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Emiliano Martínez : l’Emi public numéro un

Par Alexandre Aflalo et Chad Akoum
Emiliano Martínez : l’Emi public numéro un

Grand artisan de la conquête de la 14e FA Cup d’Arsenal, qui retrouve ce samedi Liverpool pour le Community Shield, Emiliano Martínez a su faire chauffer les gants en fin de saison dernière au moment d’assurer l’intérim de Bernd Leno. Le gardien argentin de 27 ans, arrivé à Arsenal en 2010, savoure enfin son heure de gloire avec son club formateur et, surtout, se pose en sérieux concurrent de l’Allemand pour le poste de numéro un cette saison. Un casse-tête pour Mikel Arteta, mais un aboutissement pour cette grande carcasse à la main ferme et au cœur d’or. Portrait.

29/08/2020 à 17h30
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Adossé à l’écran publicitaire au bord du terrain, téléphone à la main, écouteurs vissés dans les oreilles, Emiliano Martínez ne peut pas s’empêcher de sourire. Ni de pleurer, intarissablement. Nous sommes le 1er août 2020 et, depuis l’ultime coup de sifflet de cette finale de FA Cup remportée face à Chelsea, le gardien d’Arsenal ne fait que ça, pleurer. Il faut dire qu’il l’a attendu, ce moment : même s’il est encore perçu comme un jeune gardien, cela fait déjà dix ans qu’il a quitté son Argentine natale en y laissant sa famille pour rejoindre Arsenal et tenter de réussir dans le football. Dix ans à évoluer dans l’ombre d’autres gardiens et à enchaîner les prêts, qui ont abouti à cette fin de saison et ce trophée si précieux. Chez les supporters des Gunners, sur les réseaux sociaux, l’histoire de cet enfant du club à la trajectoire singulière émeut. Mais ce n’est pas pour les pluies de louanges et de soutiens qu’Emi a les yeux rivés sur son téléphone : à l’autre bout du fil, à l’autre bout du monde, c’est avec sa famille, celle qu’il a laissée en Argentine et qui n’a pas pu venir à Wembley, qu’il veut partager ce moment de joie. Et les larmes qu’il essuie frénétiquement sont des larmes de bonheur.

En début de saison, chaque joueur fait des tests physiques pour mesurer notamment la vitesse, la puissance. Les résultats d’Emi étaient hors du commun. À tel point que j’avais demandé à Shad Forsythe, notre physio qui travaille aussi avec l’équipe d’Allemagne, de les comparer avec ceux de Manuel Neuer. Dans certaines catégories, notamment en puissance, Emi était devant.

« Dans certaines catégories, il était devant Neuer »

« C’est un Argentin qui ne lâche rien » : les célèbres paroles des supporters nantais dédiées au regretté Emiliano Sala colleraient à la perfection au parcours du gardien d’Arsenal. L’histoire de Damián Emiliano Martínez Romero est une success story qui a mis du temps à s’écrire, et dont l’encre est faite de persévérance. Elle commence à l’été 2010 quand, après l’avoir vu évoluer avec l’équipe d’Argentine des moins de 17 ans, les Gunners décident de le recruter. Pour le gamin de Mar del Plata, ville côtière de 600 000 âmes dans la province de Buenos Aires, à 400 kilomètres de la capitale, le grand départ a des allures de saut dans le vide : « À l’époque, je vivais à Buenos Aires et jouais pour l’Independiente, je ne voyais ma famille que deux fois par mois, racontait-il juste après le match contre Chelsea. Ils n’avaient pas les moyens de payer l’essence pour venir me voir. Donc, quand Arsenal a proposé de m’acheter, j’ai dû être courageux et j’ai dit oui à mes parents. » Il ne parle pas un mot d’anglais, mais ne réfléchit pas à deux fois au moment de traverser l’Atlantique pour saisir l’opportunité de rejoindre Arsenal et son grand entraîneur, Arsène Wenger : « Dès ses premiers jours à Arsenal, j’ai senti dans sa manière d’être et de se comporter qu’il serait un gars fiable sur le long terme, se rappelle l’Alsacien. Il avait confiance en lui, il était décidé, et avait surtout une détermination sans failles. Il était prêt à tout pour s’en sortir coûte que coûte. Quitter ses terres natales à l’âge de 17 ans demande énormément de sacrifices personnels et beaucoup de courage. » Solide dans la tête donc, il l’est aussi sur le terrain : dès ses premiers jours avec la réserve d’Arsenal, son imposant mètre quatre-vingt-treize impressionne. « En début de saison, chaque joueur fait des tests physiques pour mesurer notamment la vitesse, la puissance, se souvient Gerry Peyton, entraîneur des gardiens d’Arsenal entre 2003 et 2018. Les résultats d’Emi étaient hors du commun. À tel point que j’avais demandé à Shad Forsythe, notre physio qui travaille aussi avec l’équipe d’Allemagne, de les comparer avec ceux de Manuel Neuer. Dans certaines catégories, notamment en puissance, Emi était devant. Et Neuer est l’un des gardiens les plus puissants que j’ai vus. »

