- Euro 2016
- Gr. A
- Albanie-Roumanie
Elseid Hysaj, merci Papa
Loin d’être un fils de, le latéral albanais Elseid Hysaj doit néanmoins beaucoup à son père, débarqué en Italie en canot pneumatique pour nourrir sa famille et qui lui a décroché l’opportunité de se faire remarquer.
Que faire lorsqu’on réalise que son enfant possède un certain talent ? Au-delà des dynasties évidentes de sportifs accomplis, préparés à la réussite et finalement peu nombreuses, la majorité a tendance à laisser couler, supportant plus ou moins franchement. Il existe aussi ces parents, souvent des pères, qui vivent leur vie par procuration, poussant leur progéniture à récolter les lauriers qu’ils auraient aimé porter ou à gagner l’argent qu’ils n’auront jamais. Coûte que coûte, même si cela implique des entraînements incessants dès le plus jeune âge, dès la moindre once de talent détecté. Le tennis regorge d’exemples de ces pères mégalos et possessifs, notamment féminins (Capriati, Pierce, Williams, Graf), mais aussi André Agassi.
Si le syndrome touche surtout les sports individuels, le football n’échappe à la donne ; des anciens grognards de divisions inférieures se persuadent d’avoir enfanté un nouveau Pelé, sous prétexte qu’il a réussi une passe aveugle par accident à trois ans. Et puis il existe une autre catégorie, plus rare et plus belle, de ces êtres prêts à tout pour le bonheur et la réussite de leur enfant, dans cet ordre-là. Si Elseid Hysaj, meilleur joueur albanais à l’Euro et grosse cote de Serie A, est aujourd’hui courtisé par Arsenal, le Bayern Munich, l’Atlético de Madrid ou Chelsea, c’est avant tout grâce à son père, Gzim, immigré albanais en Italie, qui a toujours cru en lui, dès ses premiers ballons. Quitte à braver la mort pour lui.
Une promesse est une promesse
À la suite de l’effondrement du bloc soviétique, la transition communisme-capitalisme se révèle particulièrement difficile en Albanie. Ils sont des dizaines de milliers à quitter le pays pour trouver de meilleures conditions de travail, vers les USA, la Grèce, l’Italie. C’est cette destination que choisit Gzim, deux mois à peine après la naissance d’Elseid. Histoire de lui offrir un avenir, il traverse la mer Adriatique grâce à un passeur crapuleux, entre canot pneumatique et bateau à moteur. Un trajet qu’il refera à plusieurs reprises, histoire de ramener de l’argent à sa famille : le petit Elsi, sa femme et ses parents. C’est lors d’un de ses retours au pays qu’il remarque que le ballon rond et son fils entretiennent une relation particulière. Il décide alors de tout faire pour l’aider.
Travailleur immigré, Gzim enchaîne les petits boulots, souvent dans la construction. À l’été 2004, il est embauché pour la restauration de la maison de Marco Piccioli. Coup de pouce du destin, Piccioli est agent. Gzim en profite pour lui demander s’il peut trouver un club à son fils. Réalisant qu’on parle d’un gamin de 10 ans, l’agent botte en touche en rigolant et lui dit de le ramener dans quatre ou cinq ans. Là où d’autres auraient abandonné, Gzim garde la promesse en mémoire. Quatre ans plus tard, il amène son fils, qui s’est entre-temps établi comme un solide défenseur polyvalent au pays, sans pour autant éveiller l’intérêt de quiconque. Honnête, Piccioli tient parole et présente Elseid à la Fio. La formation viola se montre intéressée, mais en proie à des difficultés administratives, traîne. Empoli en profite et accueille le gamin.
D’Empoli à l’Albanie
En Italie, Hysaj franchit les étapes jusqu’à l’équipe première, sous les ordres de celui qui deviendra son mentor, Maurizio Sarri. Impressionnant au poste de latéral en Serie B, il reçoit bien vite un appel du sélectionneur albanais, comme il l’a expliqué lors d’une émission locale : « Un jour, De Biasi m’a appelé pour me dire que j’allais être sélectionné avec l’équipe nationale. C’était une excellente nouvelle pour moi, parce que je ne pensais qu’il allait se passer autant de choses en une seule année. Je dois aussi dire que l’Italie m’a demandé, mais j’ai refusé. Je suis né albanais et je le resterai. »
De Biasi ne tarit pas d’éloge à son sujet : « C’est un garçon phénoménal. Il a la grinta, le désir, le talent et une personnalité que j’ai rarement vue chez un joueur de son âge. » Un cocktail détonnant qui l’amène jusqu’au Napoli, où il a suivi Sarri l’an dernier pour devenir l’un des meilleurs latéraux de Serie A. Un cocktail que pourrait servir son père, désormais tenancier du « Bar Elsi » à Florence, qu’il lui a offert en remerciement de tous ses sacrifies. « Pour moi, le soutien familial est essentiel dans ma carrière de footballeur. Être jeune et aller en Italie est très difficile si vous n’avez pas vos parents avec vous. Ils vous conseillent, parce que vous êtes jeune et avez tout à apprendre. Par conséquent, je les remercie, parce qu’ils m’ont toujours soutenu, dans tous les moments difficiles et m’ont montré la bonne façon d’avancer. » Hysaj comme une image.
Par Charles Alf Lafon