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Émeutes urbaines : Les Bleus ont parlé, mais qui les a écoutés ?
En réaction à la mort de Nahel, causée par un tir à bout portant d’un policier, de nombreux footballeurs avaient pris la parole pour exprimer leur indignation. Récemment, c’est l’équipe de France qui s’est fendue d’un appel au calme, après des nuits de révolte. Tout le monde a noté cette évolution, mais personne ne semble se demander à quel point ils sont véritablement entendus par les premiers concernés.
Les footballeurs ne se taisent plus (du moins sur certaines actualités, ils ont été absents lors de la réforme des retraites et mal à l’aise pour le Qatar). Leur parole est considérée d’office comme légitime sur la banlieue, quand nombre d’acteurs institutionnels, enseignant·es (pourtant chaque jour au contact de la jeunesse), élus, voire les familles, semblent avoir perdu l’oreille des gamins qui brûlent des voitures ou des médiathèques. Or Jules Koundé, Kylian Mbappé ou Mike Maignan demeurent auréolés d’un prestige et d’une reconnaissance qui parlent à l’ensemble du pays, et donc à ces bouts de France périphériques qui flambent. L’ensemble du champ politique et médiatique a donc salué ou critiqué leurs positions, sans véritablement savoir quels en seraient l’effet ni l’écho réel sur le terrain.
L’atténuation, pour le moment, des violences ne peut évidemment leur être attribuée, peut-être davantage le fruit d’une révolte qui dure le temps d’une story ou du poids de l’environnement familial ou autre, car une cité ne se résume pas à la frange de sa jeunesse qui défie les forces de l’ordre ou détruit des bâtiments publics. Les raisons profondes de cette explosion, du moins de la rage qui l’accompagne, puisent dans la détérioration des conditions de vie et de survie dans ces quartiers, des rapports à la police de plus en plus tendus et un sentiment d’injustice qui, faute de trouver une expression politique ou encadrée, s’enflamme à tous les sens du terme. Son ampleur reste la question essentielle qui se pose à l’ensemble de la nation : plus de 1000 bâtiments brûlés, dégradés ou pillés, 250 attaques de commissariats ou de gendarmeries, 700 blessés parmi les policiers…
Considérer cette intervention à sa juste valeur
Les Bleus n’ont finalement rien dit d’étonnant ni d’iconoclaste. Partageant une large émotion après la vidéo de la mort de Nahel, ils déroulent, au nom de la même double légitimité (français et issus des quartiers populaires) un discours raisonnable quelque peu déconnecté de ce qui se passe au pied des immeubles. « Comme tous les Français, nous avons été marqués et choqués par la mort brutale du jeune Nahel. Depuis ce tragique événement, nous assistons à l’expression d’une colère populaire dont nous comprenons le fond, mais dont nous ne pouvons cautionner la forme. (…) Ce sont vos biens que vous détruisez, vos quartiers, vos villes, vos lieux d’épanouissement et de proximité. (…) La violence ne résout rien, encore moins lorsqu’elle se retourne inéluctablement et inlassablement contre ceux qui l’expriment, leurs familles, leurs proches et leurs voisins. Ce sont vos biens que vous détruisez. » Une ligne fort modérée, médiane, qui s’éloigne autant des fantasmes d’une révolution en marche, que d’une droite et extrême droite qui a déjà entériné dans son discours une guerre civile entre les quartiers et le reste du pays. On doute tout autant que cela rassure les angoissés identitaires devant CNews ou que cela puisse convaincre les « émeutiers » à l’heure de TikTok.
— Kylian Mbappé (@KMbappe) June 30, 2023
Le football joue un rôle essentiel dans les quartiers. Autant en matière de missions sociales et éducatives réalisées dans les clubs amateurs, que de perspective de réussite et de reconnaissance dans le haut niveau, avec de terribles effets pervers en cas d’échecs. Il ne faut cependant pas céder à la tentation de lui attribuer la fonction, in fine, de dernier rempart de notre République et de ses promesses d’égalité ou de justice. Au risque de lui reprocher d’échouer, ou de lui conférer des mérites qu’il n’a pas vocation à incarner. Le communiqué des Bleus était somme toute logique et normal. Il ne résout ni n’explique rien de la séquence que nous traversons, ni de ses causes profondes. La société ne s’arrête pas de glisser quand le ballon rond se met à rouler.
Par Nicolas Kssis-Martov