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Élodie Coppola : « Être arbitre pendant un Clásico, c’est hors du temps »
Il n’y a pas que Stéphanie Frappart qui représente les femmes dans l’arbitrage. Élodie Coppola est désormais arbitre de touche, mais elle a connu la Coupe du monde féminine, la Ligue 1 ou encore un Clásico. La Finistérienne, qui rêve des JO, jongle entre son job au CHU de Nantes et les pelouses de National 1. Entretien avec une passionnée.
Le week-end dernier, vous étiez au Mans pour arbitrer la rencontre entre Le Mans et Épinal (1-0). Vous officiez depuis le début de saison en National 1, comment ça se passe ?
Super ! C’est un championnat compétitif, passionnant et qui se professionnalise énormément avec beaucoup de suspense entre la lutte pour la montée et celle pour le maintien. On se doit, en tant qu’arbitre, d’être le plus irréprochable possible, d’autant plus qu’il n’y a pas la VAR en National 1.
Comment fait-on pour passer de l’arbitrage avec vidéo à sans vidéo et vice versa ? Il y a une grande différence ?
On se doit de respecter des process et on doit s’adapter. Quand on switche de l’arbitrage sans vidéo à celui avec vidéo, on s’entraîne la veille avec des simulations pour se familiariser avec les outils technologiques. L’adaptation est permanente, mais n’est pas difficile.
Le 5 mars 2023, vous êtes entrée dans l’histoire aux côtés de Stéphanie Frappart et Manuela Nicolosi en devenant le premier trio féminin à officier en Ligue 1, lors d’un Troyes-Monaco.
On a conscience d’avoir marqué l’histoire, c’était un moment magique dont je me souviendrai toute ma vie. Malgré la pression, la couverture médiatique, le match s’est bien passé, on en sort encore plus fières. La Ligue 1, c’est la cour des grands. On savait qu’on était sous le feu des projecteurs, surtout lors de l’avant-match, la presse parlait plus de nous. Mais une fois que le coup d’envoi est donné, on oublie toute cette pression.
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Comment êtes-vous arrivée à l’arbitrage ?
Mon père était entraîneur et ma mère l’accompagnait chaque week-end. Ma naissance n’a pas changé leurs habitudes, je passais moi aussi mes week-ends au bord des terrains. J’ai été bercée par le ballon rond depuis gamine, je me souviens encore être devant Téléfoot chaque dimanche matin. J’ai voulu en faire en club, je jouais énormément dans la cour d’école, mais il n’y avait pas de club féminin autour de chez moi. J’ai cherché un autre moyen d’être sur le terrain. J’ai découvert l’arbitrage et je me suis lancée. Quand mes parents ont compris que j’étais vraiment motivée, ils m’ont beaucoup soutenue et m’ont aidée à m’inscrire.
Vous souvenez-vous de votre premier match en tant qu’arbitre ?
En vérité, j’ai très peu de souvenirs. (Rires.) Si je ne dis pas de bêtises, c’était à Pont-Croix. Il y avait un observateur de la Ligue, et un ami à moi jouait pour l’une des deux équipes. Ça reste flou, je ne pourrais pas vous dire si j’ai distribué un carton ou sifflé deux penaltys. Je sais que le match s’est bien passé, car il m’a permis de valider mon examen d’arbitre !
Ce n’est pas trop dur au début de s’imposer quand on est une femme ?
J’ai pu entendre à certains moments des réflexions comme « de toute façon, c’est une fille, on n’y peut rien », mais aujourd’hui, ça va mieux. Et même au début, c’était top. J’avais des matchs chaque week-end, j’étais bien accompagnée, que ce soit par le référent arbitre de mon club ou les observateurs de la Ligue.
Ces dernières années, beaucoup plus de femmes se lancent dans l’arbitrage. Vous pensez être des modèles ?
On montre la voie, c’est certain. Il faut encourager ces jeunes femmes et leur fait comprendre qu’avec la motivation, on peut atteindre les sommets. L’arbitrage, ce n’est pas un long fleuve tranquille, on prend des coups, mais si on est motivé, on peut réussir. Si un enfant dit à ses parents qu’il souhaite devenir arbitre, il faut l’encourager. C’est une école de la vie.
Vous n’avez cessé de franchir les étapes jusqu’à devenir arbitre fédérale féminine en 2008. À quel moment vous comprenez que vous pouvez faire de cette passion une vocation ?
Dès 2003, je passe l’examen de jeune arbitre de la Fédé, ce qui me permet d’arbitrer les U17 et U19 nationaux. J’habitais dans le Finistère-Sud, j’ai pu arbitrer dans le Grand Ouest des équipes comme Nantes, le Stade rennais, Lorient, Caen, Le Mans, etc. J’ai énormément progressé dans la technique et la gestion des hommes avec ces rencontres. Je m’en sortais plutôt bien. C’est là que je me suis dit que je pouvais aller plus haut jusqu’à commencer à arbitrer en D1 féminine en 2008.