Quand j’avais besoin d’un joueur de champ supplémentaire à l’entraînement, je n’hésitais pas à faire appel à Emi. Il avait une telle vision du jeu qu’il se fondait dans la masse des autres joueurs. Il savait presser comme nos autres défenseurs, savait bien se démarquer et possédait même un bon jeu de tête !

« Dès le départ, il avait les qualités que l’on recherche chez un jeune gardien : une forte personnalité, une carrure imposante, très rapide pour sa taille, avec une bonne lecture du jeu et une bonne technique, résume Neil Banfield, son premier entraîneur chez les jeunes d’Arsenal. Tous les gardiens dans l’équipe réserve étaient bons, mais Emi se démarquait par la puissance. » S’il ne peut pas disputer de match officiel avant ses 18 ans (car il ne disposait pas d’un passeport européen), ses attributs lui permettent quand même de régulièrement s’incruster dans le groupe professionnel. Là, ses qualités sont mises au défi d’excellents portiers : lors de sa première saison, il s’entraîne avec les vétérans Jens Lehmann (40 ans à l’époque) et Manuel Almunia (35), et les jeunes Łukasz Fabiański (25), Vito Mannone (22) et Wojciech Szczęsny (20). Un terrain fertile pour l’Argentin. « J’ai toujours développé mes jeunes gardiens en les faisant s’entraîner avec ceux de l’équipe première, explique Gerry Peyton. Tu observes leur technique, leur comportement, et ça déclenche quelque chose en toi. Je faisais venir Emi au moins deux fois par semaine. » Laurent Koscielny, son ancien coéquipier à Arsenal, se souvient d’un gamin « respectueux, qui a toujours eu une bonne entente avec tous ses coéquipiers, qui connaissait son rôle au club. Il a toujours été dans l’ombre du numéro 1, mais sans jamais faire de bruit et toujours en travaillant à fond, et en se donnant au maximum à chaque entraînement. » Quitte à verser dans le dépassement de fonctions. « Quand j’avais besoin d’un joueur de champ supplémentaire à l’entraînement, je n’hésitais pas à faire appel à Emi, se rappelle Wenger. Il avait une telle vision du jeu qu’il se fondait dans la masse des autres joueurs. Il savait presser comme nos autres défenseurs, savait bien se démarquer et possédait même un bon jeu de tête ! » En 2012 finalement, après deux ans à jongler entre la réserve et l’équipe première, il signe pro et goûte à ses premières minutes de jeu avec les Gunners. Pas grand-chose : Szczęsny, Fabiański et Mannone, qui se partagent alors les cages londoniennes, ne lui laissent que deux petits matchs de Coupe de la Ligue anglaise à grignoter. Suffisant pour marquer les esprits : son deuxième match sous les couleurs d’Arsenal ? Un 7-5 mémorable contre Reading, que les Gunners ont remporté après avoir été menés 4-0 en première période. « Je suis passé par toutes les émotions ce soir-là, alors imaginez Emi, déroule Arsène Wenger. C’est ce qui s’appelle débuter sur des chapeaux de roue. Même lors de ce match-là, il n’a pas déçu, alors qu’il y a eu 12 buts au total. Il a su se remettre en question, haranguer ses coéquipiers quand il le fallait. »

