. Pourtant, vous avez beaucoup marqué en club, mais très peu en sélection, pourquoi ?En équipe de France, tout passait par le milieu. Nous devant, on faisait surtout le passage. On écartait, on faisait les appels pour que les autres puissent s’infiltrer. C’est pour ça qu’on ne marquait pas souvent, on servait surtout de relais et de centreurs. À l’époque, j’étais ailier gauche, on jouait avec deux attaquants et on avait quatre milieux, mais c’étaient des phénomènes. N’importe lequel pouvait marquer des buts, Giresse, Platini, Tigana… J’ai joué avec des joueurs magnifiques.

Lors de ces grandes épopées de l’équipe de France, on s’imagine toujours les Bleus comme un groupe soudé, presque comme une famille. Alors qu’en 98 par exemple, il y avait des clans dans le vestiaire. L’équipe de 84, c’était quel genre ?J’ai toujours dit qu’on avait une équipe et un groupe magnifiques. Ce qui était sympa, c’est qu’il n’y avait pas de clans, il n’y avait pas le groupe des plus âgés, des moins âgés, on était tous ensemble. J’avais 22 ans et je pouvais être avec Michel Platini, Tigana, Trésor… J’étais bien, quoi !

Vous êtes toujours en contact avec eux ?Tout à fait, j’ai eu Platini il y a même pas une semaine au téléphone. Jean Tigana je l’ai souvent, Giresse aussi, Genghini il a fait un article où il a dit du bien de moi. Ça fait vraiment plaisir d’avoir des amis comme ça, on est restés vraiment unis, tous.

Quand vous discutez avec Platini, vous parlez de sa situation ? Vous en pensez quoi de tout ce qu’il lui arrive ?Oui, je parle de sa situation parce que je le connais. J’ai partagé huit ans en équipe de France avec lui, je sais comment il est, et comme je lui ai dit, « Moi, je sais que tu n’as rien fait » . Je pense que ce qu’il s’est passé, pour moi, c’est ma façon de voir les choses, je pense qu’on l’a un peu écarté parce que, si demain, il est président de la FIFA, il n’y aura plus de magouilles. Je pense que c’est plutôt dans ce sens-là qu’il faut le voir. Là, sa condamnation a été réduite de deux ans, et il va prouver qu’il est innocent de toute façon. Il me l’a dit. Il est à fond la caisse, il va démontrer qu’il n’a rien fait.

On a beaucoup parlé de la génération 98, et du poids qu’elle a sur le football français. C’est presque un lobby, qui a parfois mis la pression sur les Bleus qui leur ont succédé. Il y a moins eu cet effet avec la génération 84, pourquoi ?Je comprends ce que tu veux dire, mais on a eu ça, nous ! On a eu cette euphorie. Quand on est champions d’Europe, on était invités à plein d’événements par des sociétés. À manger avec eux, en VIP, et tout ça. Et dès qu’ils ont été champions du monde, c’était fini ! (Rires) C’est la loi du plus fort, malheureusement c’est comme ça ! Après, on est passés inaperçu. Mais ceux de 98 nous respectaient énormément, moi j’ai rien à dire sur ceux de 98, quand on les croisait, il n’y a jamais eu ce problème de « On est champions du monde, vous êtes champions d’Europe » . Je pense plus à la génération de maintenant, ça pèse pour eux parce qu’ils n’ont rien prouvé, ils n’ont rien fait. Nous, on a ouvert la voie, c’est quand même le premier titre de l’équipe de France.

Lorsque vous faites votre jubilé à Cannes en 1999, dix ans après votre retraite, vous réunissez un casting exceptionnel, et les deux générations. Zidane et les gars de 98, ceux de 84, mais aussi des gens comme Roger Milla… Pourquoi sont-ils tous venus ?C’est affolant. 86 joueurs, le gratin. Je suis très ami avec tous, avec les frères Cantona, avec tout le monde. Thierry Henry était là, la Juve lui avait interdit de venir, et il était venu quand même en voiture. Il n’avait pas joué, il était resté sur le banc, mais j’ai trouvé ça génial. Il n’y a que Platini qui n’a pas pu venir parce qu’il avait une grande réunion avec l’UEFA, mais il devait venir aussi. Ça prouvait que le football était quand même une famille, on était solidaires. Surtout que c’était un moment où il fallait qu’on m’aide.

Au départ, je voulais le tirer tranquille, mais il m’a tellement mis la haine, ce type, que j’ai décidé que je frapperais fort, pour lui attraper la tête. Et elle tape le poteau, derrière sa tête, et elle rentre.

