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Elmer Food Beat : « On faisait des barbecues avec Laurent Guyot »

Propos recueillis par Ronan Boscher et Matthieu Pécot

Dans les années 1990, le jeu à la nantaise s'appelait aussi Elmer Food Beat. Le groupe, aujourd'hui porté par Manou et Grand Lolo, vient d'ailleurs de sortir un nouvel album, Le bruit des potes', qui se ponctue avec un titre hommage à Emiliano Sala. Entretien avec des légendes qui ont fait rêver Thierry Bonalair et Chris Waddle.

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Bon… Cette fin de saison nantaise ressemble à une fin d’apnée, qui dure depuis le printemps 2021, et qui risque de mal finir. Vous le ressentez comment, vous ?

Manou : Ouais, là, on n’est pas loin de rester au fond de l’eau quand même.

Grand Lolo : J’ai regardé la 2e mi-temps contre Toulouse, au Stadium. Qu’est-ce qu’on a souffert… Mais on a plié sans rompre. Et puis Strasbourg, à la Beaujoire… La tête dans les mains, silencieux sur mon siège en fin de match… Oh la tristesse, putain !

M : Même la Tribune Loire a fait grève des chants sur les vingt dernières minutes. C’est rare de la voir silencieuse, cette tribune.

GL : J’espère qu’on va se sauver quand même. On a tout vécu avec ce club : deux descentes en Ligue 2, des titres, des envahissements de terrain parce qu’on était heureux ou en colère. Putain, faut que ça tienne cette année… Si on descend sur le dernier match contre Angers, à la Beaujoire, pfff…

Vous vous souvenez du premier match de Nantes auquel vous avez assisté en tribunes ?

M : C’était à Saupin, pour le jubilé du défenseur Gaby De Michèle. J’avais 10-12 ans, je ne m’en souviens plus trop.

GL : Moi, c’était Nantes-Benfica, une défaite 0-2 en Coupe d’Europe 1978. J’étais gamin. À cette époque, je lisais aussi dans Pif Gadget la BD Tom Foot, un petit qui dribblait tout le monde, qui rentrait dans des matchs Nantes-Sainté par exemple. Incroyable.

Fast life : des tribunes de Saupin, vous avez ensuite pu goûter à la pelouse et aux salons de la Beaujoire, au début des années 1990.

M : Ouais. À l’époque, le président Bouyer offrait aux adversaires des paniers garnis de trucs locaux : des BN, des berlingots. Il voulait y mettre notre premier album (le classique 30 cm, NDLR). Notre manager a accepté à une condition : « On veut des places en échange. » On était reçus comme des princes jusqu’à la présidence de Guy Scherrer. Au fur et à mesure que nos ventes et notre notoriété ont décliné, on a été déclassés. (Il se marre.)

À l’époque, le président Bouyer offrait aux adversaires des paniers garnis de trucs locaux : des BN, des berlingots. Il voulait y mettre notre premier album. Notre manager a accepté à une condition : « On veut des places en échange. » On était reçus comme des princes.

Manou

Toi, Grand Lolo, t’en étais pas.

GL : Pourtant, j’ai été le premier technicien backline – les instruments quoi – des Elmer. Je m’occupais de leurs guitares.

M : Et à la « grande époque » des Elmer, Grand Lolo bossait à Los Angeles. S’il avait bossé ici, il serait forcément venu avec nous à la Beaujoire.

GL : J’ai pas trop connu les années 1990 du FC Nantes. J’ai un trou de 6-7 ans. On voyait pas beaucoup de foot à Los Angeles, mais plutôt les Kings, les Lakers. C’est pas comme maintenant. Puis je suis rentré sur Nantes en 1998. J’étais même payé pour bosser sur la pelouse de la Beaujoire !

C’est-à-dire ?

GL : Je travaillais pour la boîte suisse qui a fait scandale (ISL, NDLR), qui s’occupait des droits, des pubs. Je montais les panneaux Coca ou Snickers aux points de corner. J’ai même peint en couleur Coca les vis de ces panneaux. Et pendant les matchs, je devais vérifier que personne en tribunes ne brandisse de pancartes publicitaires, qu’aucun photographe ne pose son blouson ou ses affaires sur les cubes ou les panneaux. J’ai fait tous les matchs sauf USA-Yougoslavie.