Joker médical, vaines promesses et tranches de citron

Conscients du talent et du potentiel de leur poulain, Arsène Wenger et son staff décident alors d’envoyer Martínez s’aguerrir en prêt. Ce qui devait être un parcours initiatique se transforme en chemin de croix : de 2013 à 2019, il est envoyé dans cinq clubs différents, alternant entre belles promesses et grosses galères. En octobre 2013, il part une première fois en catastrophe pour un prêt de 28 jours à Sheffield Wednesday (D2), en tant que joker médical. Son prêt sera finalement étendu jusqu’à la fin de la saison, et il jouera en tout une petite quinzaine de matchs. Il passe ensuite le plus gros de la saison 2014-2015 à Arsenal, où il fait ses débuts en Ligue des champions et en Premier League, puis en mars 2015 rebelote : il est prêté, de nouveau en tant que joker médical, à Rotherham, 20e de Championship. C’est là sa première chance de véritablement se montrer, et il ne se loupe pas : à huit matchs de la fin de la saison, dans un club menacé de relégation, son arrivée est un immense bol d’air. « C’était quelqu’un de chaleureux, calme, très humble, se souvient Andy Dibble, l’ancien entraîneur des gardiens des Millers. Sa personnalité a complètement déteint sur notre ligne défensive, ils l’ont immédiatement adopté. Sa communication et son sens de l’organisation étaient excellents. » Gerry Peyton, qui suivait attentivement l’évolution de son petit même lors de ses prêts, se souvient particulièrement de celui-ci : « L’entraîneur là-bas était très agressif, limite violent. Il n’arrêtait pas de hurler sur ses défenseurs, alors j’avais conseillé à Emi de faire l’inverse : leur parler, les féliciter, les encourager. Son attitude et son autorité ont complètement métamorphosé la défense. C’est un garçon très sensible, mais il sait aussi montrer les dents et faire preuve d’autorité, ce qui est indispensable pour un gardien. »

En 2015, alors que Petr Čech arrive à Arsenal, Martínez est une nouvelle fois prêté, cette fois-ci à Wolverhampton (à l’époque en D2). Chez les Wolves, il démarre la saison en tant que titulaire, avant d’être embêté par des blessures et de finir sur le banc. Après une saison 2016-2017 à couper les citrons sur le banc d’Arsenal, Wenger et Peyton lui cherchent un challenge plus excitant à l’été 2017, dans l’optique de le préparer éventuellement à prendre la relève de Petr Čech. Ils l’envoient donc en Liga, à Getafe. Mais là encore, c’est la déception. « On voulait le voir sur une saison entière, contre des grosses équipes, pour voir s’il pourrait être titulaire à Arsenal, rembobine Gerry Peyton. Eux cherchaient un numéro un, et le président nous avait promis qu’il le serait. Mais l’entraîneur Pepe Bordalás préférait Guaita, alors il n’a pas joué de la saison(six matchs, dont une défaite 3-1 contre le Real Madrid, N.D.L.R.). Il a bien joué, mais pas suffisamment. » De retour à Arsenal en 2018, il est de nouveau prêté à l’hiver 2019 à Reading. Après quatre prêts foirés, il y joue enfin une demi-saison complète en tant que numéro un. « Pour moi, le cas d’Emi Martínez résume un peu le problème que l’on a avec les gardiens actuellement : ils sont trop nombreux au départ et sont considérés sur le marché comme des remplaçants professionnels décortique Wenger. En général, dans les autres clubs, le gardien qui est en prêt ne veut pas faire la guerre au gardien principal, même s’il est supérieur au niveau du potentiel. Quand tu regardes la plupart des clubs où Émi était en prêt, il était trois fois plus fort que le gardien titulaire. Mais voilà, il ne jouait pas… Tout se joue à rien dans le foot. Même à 27 ans, des gardiens peuvent démarrer leur carrière sur un accident. »

Un casse-tête pour Arteta

Le fameux « accident » qu’évoque Wenger arrive pour Emiliano Martínez le 20 juin dernier, lors d’un match contre Brighton. Après un contact avec Neal Maupay, Bernd Leno retombe mal, son genou se tord, et un long cri résonne dans les tribunes vides du Falmer Stadium. Quelques heures plus tard, le verdict tombe pour l’Allemand : entorse ligamentaire au genou droit et saison terminée. Mikel Arteta n’a pas le choix, il doit confier la garde des cages d’Arsenal à Martínez. À 27 ans, dix ans après son arrivée et après des années de galères, se présente enfin l’occasion de s’installer à ce poste de numéro un d’Arsenal dont il rêve, avec personne – en tout cas personne de valide – pour lui barrer la route.

J’ai travaillé avec Van der Sar, Lehmann, Čech? et pour moi, Emi peut s’asseoir à leur table.

