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Législatives : et les Bleus dans tout ça ?
Alors que le Rassemblement national est aux portes de Matignon avant les élections législatives anticipées, le silence des joueurs de l’équipe de France interroge autant qu’il n’étonne pas vraiment. Pourtant, leur parole serait aujourd’hui la bienvenue, a minima pour sensibiliser sur l’importance du vote et du fameux barrage républicain.
La séquence a de quoi interpeller. Eduardo Camavinga, interrogé en conférence de presse sur les élections européennes à venir, qui découvre en même temps que la question l’existence du scrutin. Cela signifie-t-il pour autant que les joueurs sont totalement hors-sol ? Après tout, pourquoi le jeune milieu de 21 ans devrait-il être plus au fait de la situation que les autres jeunes de son âge, qui ne se sont pas forcément plus mobilisés dans l’Hexagone (40% des 18-24 ans se sont rendus dans les urnes selon un sondage Ipsos) ?
Un engagement par procuration
Même si l’élection était européenne, l’ancien Rennais évolue en Espagne et avait un emploi du temps plutôt chargé avec une finale de Ligue des champions il y a moins de deux semaines, avant d’avoir désormais l’Euro en ligne de mire. Mais pour Camavinga, né en Angola et fils de réfugiés de guerre, la montée de l’extrême droite pourrait logiquement être un de ses chevaux de bataille. Entre la volonté de mettre en place une « double frontière » en France et en Europe et le refus de « la gestion par l’UE de l’immigration à l’intérieur des États-membres », le programme européen de Jordan Bardella, s’il avait été mis en place en 2002, aurait certainement empêché la venue des Camavinga en France.
En pleine conférence de presse, un journaliste a demandé à Eduardo Camavinga s’il comptait voter ce week-end. 😶🇪🇺
Une question qui a perturbé le milieu de l’équipe de France. pic.twitter.com/6XDLCDZcGB
— Instant Foot ⚽️ (@lnstantFoot) June 6, 2024
Chanceux de passer deux jours après son cadet, Antoine Griezmann a aussi pu s’exprimer sur l’élection, notifiant sa volonté d’user du système de procuration mis en place par l’encadrement de la sélection, match amical à Bordeaux oblige : « On peut faire le vote, ceux qui voudront le feront. Moi, je suis pour. » À moins d’un séisme lors de la phase de poules, les Bleus ne seront pas non plus en mesure de se rendre personnellement aux urnes pour le premier tour des élections législatives à venir, le 30 juin prochain. S’ils atteignent le dernier carré, ils ne pourront pas non plus se déplacer pour le deuxième scrutin (7 juillet). Il faudra alors remettre en place le même système. Dans le silence ou avec des prises de position marquées ? Pour l’instant, les Bleus bottent en touche. Dès l’arrivée de la délégation en Allemagne, Dayot Upamecano a vite mis le holà – « Aujourd’hui je ne suis pas venu pour parler de ça, je préfère parler de football » – quand Kingsley Coman préfère « garder toute notre concentration sur le football. On ne parle pas trop de politique. » En dehors des élections, certains internationaux ont parfois rompu avec le mutisme habituel des joueurs de l’équipe de France. Aurélien Tchouaméni s’est bien exprimé sur la mort du jeune Nahel l’été dernier, Kylian Mbappé, Jules Koundé ou Maignan aussi. Mais leurs paroles ont-elles véritablement trouvé un écho ?
Un mutisme historique, qui évolue tout doucement
Cette manière de marcher sur des œufs est-elle générationnelle ? Egérie du mythe d’une France black blanc beur, Zinédine Zidane s’est transformé par deux fois en porte-parole du barrage à l’extrême droite. La première en 2002, qualifiant le FN de « parti qui ne correspond pas du tout aux valeurs de la France », puis la seconde en 2017. À chaque fois lorsque le parti politique des Le Pen a atteint le second tour des élections présidentielles. En 2002, à l’exception de certaines prises de position de Bernard Lama qui avait qualifié Jean-Marie Le Pen de « mauvais larron » ou de Lilian Thuram qui s’est mué en figure de la lutte antiraciste, c’est déjà le silence assourdissant des Bleus qui avait posé question.