M : T’as même touché un ballon.

GL : Ouais, sur le Japon-Croatie. J’avais pas touché un ballon de foot depuis au moins 20 ans ! (Rires) J’ai tenté un geste technique pour rendre le ballon au gardien croate, qui voulait relancer vite. Mais j’ai fait une vraie merde. Le gardien me regardait avec une tête… Et pour en revenir à Elmer, je suis rentré dans le groupe en 2001, avec un vrai redémarrage – les tournées tous les ans – à partir de 2006.

(Manou feuillette un ancien numéro de So Foot, notamment une interview croisée de Ouédec, Pedros, Loko, et tombe sur une photo de Coco Suaudeau, le cul bombé, en train de célébrer, un gobelet à la main.)

M : Attends ! Pats – notre sonorisateur – avait découpé et affiché cette photo-là, à côté de sa place dans notre camion. On devait caresser le crâne de Coco en montant à chaque fois dedans. On est cons quand on a une passion, hein ?

Manou, quand les Elmer étaient reçus comme des princes à la Beaujoire, t’avais réussi à tisser des liens avec les joueurs de Coco ?

M : Déjà, le club – et les joueurs, je crois – avaient demandé qu’on pose avec eux pour une photo, sur la pelouse de la Beaujoire : les Elmer en joueurs du FC Nantes, les joueurs en Elmer. Marcel Desailly, Christophe Robert, Jean-Jacques Eydelie, Joël Henry, Jean-Marc Ferri, Thierry Bonalair… Du beau monde. Le plus fan, c’était Titi Bonalair. Et puis j’ai pu tisser, un peu, des liens avec les joueurs après les matchs ou les dimanches. On se faisait des bouffes avec Laurent Guyot, des barbecues chez l’un chez l’autre, 2-3 fois par an. La mère de ma fille était copine avec sa femme. Il m’avait appelé le soir du titre de 1995. « Manou ! Rejoins-nous au Marlowe ! »

Belle fête à ce qu’il paraît.

M : Ouais, mais les Elmer étaient tricards du Marlowe. J’avais une fois voulu défendre Pats, qui a fini par sortir en volant, par une petite porte. J’en ai gardé une petite cicatrice sur la tête. Et peut-être qu’une fois on avait versé, depuis la mezzanine, nos bières dans la fosse. Mais en 1995, Blacky, le mec qui faisait un peu la sécu pour les joueurs, est venu me chercher à la porte.

GL : Ah ouais ? Blacky m’a aussi déjà vidé du Marlowe.

M : Pour en revenir à Laurent Guyot, on se voit beaucoup moins maintenant. La dernière fois, c’est quand il entraînait Boulogne-sur-Mer (2019-2021). Et j’ai découvert au moment des demi-finales de Coupe de France qu’il entraînait Annecy. Comme j’avais encore son numéro, je lui ai envoyé un petit message avec la demi-finale contre Toulouse. C’est un super mec, superpédagogue. Il avait fait du super boulot au centre de formation à Nantes, mais il ne s’entendait plus du tout avec Kita. Donc il est parti.

On était allés manger au Maracana, le resto qui était en dessous du Vélodrome. Y avait des joueurs, des dirigeants, un orchestre de samba, mais pas Bernard Tapie. Et Waddle s’est retrouvé à chanter « Couroucoucou Roploplo  » au micro avec nous.

Manou

Revenons un peu aux 90s. Thierry Bonalair n’était pas, dans les rangs des footballeurs de D1 de l’époque, votre seul fan.

GL : C’est vrai. Y avait Chris Waddle aussi

M : On l’a découvert avant un gros match de Coupe d’Europe de Marseille. Chaque joueur étranger de l’OM devait dire ce qu’il préférait en ce moment de France. Et Waddle a répondu : « Elmer Food Beat ». J’te raconte pas, on s’est tous appelé, on n’en revenait pas. T’imagines un peu la promo que ça nous faisait ? Il était très pote avec Basile Boli, qui adorait Elmer. On a été invités à Marseille pour le rencontrer.