Le bilan est sans appel. Sur les douze derniers matchs de la saison, Martínez a fait bien mieux que suppléer Leno : il a été excellent, au point de complètement rebattre les cartes dans la hiérarchie des gardiens d’Arsenal. Serein dans les airs, excellent au pied, impressionnant au physique, l’Argentin s’est offert quelques prestations haut de gamme en Premier League, notamment contre Liverpool le 15 mai avec un arrêt exceptionnel dans les arrêts de jeu pour préserver le but d’avance des siens. « C’est l’un des plus beaux arrêts de la saison, rejoue Gerry Peyton. Il a bien attendu, s’est allongé de toute sa longueur avec énormément de puissance pour dévier le ballon au dernier moment. Cette puissance, cette explosivité des deux côtés de son corps, ça me rappelle vraiment Neuer. » Au petit jeu des comparaisons, l’ancien entraîneur des gardiens des Gunners surenchérit même : « J’ai travaillé avec Van der Sar, Lehmann, Čech? et pour moi, Emi peut s’asseoir à leur table. Il a un vrai talent et, comme eux, il n’est jamais satisfait. Il veut toujours travailler, tout analyser jusqu’au plus petit détail. Il en veut toujours plus. Il a l’étoffe d’un numéro un, sans l’ombre d’un doute. » Mais malgré sa fin de saison en fanfare et sa grande sympathie auprès des fans d’Arsenal, la fin des galères est encore loin pour Martínez : avec le retour de blessure de Leno, il va devoir se battre de plus belle pour confirmer qu’il mérite cette place de numéro un. Un vrai casse-tête à venir pour Mikel Arteta. « Je pense que la FA Cup va booster Emi d’une manière incroyable, et il va falloir qu’Arteta trouve les ressources pour stimuler cette concurrence afin qu’elle soit saine et tire Arsenal vers le haut, conseille Arsène Wenger, qui a tout de même une petite préférence. Je trouve les deux très bons, mais Martínez peut avoir l’avantage d’impressionner et de déstabiliser les attaquants adverses par sa carrure massive et son regard perçant, là où Leno marque davantage de points grâce à son agilité et sa dextérité. Emiliano mérite qu’on lui donne sa chance sur une saison entière, juste pour qu’il puisse démontrer aux yeux de tous son immense talent. »

Le plus petit salaire du club

Cette année semble être la bonne pour Martínez. Ou, du moins, l’année ou jamais. À 27 ans, après des années où il a fallu jongler entre patience, galères et concurrence, l’Argentin semble arrivé à maturité et prêt à endosser ce rôle de numéro un dans ce club qu’il aime tant. « Ce n’est peut-être pas si mal qu’il ait eu à attendre si longtemps, estime même Gerry Peyton. Les grands clubs anglais peuvent être impitoyables avec les jeunes joueurs s’ils ne performent pas très rapidement. Arriver à 27 ans, en pleine possession de ses moyens, ce n’est pas si mal. » Wenger complète : « Le sacre en FA Cup est vraiment symbolique : plus tu souffres pour ton club, plus ça renforce ta passion, à condition bien sûr de ne rien laisser tomber. Le voir ému aux larmes avec ses parents sur FaceTime, c’est une fierté incroyable pour tout ce qu’il a accompli en tant que gardien. Emi a dû attendre pour connaître ce plaisir-là, beaucoup même, mais il s’est accroché bec et ongles. »

Son parcours, sa détermination à ne jamais lâcher de vue son objectif malgré tous les obstacles semblent en tout cas le mener tout droit vers ce changement de statut, pour que toutes ses barrières accouchent enfin d’une belle histoire. « Il a eu des opportunités de quitter le club, mais il a toujours voulu jouer à Arsenal peu importe qui était devant lui, car il aime profondément ce club, précise Neil Banfield. Il aurait pu partir, penser qu’il n’était pas assez bon pour être au top, mais non : il est resté solide, droit dans ses bottes, et son travail acharné a porté ses fruits. » Au sommet de son art, courtisé de son propre aveu par quelques gros clubs européens, le robuste Argentin ne cache en tout cas plus ses ambitions. Il a beau être le plus petit salaire du club malgré la plus grande ancienneté, il se fout de l’argent, il veut juste jouer. « Mon idée est de rendre la tâche difficile à Arteta, glissait-il récemment à Marca. Je savais que je pouvais performer à ce niveau, sinon je ne serais pas resté. Je suis très fier, j’espère continuer à faire la même chose ou mieux la saison prochaine. Ce n’est que le début. »

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Par Alexandre Aflalo et Chad Akoum

Propos d'Arsène Wenger, Laurent Koscielny, Gerry Peyton, Andy Dibble et Neil Banfield recueillis par AA et CA.

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