On devait être loin de la D1 Arkema actuelle à l’époque, non ?
Quand on regarde dans le rétroviseur, on se dit qu’on a fait du chemin. (Rires.) Ils ont mis les moyens, la télévision est arrivée, les clubs professionnels ont été obligés d’avoir une section féminine… Je me rappelle d’un derby francilien, PSG-Juvisy (le 22 octobre 2009, victoire 1-0 des Parisiennes, NDLR), le coup d’envoi avait été donné par Adriana Karembeu. Je siffle les trois premières fautes contre le PSG, je sens que les supporters ne sont pas trop d’accord avec moi. (Elle rit.) J’ai vécu de grands moments, mais je n’arbitre plus en D1 féminine depuis 2020-2021.
Justement en 2020, vous prenez une décision déterminante pour la suite de votre carrière en passant d’arbitre centrale à arbitre assistante. Pourquoi ce choix ?
La fédération propose à l’ensemble des arbitres assistantes internationales féminines de se spécialiser à l’assistanat. À ce moment là j’étais alors arbitre centrale en D1 Féminine et j’officiais en tant qu’arbitre assistante à l’étranger. La décision n’a pas été facile à prendre. J’avais 35 ans, cela me paraissait donc opportun de raccrocher le sifflet et de prendre le drapeau à plein temps.Je découvrais en quelque sorte une nouvelle fonction, j’ai dû m’adapter pleinement. C’est un rôle différent, mais que j’apprécie. Je n’ai jamais regretté ce choix car j’ai vécu des grands moments par le suite.
Ça vous a par exemple permis de vivre un Clásico au Camp Nou (5-2 pour le Barça) devant plus de 90 000 personnes.
On apprend qu’on va arbitrer ce match trois semaines avant, ça permet de mieux appréhender le moment. Un record d’affluence, une ambiance dingue, de l’enjeu pour les deux équipes… C’était extraordinaire. Il y a eu des chants pendant tout le match. Quand on est sur le bord du terrain, on a beau lever les yeux au ciel, on ne voit jamais la fin des gradins. (Rires.) C’était hors du temps, surtout que c’était mon premier match avec la VAR, mais ça s’est bien passé. Je n’ai pas réussi à trouver le sommeil le soir tellement les émotions étaient fortes. Le plus important, c’est de pouvoir les gérer pendant la rencontre.
Un autre moment fort de votre carrière, c’est la Coupe du monde féminine en Australie et en Nouvelle-Zélande. Comment se prépare-t-on pour un tel évènement ?
Quand je l’apprends, on doit être vers le 19 décembre 2022 et je reçois un texto qui dit « Joyeux Noël » avec en pièce jointe ma convocation pour le Mondial. On sait que les fêtes vont être bonnes, mais aussi que les prochains mois seront intenses. Il faut redoubler les efforts, éviter les blessures. On a été en séminaire pendant une semaine au Qatar fin janvier, ça nous a aussi permis de nous familiariser un peu plus avec la VAR. Avec Stéphanie (Frappart) et Manuela (Nicolosi), les deux rencontres de Ligue 1 (Troyes-Monaco et Monaco-Toulouse) nous ont énormément apporté. Pour la préparer au mieux, je suis aussi passée à mi-temps dans mon autre travail.
Comment s’est passée la compétition ?
On a arbitré quatre matchs au total, dont un huitième de finale et un quart. L’Australie, c’était magique, avec une ambiance dingue. Quand tu es avec la meilleure arbitre centrale du monde, tu as la chance d’officier sur des gros matchs. Sur la deuxième rencontre, j’ai fait deux erreurs, heureusement rectifiées par la VAR, ce qui a permis à la meilleure équipe sur le terrain de gagner. C’est le plus important quand on est arbitre. On reste des compétitrices aussi, surtout dans une Coupe du monde, donc faire une erreur, ça ne fait pas plaisir.
Quand vous vous lancez dans l’arbitrage il y a 25 ans, vous imaginez vivre tout ça ?
Le référent arbitre de mon club était venu m’expliquer comment ça se passait dans l’arbitrage avec une pyramide : en bas, il y avait le District, puis la Ligue, la Fédération, et enfin le niveau international. Je me souviens encore qu’il m’avait dit : « Bon, le niveau international, ce n’est pas pour tout de suite. » Mais moi, je n’ai jamais oublié ce triangle en haut de la pyramide.
Célébrons la journée internationale du sport féminin en mettant en lumière Élodie Coppola !