C’était comment ?

M : Incroyable. On était allés manger au Maracana, le resto qui était en dessous du Vélodrome. Y avait des joueurs, des dirigeants, un orchestre de samba, mais pas Bernard Tapie. Et Waddle s’est retrouvé à chanter au micro avec nous « Couroucoucou Roploplo ». Chris Waddle, quoi ! On hallucinait. Marseille, c’est pas pareil, quoi… Tu sentais que c’était dirigé par… « des gens ». (Rires.) Waddle avait deux gardes du corps. « Un de plus que Papin ! » qu’il disait pour rigoler. Le boxeur Gratien Tonna était là aussi. Et puis y avait un mec au bout de la tablée, tu sentais que c’était lui le boss. Voix grave, accent du coin : « Oh attention là ! Elle, c’est ma nièce ! Le premier qui s’approche, il est mort ! » Je ne sais toujours pas s’il déconnait ou pas. C’était comme un film de Pagnol. Un souvenir monstrueux. Là aussi, on avait été reçus comme des princes.

 

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Aujourd’hui, c’est plutôt Grand Lolo le plus assidu au FC Nantes, c’est bien ça ?

M : Avec Pats, notre sonorisateur, ils allaient voir les matchs de Ligue 2 par exemple, à la Beaujoire.

GL : Ben, c’est ça être supporter. Comment feraient les équipes qui sont en National ou au fin fond d’une autre division sans ça ? Être supporter, c’est tout le temps. En Ligue 2, on était 5000 à s’infliger des Nantes-Châteauroux, et Kita avait mis une fanfare dans les tribunes pour masquer les chants des supporters « Kita barre-toi ! »

Vous avez quel rapport avec le club aujourd’hui ?

M : Je pense que Franck et Waldemar Kita voient qui on est.

GL : Parce qu’on les a rencontrés pour l’album Back in Beat (avril 2019). On avait diffusé notre premier clip « Ça c’est rock ! » sur les deux écrans de la Beaujoire, le speaker nous avait interviewés sur la pelouse. Et puis après, on a serré des paluches.

Vous avez un joueur préféré dans l’équipe actuelle ?

GL : Je suis clairement Nicolas Pallois.

M : C’est vrai qu’il incarne bien le club.

GL : Il t’envoie des missiles sur Mars quand il faut, il est solide, a du mental et un look charismatique aussi. Il est marrant à dire « moi, je regarde pas de foot, je joue ». Et puis tu ne peux pas occulter son amitié avec Emiliano Sala.

On ne va juste pas crier : “Eh oh, on a un titre sur Sala dans notre dernier album !” En fait, ce que chantent les supporters à chaque 9e minute du match depuis qu’Emiliano a disparu, ça nous a marqués.

Grand Lolo

Sala, qui est d’ailleurs le nom d’un titre sur votre dernier album.

GL : Au début, je ne voulais pas qu’on en parle pendant la promo, je ne voulais pas qu’on pense que c’était de la récupération. Mais en fait, c’est un titre hommage à Sala. Et aux supporters aussi. Donc s’il y a des questions, j’y réponds. On ne va juste pas crier : « Eh oh, on a un titre sur Sala dans notre dernier album ! » En fait, ce que chantent les supporters à chaque 9e minute du match depuis qu’Emiliano a disparu, ça nous a marqués. Et on a monté juste une instrumentale, de la guitare droite comme les Ramones un peu, pour adapter cet air en rock. Mais je voulais d’abord vérifier l’origine de cette mélodie, si elle n’avait pas des origines extrêmes ou scabreuses. Et je trouve presque par hasard, sur la route, en écoutant sur France Bleu Olympiakos-Nantes. À la 60e minute, j’entends le même air chanté par les supporters grecs. J’ai checké, et l’air vient bien de là-bas. Les paroles sont juste différentes. « On sera toujours à tes côtés, on vivra pour toi… » m’a dit Google Trad, en gros. Et puis on a mis sur les dernières secondes du titre les premières notes de l’hymne argentin. Là aussi, je me suis assuré que l’hymne ne rendait pas hommage à un dictateur ou quoi.

