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Elías Figueroa, le doyen de la surface

Par Ruben Curiel, à Valparaíso
Elías Figueroa, le doyen de la surface

Légendaire défenseur central chilien, Elías Figueroa est considéré comme le meilleur joueur que le Chili ait connu. Aujourd'hui, le stade de Valparaíso, sa ville natale où se disputeront deux rencontres de la Copa, porte son nom. Portrait d'un monstre de sérénité.

Le port de Valparaíso, appelé « Joya del pacífico » (la perle du pacifique en français) grouille de bateaux-containers. Plus haut, on distingue le cœur touristique de la ville. Valparaíso est une sorte de ville en lévitation. Les ascensores, funiculaires d’un autre temps, mènent aux cerros, les collines qui dominent la vallée. Les maisons de tôle aux diverses couleurs rappellent celles de La Boca, célèbre quartier de Buenos Aires. Ici sont nées des figures chiliennes importantes. À « Valpo » , on préfère oublier qu’Augusto Pinochet, dictateur du Chili de 1973 à 1990, y a vu le jour. On préfère souligner que Pablo Neruda, l’un des poètes les plus célèbres d’Amérique latine, y a fait construire sa maison, où il trouvait son inspiration, surplombant la ville de son pinacle.

Ou encore que l’idole chilienne, Elías Figueroa, ancien joueur de 1964 à 1982, y a fait ses premiers pas. À l’heure où la Copa América occupe la pensée de chaque Chilien, la « Vallée Paradis » semble peu vibrer pour la 44e édition du tournoi continental. Ici, deux matchs qui n’attirent pas les foules se disputeront : Équateur-Bolivie et Pérou-Venezuela. Au nord de la ville se trouve le stade qui porte désormais le nom d’Elías Figueroa. Un hommage qui permet de mesurer l’importance de « Don Elías » au pays d’Alexis Sánchez. Défenseur central doté d’une technique exceptionnelle, le joueur formé aux Santiago Wanderers est considéré comme l’un des meilleurs défenseurs de son époque. « Je suis le Figueroa européen » , a un jour déclaré Franz Beckenbauer. Cela marque un homme.

Un miraculé

« Cela nous déplaît que l’on nous appelle la génération dorée. Ce serait comme oublier les grands hommes qui ont fait l’histoire de cette sélection » , a récemment déclaré Claudio Bravo, gardien d’un Chili candidat au titre, qui plus est à domicile. Effectivement, cela serait comme omettre que le meilleur joueur chilien de tous les temps (selon de nombreux sondages) ne joue pas à Arsenal ou à la Juventus. Cela serait comme omettre qu’un joueur, atteint dans son enfance d’une diphtérie, d’asthme et d’une polio à 11 ans, a émerveillé Pelé lorsqu’à 15 printemps, il a servi de sparring-partner à une Seleção alors composée de Garrincha ou encore Zagallo. Aux Wanderers, Figueroa débute au poste d’attaquant. Il sera repositionné à celui de défenseur central par José Pérez, entraîneur argentin des jeunes du club de Valparaíso. La légende de Figueroa est née un soir d’avril 1964. Prêté à l’Unión La Calera, le central chilien livre un match exceptionnel face à Colo-Colo, géant de Santiago, et provoque la folie d’Hernán Solis, légendaire commentateur : « Nous sommes devant un gamin de 17 ans, qui joue comme un crack mature. À partir d’aujourd’hui, je ne pourrai l’appeler autrement que Don Elías Figueroa. »