On va parler un peu du quart de finale du Mondial 1986 contre le Brésil. L’un des moments oubliés du match, c’est cette faute flagrante que fait le gardien sur vous, et rien n’est sifflé. On voit que vous luttez pour rester debout, il n’aurait pas mieux valu tomber ?

Ha oui oui oui… Je me retrouve avec des béquilles après ce match, il m’a massacré. Et je vois le ballon, et je pense que je vais l’avoir, mais ce n’est qu’une illusion, je suis tellement déséquilibré… L’arbitre n’a rien fait, et sur l’action, on a failli s’en prendre un derrière. Et ça a gueulé, Platini va voir l’arbitre. C’était compliqué ce match, il n’y avait que des Brésiliens dans le stade, et on tirait les penaltys de leur côté, je te dis pas !

Oui, c’est l’autre moment mythique de votre carrière, ce penalty qui finit par rentrer en rebondissant sur le poteau, puis derrière le gardien. Vous lui en vouliez en arrivant face à lui ?

Je n’étais pas prévu, j’étais remplaçant, et Henri Michel me dit que je suis obligé de tirer, qu’il n’y a personne. Merci, sympa ! Et quand tu es dans le rond central et que tu vas tirer alors qu’il y a 20 000 personnes derrière les buts, tu te dis « Hou putain, si je le loupe, je suis mort ! » Et Carlos, le gardien, il vient vers moi et il postillonne. Il me met la haine, c’est grâce à lui que je marque, parce que j’avais les jambes en coton quand je suis arrivé. Ça fait loin, quand tu pars du rond central pour aller au point de penalty ! Je peux te dire que tu as tout qui arrive, tu te dis : « Mais qu’est-ce que je fous là ? » Quand je pose le ballon, l’autre parle avec Zico qui avait tiré avant moi, il lui disait : « Il va tirer là » , il faisait des conneries pour me faire chier. Je me suis dit : « Toi, je vais tirer tellement fort que je vais t’arracher la tête. » Et il part du bon côté ! Et ce gardien, dans l’émission de Charles Biétry, il dit de moi : « Il avait un regard, il voulait me tuer. » Et il avait raison, je voulais le défoncer ! Au départ, je voulais le tirer tranquille, mais il m’a tellement mis la haine, ce type, que j’ai décidé que je frapperais fort, pour lui attraper la tête. Et elle tape le poteau, derrière sa tête, et elle rentre. Et je suis passé devant, je lui ai fait : « Tieeeeeeeens ! » Il avait qu’à pas me chercher ! Après, j’ai eu du cul aussi (rires).

Presque tous les joueurs de 84 jouaient dans des clubs français, et ont mené des carrières exclusivement en France. Aujourd’hui, les jeunes partent loin très tôt, pourquoi selon vous ?Nous, à l’époque, on avait la loi Bosman. On n’avait pas le droit d’aller jouer à l’étranger et on était obligés d’aller au bout de notre contrat. En 84, j’ai l’Inter Milan qui fait appel à moi. Mais Monaco n’avait pas besoin d’argent, donc ils ne m’ont pas vendu. Ensuite, j’aurais pu signer deux fois à Marseille, mais ça a été refusé aussi. On a un peu les boules. Aujourd’hui, au bout de 6 mois, le mec peut partir.

Mais vous-même, vous avez dit un jour que vous aviez eu « trop, trop vite, presque trop facilement » . Vous faisiez référence à quoi ? C’est allé très vite, je n’ai pas eu le temps d’apprécier. Je suis arrivé, j’ai joué en pro, j’ai été champion, j’ai gagné la Coupe de France, champion d’Europe… J’ai tout gagné. Laissez-moi apprécier ! Je n’ai pas eu le temps de me poser, de me dire : « Putain, j’ai gagné ! » Quand tu as affaire à des joueurs plus âgés, ils te disent d’apprécier tous ces grands moments. Mais le problème, c’est que tu n’as pas le temps.

Pourtant, votre premier salaire à Monaco était très faible, 350 francs par mois. On est loin du cliché du jeune footballeur qui a tout et tout de suite.Ha oui, là, tu achètes un jean et tu vas au cinéma, et t’es mort ! Tu ne peux même pas inviter une gonzesse ! Mais à l’époque, en 1977, 1978, 350 francs, c’était pas mal. Je ne sais pas ce que ça pourrait représenter aujourd’hui. Mais bon, à Monaco ça faisait cher. J’aurais été à Auxerre ou à Nantes, je m’en sortais avec 350 francs. Alors qu’à Monaco… On adorait le cinéma, puis on allait boire un coup sur le port, et t’as plus de sous !

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