M : Au-delà de notre proche entourage, c’est aux ultras nantais qu’on a envoyé en premier le titre. On ne voulait pas qu’ils l’apprennent par la presse. Ils ont été touchés par le geste et que ça vienne d’un groupe de Nantes, je crois.

GL : Le titre « Sala » est déposé à la SACEM comme libre de droit, pas au nom d’Elmer. Comme ça, si le propriétaire initial se signale, pas d’embrouilles.

 

En concert, vous la jouez comment cette instrumentale ?

M : On salue le public après notre dernier morceau, on pose les instruments et on met « Sala » dans la sono pendant qu’on quitte la scène.

GL : Ça lui donne plus de place, de valeur et de force, de le mettre à nu comme ça. Ça fait presque musique de générique. Mais on n’a pas encore vu ce que ça donnait à Nantes.

M : Mais on a une date en juin. Donc on saura.

GL : Sa disparition a fédéré les supporters nantais et les gens ici, quand même. Avant, ils se fédéraient pour d’autres raisons : un titre, une façon de jouer.

M : C’est vrai que notre génération, on a été des enfants gâtés avec le club.

GL : Là, la nouvelle génération et l’ancienne se sont retrouvées sur cette tristesse, si on peut le dire comme ça. C’est touchant, à vrai dire.

On va se permettre un parallèle entre Elmer Food Beat et le FC Nantes. Il y a eu un âge d’or et il faut trouver à se réinventer. Parce que les recettes d’hier, dans l’environnement d’aujourd’hui, ne fonctionneraient plus. Vous avez fait comment ?

M : Pour ma part, j’ai eu un trou d’air assez douloureux. Parce que – et c’était une erreur – je me prenais dans la vie pour mon personnage de scène. Quand il n’a plus existé, je n’étais plus rien, plus aussi beau. Avant, juste je pétais, on me disait : « Wouah ! Qu’est-ce que tu pètes bien ! » Puis j’ai eu une fiancée, un enfant, tu retournes au boulot après deux années compliquées. J’ai fait comptable parce que les revenus avaient fondu. On n’était pas les Beatles non plus, hein ! Et puis le groupe s’est reformé.

GL : Mais, déjà, on ne voulait pas tout miser sur de l’ancien, être un groupe de reprises de nous-mêmes. On aurait pu prendre un chèque, faire tous les Mercure de France sur les tournées Stars 90, jouer trois morceaux branchés sur la moquette. Mais on a refusé. Ça remplissait des Zénith pourtant.

M : Et comme notre guitariste d’origine, Luc, ne voulait pas participer à la reformation du groupe, Grand Lolo l’a remplacé. Forcément, c’est une manière de jouer, une énergie, un son différents. Au fur et à mesure, il a pris de plus en plus de place dans les compos, l’écriture. On a trouvé cette alchimie sans bousculer nos fondamentaux non plus.

Quels sont vos fondamentaux, coach ?

Manou: C’est le slip kangourou…

Grand Lolo: … avec une épuisette, la casquette relevée et les chaussettes du FC Nantes.

Manou: D’ailleurs, au départ, j’avais des chaussettes en acrylique, couleur chair, dans mes pêche-moules. J’ai un geste signature (il fait, pour faire simple, les essuie-glaces avec ses pieds, NDLR) et j’enchaînais les tendinites au tendon d’Achille. Il fallait que je trouve des chaussettes hautes pour cacher les strappings. Et mon kiné m’a ordonné de porter des chaussures de sport. J’ai acheté des pompes de basketteurs et, à la boutique du club, mes premières chaussettes FC Nantes. Je le fais à chaque saison maintenant. Sauf cette année, où j’ai gardé les chaussettes qui ont joué la finale de Coupe de France. Celle de l’année dernière, contre Nice. Pas celle contre Toulouse.

 

Dans cet article :
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Propos recueillis par Ronan Boscher et Matthieu Pécot

Elmer Food Beat sera à la Cigale le 7 décembre 2023

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