Aujourd’hui, le RN n’est pas en position de s’installer à l’Élysée, mais il brigue très sérieusement Matignon, bien plus qu’un accessit du pouvoir, mais les Bleus en ont-ils simplement conscience, alors que les risques n’étaient pas plus mesurés par la majorité des Français avant le scrutin du 9 juin ? Beaucoup de ces joueurs, partis de France à peine la majorité dépassée, ne vivent pas au rythme de la vie politique hexagonale. Difficile donc de leur jeter la pierre, mais sont-ils vraiment totalement ingénus face à une telle situation ? Il est souvent risqué pour les footballeurs de s’aventurer sur d’autres sujets que le sportif, comme le précisait Raphaël Varane, dans le So Foot #210 : « Pour un joueur, prendre la parole sur ces sujets-là, ce n’est pas facile. Tout ce qui est dit peut être surinterprété, mal interprété, déformé… »
Des propos parfaitement entendables, même si leur manque de positionnement sur le mondial qatari a interrogé, sauf qu’il semble difficile de voir une partie de l’opinion tomber sur les footeux qui oseraient s’exprimer pour demander à faire barrage à l’extrême droite. Porter le maillot de l’équipe de France ne doit jamais obliger à un devoir de représentation politique. D’ailleurs, rien ne dit que, dans un pays où 31,5% des votants ont choisi le RN, l’ensemble de la délégation française a voté pour un parti de « l’arc républicain ». Mais la parole des Bleus a un poids, même modéré, et une prise de position de leur part ne ferait pas tache, à l’aube d’un Euro qui sera forcément très politisé. Entre polémiques racistes en Allemagne, où l’extrême droite perce aussi, et conflits en Ukraine et à Gaza notamment, il n’y aurait rien d’incongru à voir les Français prendre la parole, à l’heure où l’extrême droite a progressé partout en Europe.
Le coq, vilain petit canard de l’Europe ?
En Belgique, le milieu Amadou Onana s’est engagé personnellement dans l’élection, en poussant les jeunes à voter et en les sensibilisant à ce sujet, alors que le Parlement s’est associé avec des clubs ou des figures de l’Euro à venir pour faire passer le message du vote avant les finales de Ligues des champions masculine et féminine. Déjà en 2019, une délégation de footballeurs avait fait la promotion du scrutin européen, soutenu par dix fédérations dont ne faisait pas partie la FFF. En Finlande enfin, les footballeurs se sont particulièrement investis dans l’élection, soutenus par la FIFPro. Lors du scrutin européen de 2019, l’actuel capitaine des Bleus Kylian Mbappé s’était fièrement affiché sur les réseaux après avoir exercé son devoir de citoyen. Des étapes essentielles pour sensibiliser au vote.
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Loin des élections, les Allemands avaient déjà protesté à leur façon lors du mondial qatari, cachant leur bouche avec la main pour dénoncer les manquements aux droits de l’homme dans l’émirat. Une initiative critique partagée par le Danemark qui avait quant à lui utilisé des maillots les plus neutres possibles en guise de protestation. Une façon de montrer qu’il est possible pour les footballeurs et les fédérations de s’exprimer. Finalement, le silence de l’équipe de France est-il vraiment plus préoccupant que celui d’autres personnalités publiques (où sont les rappeurs qui en 2002 organisaient des concerts pour mobiliser contre le FN ?) ou tout simplement de la cacophonie qu’offre l’ensemble de la « classe » politique à l’heure de se mettre en ordre de bataille avant les législatives ? Les responsables de cette situation ne sont pas les footballeurs, ils sont seulement une partie de la solution.
Par Julien Faure