Dans une interview pour As Chile, Figueroa raconte : « Un adversaire centre, je la contrôle de la poitrine, et un attaquant vient me presser dans la surface. Je lui ai mis un petit pont. Un autre est venu : il a subi le même sort. » Le surnom de Don (titre honorifique en espagnol) restera : « Beaucoup pensaient que mon prénom était Don » se rappelle la légende chilienne. Le joueur passé par Peñarol, Internacional Porto Alegre, Palestino, les FL Strikers ou encore Colo-Colo s’est forgé une réputation dans tous les clubs qu’il a côtoyés. Surtout au Brésil. Le 14 décembre 1975, l’Internacional affronte Cruzeiro. Une victoire, et c’est le premier titre de champion de l’histoire du club de Porto Alegre. Sur un centre, Elías Figueroa s’élève et marque de la tête, illuminé par un rayon de soleil qui le suit. « C’était un jour gris. Je savais que j’allais marquer. J’ai même demandé à Herminio, l’autre défenseur central, de me laisser monter à sa place. Quand j’ai vu les images du but, j’ai remarqué ce rayon de lumière. Je ne sais toujours pas d’où il est venu. Une aide divine peut-être » , se souvient Figueroa. Et d’ajouter : « J’ai toujours été touché par la main de Dieu. À deux ans, ils disaient à ma mère que je ne serais pas un enfant normal, que je ne pourrais jamais courir. J’ai été capable de surmonter cela. »

Vidéo

« El gol iluminado » (le but illuminé, en VF) fait entrer un peu plus Figueroa dans les cœurs brésiliens. La légende raconte même que les femmes accouraient à la porte du défenseur pour qu’il touche et guérisse les enfants malades. En Uruguay, Figueroa gagnera le surnom de « Mister lujo » (Monsieur dribble, en français). Alors joueur de Peñarol, le Chilien aurait même pu rejoindre le Real Madrid, avant de se diriger vers le Brésil : « J’ai eu plusieurs opportunités d’aller en Espagne. Le Real Madrid est venu me chercher. Mais dans les années 70, tout le monde jouait au Brésil. C’était plus compétitif et plus intéressant sur le plan financier. Cela me permettait aussi de ne pas m’éloigner de mon pays » raconte-t-il dans les colonnes d’As.

Le retour à la maison

Ce qui fait de Figueroa une idole au Chili, c’est son surprenant retour au pays, en 1977, lorsqu’il signe à Palestino. « Un jour, Enrique Ata, président de Palestino, était au Brésil pour ses affaires. Je l’ai invité à dîner. Ma femme lui a affirmé en plein dîner qu’elle voulait retourner au Chili. J’avais aussi cette idée. Il nous a répondu qu’ils n’avaient pas beaucoup d’argent, mais qu’il ferait tout pour ce transfert. J’ai mis la pression aux dirigeants de l’Internacional, j’ai même renoncé à de l’argent qu’ils me devaient et refusé un chèque en blanc. Je voulais revoir ma patrie » , raconte-t-il dans une interview à TVN. Même son apparition dans la campagne publicitaire de soutien à Pinochet, avant le référendum de 1988 (qui décidait de la continuité du dictateur au pouvoir) ne ternira pas son image. « J’ai soutenu tous les présidents du pays. Si je fais quelque chose, je le fais pour le peuple » , se justifie-t-il. Avec la sélection chilienne, Figueroa facture 47 sélections, une Copa América disputée en 1979 (le Chili échouera en finale contre le Paraguay), et trois Coupes du monde (1966, 1974 et 1982).

Figueroa assistera donc à deux rencontres dans un stade à son nom, accompagné de Marcela, sa femme depuis l’âge de 15 ans : « Personne ne me croyait. Je suis marié depuis 52 ans. J’ai toujours voulu être un exemple, montrer que dans la vie, et pas seulement dans le football, tout est possible. » Dans son stade, il sera aussi imposant que sur le terrain : « La surface est ma maison. Je décide qui y entre » , déclarait-il. De l’orgueil diront certains. Plutôt de la sérénité, de la confiance en soi. Celle même qu’il s’est forgée le jour où les médecins lui ont expliqué que ses rêves étaient impossibles, quand lui commençait à croire qu’il serait le patron de la surface, voire même l’un des meilleurs défenseurs de l’histoire.

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Par Ruben Curiel, à Valparaíso

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