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Droits télé, un devoir d’État ?
Le président de la République ne s’intéresse pas au foot que lorsqu’il serre vigoureusement la main de Kylian Mbappé. En effet, en marge du dîner de gala en l’honneur de l’émir du Qatar, il n’a pas été question que du drame de Gaza. Les droits télé semblaient aussi largement occuper l’esprit du chef de l’État.
Le ballon rond occupe une place singulière dans les relations entre la France et le Qatar (QSI possède le PSG, et le Qatar utilise grandement le sport dans son soft power). Or l’Émirat a peu goûté les critiques, pourtant ultra-minoritaires dans la sphère politique, formulées depuis l’Hexagone envers sa Coupe du monde. Les tensions, autour du Parc des Princes, entre la maire de Paris, Anne Hidalgo, et Nasser al-Khelaïfi, par ailleurs ministre sans portefeuille au pays, constituent une autre source de crispation. Mais apparemment, le climat diplomatique est revenu malgré tout au beau fixe désormais. L’Émirat a promis d’investir beaucoup d’argent dans l’économie tricolore, une bonne raison d’oublier tout ce qui fâche inutilement, comme les droits des humains.
Et parmi les nombreux dossiers posés sur la table, les droits télé que tente de négocier au mieux la LFP. Le journal L’Équipe rapporte ces propos fort instructifs d’« une source proche du gouvernement » : « Pour le football, comme pour d’autres secteurs, le président se veut le VRP des intérêts français. Quand il peut aider, quand il faut prendre son téléphone, donner de sa personne, il répond présent. Il n’a pas attendu l’appel d’offres pour se soucier du football français. Mais depuis plusieurs mois, il se montre disponible s’il faut se manifester auprès de tel ou tel. Il l’a fait aussi auprès des Qataris en disant toute l’importance que l’on y attache. »
Un cours de Macron-économie
Le football était donc bel et bien au menu de la rencontre au sommet entre la France et le Qatar à l’Élysée. Certes, le capitaine des Bleus a débarqué en grande pompe, une présence dont la principale vocation restait essentiellement de redorer le lustre faiblissant de Jupiter, plus que de tenter une dernière danse du ventre pour le faire prolonger au PSG. Plus sérieusement, Emmanuel Macron interviendrait directement dans les négociations afin de convaincre beIN de réaliser les rêves de grandeur de Vincent Labrune, qui dorénavant avoisinent les 900 millions d’euros de droits télé, le président de la LFP étant aussi présent à la petite sauterie. Rien de nouveau là-dedans : depuis longtemps, la LFP développe une vision très colbertiste du capitalisme. Le moins d’impôts possible, mais l’État doit débarquer en sauveur en cas de pépins (ou d’incompétence notoire). En 2010, Nicolas Sarkozy avait subi un lobbying intense de la part de Frédéric Thiriez, toujours sous le choc de la suppression du DIC (droit à l’image collectif). Le président alors en fonction aurait même réfléchi à imposer un prix plancher à Canal+, une option qui se heurtait à trop d’obstacles juridiques. Récemment, il était revenu, en vain, dans la valse des discussions…
Emmanuel Macron a lui aussi toujours suivi cette délicate question. Les droits télé demeurent le nerf de la guerre du foot pro. Il jugea notamment sur RMC en juin 2021 que « le contrat signé avec Mediapro était une erreur ». Fine analyse, l’ENA apprend au moins à compter… Il expliquait même que les clubs devaient sortir de leur dépendance envers cette manne financière trop exclusive. Toutefois, le temps passe, et désormais, le président de la République veut prouver qu’il pèse encore, en particulier sur son terrain de prédilection, la diplomatie. De son côté, la LFP n’a guère d’autres recours. Elle peut difficilement miser sur l’aura d’un championnat décevant sportivement, dont les clubs sont largués au niveau européen, et qui sera bientôt privé du prodige de Bondy. Une situation qui éclaire peut-être la petite pique adressée par Emmanuel Macron au capitaine des Bleus : « Vous allez encore nous créer des ennuis ! »
Un enjeu plus large que la diffusion d’un Brest-Montpellier
De fait, le chef de l’État se retrouve au cœur d’un jeu complexe à plusieurs bandes. La LFP doit impérativement approcher les 900 millions afin de compenser au mieux le deal calamiteux avec CVC, qu’il va falloir payer rubis sur l’ongle. Le PSG a besoin d’une Ligue 1 un minimum compétitive, donc économiquement protégée. Et au milieu Canal+, avec ses envies de revanche et l’annonce de Maxime Saada de se retirer des négociations, qui désire certainement compliquer la vie de la ligue et de beIN Sport. Sans oublier Vincent Bolloré, qui espère voir prochainement une tête blonde prendre la place d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Enfin, si le Qatar rend ce service au foot français et à la France, que demandera-t-il en retour ? Faut-il maintenir les illusions de la Ligue 1 sur son niveau ou son statut au détriment de l’indépendance nationale ? Une question à laquelle Emmanuel Macron a en partie répondu.
Par Nicolas Kssis-Martov