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Éloge de l'avant-dernière passe
Elle est parfois oubliée à côté des traditionnels buts et passe décisives, mais elle est essentielle. L'avant-dernière passe est une vibration, un frisson passager et surtout ce qui déclenche tout le reste. Elle mérite qu'on lui attribue ses lettres de noblesse.
Dans quelques mois, le match entre les Pays-Bas et la France restera comme celui de la qualification des Bleus pour l’Euro. Ce sera aussi celui du doublé de Kylian Mbappé, un doublé lui permettant de dépasser Michel Platini au tableau des meilleurs buteurs de l’histoire de la sélection tricolore. Quoi d’autre ? La première passe décisive de Jonathan Clauss, peut-être, ou encore celle d’Adrien Rabiot, puisqu’il paraît qu’il faut la compter comme telle. Il faudra peut-être revoir les images de l’ouverture du score pour apprécier un autre geste, à la fois tellement simple et si compliqué. La remise du pied gauche d’Antoine Griezmann pour le latéral droit français. Elle n’a rien de spectaculaire ni d’exceptionnel, mais sa spontanéité lui confère sa beauté. La conclusion de l’action lui donne toute son importance. On l’appelle l’avant-dernière passe.
Le geste des artistes
Elle est souvent oubliée, mise de côté, en tout cas dans les colonnes de statistiques et nos mémoires. La preuve, il faut se creuser les méninges pour se rappeler une avant-dernière passe mythique dans l’histoire du foot. De nombreux buts mémorables n’auraient pas pu exister sans elles, c’est sûr. On vous laisse vérifier. Elle a pu être l’apanage des grands numéros 10, des meilleurs joueurs, de ceux qui sont dotés d’une classe folle. Kevin De Bruyne connaît cette sensation par cœur. Il maîtrise à la perfection la recette de cette passe qui déclenche tout, provoque la folie et fait naître l’espoir. Elle est à l’origine du frisson. L’origine de tout, finalement. Il faut avoir la science du jeu et une intelligence situationnelle pour accoucher d’une telle merveille. Griezmann a les deux, il le montre depuis des années. Il faut voir plus loin que ses deux buts et quatre passes décisives sur ses vingt derniers matchs avec les Bleus pour comprendre que ce joueur est toujours spécial. Il est de la trempe des grands artistes de ce jeu, ceux qui voient tout avant les autres.
Dans le monde cruel des statistiques, ces cadeaux tombés du ciel valent moins qu’un but ou une passe décisive, dont le concept ressemble parfois à une vaste escroquerie. Depuis quelque temps, elles peuvent se trouver du côté des « Keys Passes », les passes clés en VF, entre deux chiffres a priori secondaires (Griezmann en a signé 5 sur la pelouse d’Amsterdam, tiens, tiens). Elles n’appartiennent d’ailleurs pas qu’aux plus grands, mais peut-être aux plus beaux. Marco Verratti en était un spécialiste au Paris Saint-Germain, Pedro Chirivella les affectionne aussi à Nantes. En Ligue 1, toujours, le Croate Lovro Majer s’était présenté à la France dans ce registre lors d’une démonstration rennaise contre Lyon un soir de novembre. Il avait été à l’avant-dernière passe sur trois des quatre buts bretons.
Ces gestes géniaux méritent toute notre attention et le plus grand respect. En 2016, un journaliste d’El País avait rendu le plus bel hommage possible à l’un des plus grands maîtres du sport-roi et de l’avant-dernière passe : « Les mathématiques sont une science exacte, sauf quand elles prétendent déchiffrer Iniesta. […] L’algorithme ne comprend pas que donner l’avant-dernière passe, celle qui disloque l’adversaire et déchaîne le chaos sans laisser de trace, a plus de mérite que tirer mille fois de loin. Il ne comprend pas qu’Iniesta, qui atteint en moyenne cinq buts et douze passes décisives par saison, est aussi déstabilisant pour l’équipe adverse que des monstres qui marquent leurs cinquante buts annuels. […] Des joueurs comme celui-là forment l’ultime frontière de l’utilisation avancée des statistiques, qui s’est convertie en pierre de Rosette de tellement de sports, notamment le football. » L’avant-dernière passe ne doit pas devenir un chiffre dans une colonne. Surtout pas. Elle doit rester comme telle : pure, furtive et insaisissable. Une certaine idée du foot et de ses vrais génies.
Par Clément Gavard