À 40 ans, elle jongle entre son rôle passionnant d'enseignante en activités physiques adaptées au CHU de Nantes et son statut d'arbitre internationale de football ⚽️. pic.twitter.com/Y71E5lFIyR
— CHU de Nantes (@CHUnantes) January 24, 2024
Avec ou sans VAR, dans le foot pro comme amateur, les relations avec les autres acteurs du jeu restent tendues. Comment faire encore évoluer les choses ?
Plus il y aura de dialogue entre les différents acteurs du football, plus les rapports s’amélioreront. Sur le terrain, ce n’est pas vraiment le moment de discuter, mais on peut échanger, à tête reposée, au coup de sifflet final et faire comprendre aux joueurs le pourquoi du comment de telle ou telle décision. Il est important d’admettre nos erreurs et qu’elles soient acceptées par les joueurs. L’arbitre est toujours connoté négativement, c’est dommage. Nous restons un intermédiaire qui veille au bon fonctionnement d’un match et au respect du règlement. Si on communique plus, les choses iront mieux.
Les violences contre les arbitres sont aussi régulières dans le foot amateur…
On ne peut pas en venir à la violence pour une erreur arbitrale… On ne vient pas sur un terrain pour être avec la boule au ventre. Il y a beaucoup d’arbitres qui ont peur et on a du mal à en recruter des nouveaux. Les joueurs ou les entraîneurs qui en viennent aux mains, ils n’ont pas leur place dans le foot. J’ai le souvenir d’un match où j’avais eu énormément de mal à quitter la pelouse. Je remercie encore le capitaine de l’une des deux équipes qui était venu m’aider. Il ne faudrait jamais en arriver là.
Est-ce que les clubs font véritablement leur travail pour sensibiliser sur l’arbitrage ?
Si on commençait déjà par s’assurer que chaque joueur connaît le règlement, ce serait un bon début. Je pense qu’on devrait déjà faire en sorte que les joueurs pratiquent l’arbitrage, en arbitrant de temps à autre les plus jeunes de leur club pour qu’ils comprennent que ce n’est pas facile. Il y a aussi le rôle des parents derrière les mains courantes qui se permettent parfois certaines choses inacceptables. Le respect passe avant tout.
En tant qu’arbitre assistante, vous êtes d’ailleurs beaucoup plus proche du public. Comment fait-on pour ne pas réagir aux insultes ?
Il faut se mettre dans une bulle la plus hermétique possible. On ne peut pas répondre, c’est normal. En National, on a le système de communication avec les oreillettes, ça nous aide déjà à moins entendre ce qui se dit dans notre dos. Même si, par moments, ce n’est pas facile de passer outre. Je me rappelle un match où, pendant 90 minutes, un spectateur n’a fait que m’insulter. Ce jour-là, mon objectif était de ne jamais me retourner, ne jamais croiser son regard. Il voulait me faire craquer, mais il n’a pas réussi.
Vous avez parlé de votre travail à côté de l’arbitrage, vous êtes dans un hôpital. En quoi consiste cet autre métier ?
Je suis enseignante d’activités physiques adaptées, spécifiquement avec des patients atteints de problèmes ou de maladies respiratoires, certaines liées au tabac, mais aussi des post-Covid. Mon rôle consiste à leur redonner suffisamment d’endurance et de capacité pour revenir à une vie normale, améliorer leur condition de vie en leur redonnant le goût des activités physiques comme de la marche extérieure, des fléchettes, de la pétanque ou du billard. Je trouve que mon métier a énormément de sens. Quand on voit un patient repartir beaucoup moins essoufflé et sans fauteuil roulant, c’est gratifiant.
Ce n’est pas trop difficile de combiner les deux ?
C’est chargé. (Rires.) Je travaille du lundi au jeudi jusqu’à 17 heures, ensuite, je pose mon vendredi matin. Je pars dans la ville dans laquelle j’arbitre dès le jeudi soir, juste après mon entraînement. On n’a pas d’obligation de partir la veille, mais c’est préférable, cela nous permet d’être dans les meilleures dispositions pour préparer notre match.
C’est quoi le plus dur, s’occuper de ses patients ou des footballeurs/footballeuses ?
Les footballeurs. (Rires.) Mais c’est différent. Mes patients sont toujours motivés et c’est valorisant pour eux de voir qu’ils progressent tous les jours. Sur le terrain, on gère des individus, qui ont leurs états d’âme et sont dans un esprit de compétition. C’est autre chose, c’est plus difficile. Quand j’arrive le lundi dans mon service et que je vois mes patients malades, dont certains ne guériront jamais, je relativise énormément sur le foot et l’arbitrage.
Propos recueillis par Tristan Pubert, à Nantes.