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Eldense, match truqué et foot gangrené
Défait, et largement, face au Barça B (12-0), l’anonyme club d’Eldense est dans l’œil du cyclone outre-Pyrénées pour avoir truqué cette rencontre. Pis, la situation de ce pensionnaire de troisième division reflète tous les maux d’un football espagnol gangrené par une mafia italienne de plus en plus présente.
L’image a fait le tour du monde. En larmes au centre du Mini Estadi blaugrana, Mikey Fernandez est consolé par les joueurs de la réserve barcelonaise. Quelques secondes plus tôt, l’arbitre de cette rencontre de Segunda B – soit le troisième échelon national du football espagnol – vient de mettre fin au cauchemar d’Eldense qui, en encaissant un 12-0 historique, vient d’égaler la plus grosse taule jamais enregistrée dans le monde professionnel outre-Pyrénées. Inconsolable, à l’instar de ses coéquipiers du fanion d’Elda, bourgade de la région d’Alicante, il troque pourtant, un jour plus tard, son costume de victime pour celui de coupable. « Nous avons des soupçons de possibles trucages lors de nos matchs, nous allons investiguer » , déclare illico David Aguilar, président du CD Eldense, dans un communiqué qui annonce également « la résiliation du contrat souscrit auprès du groupe d’investissement italien » . Dans la foulée, les différentes informations des médias et les premières mises en examen tombent : la mafia calabraise aurait pesé de tout son poids dans cette affaire qui met en exergue tous les maux du football espagnol de seconde zone.
« Les joueurs devaient payer pour jouer »
Pour prendre le contrôle du CD Eldense et en faire son jouet, la ‘Ndrangheta – nom de la mafia en cause – reprend une méthode qui lui a permis, des années durant, de truquer des matchs du même échelon en Italie. Plus récemment encore, en novembre 2015, elle réalise, par l’intermédiaire de ses deux pions Nobile Capuani et Ercole Di Nicola, le même coup de force avec le club de Jumilla, ville voisine d’Elda. Pour ce, les deux figures de proue de ce système mafieux, baptisé Dirty Soccer par les autorités transalpines, jouent d’abord la carte du « projet sportif » . « Ils sont arrivés en nous promettant de l’argent, entame un dirigeant de Jumilla sous couvert d’anonymat dans les colonnes du Confidencial. Ils disaient qu’ils allaient utiliser le club pour ramener des joueurs avec un fort potentiel et nous assuraient qu’ils avaient le soutien d’un groupe d’investisseurs italiens. Dès le début, ça a été un mensonge. Ils n’ont jamais rien payé et se sont servis dans les caisses du club. » Pis, ce dirigeant découvre que les joueurs en question sont des peintres. À défaut de les payer, les mafieux exigent de l’argent de la part de ces médiocres joueurs à la recherche d’opportunité.
Six mois et l’arrivée de sept recrues plus tard – six Italiens et le Français Evans Kondogbia, frère de –, le club est au bord du dépôt de bilan. Dans un ultime élan de courage, les dirigeants historiques de Jumilla arrivent à se débarrasser des deux hommes. Ce que ne fait pas le CD Eldense, club voisin de 50 kilomètres, dont l’état financier appelle à un futur dépôt de bilan. Face à cette situation, la direction de David Aguilar met six mois à accepter la proposition de Di Nicola et Capuani qui promettent l’arrivée de ce fameux groupe italien d’investisseurs. Si bien qu’en janvier, après avoir pris le contrôle de la gestion sportive et économique du club, ils recrutent pas moins de 20 joueurs, l’immense majorité en provenance d’Italie. En soi, le début des emmerdes. « Ce sont les joueurs eux-mêmes qui nous ont expliqué qu’ils devaient payer pour jouer, affirme mi-surpris, mi-dégoûté, le président d’Eldense sur les ondes de la Cadena Cope. Quelques-uns ont dû payer jusqu’à 700 euros pour ne disputer qu’un match ! Tout cela doit se faire savoir, car nous devons laver le club. C’est une honte et j’espère que cela ne se reproduira plus jamais. »
Marchés asiatiques
De fait, le 12-0 encaissé sur la pelouse du Mini Estadi n’est que la partie visible de l’iceberg. Depuis janvier, les investigations de la LFP et de la police nationale comptent déjà cinq matchs arrangés pour des montants compris entre 200 000 et 500 000 euros. Il y a trois week-ends de cela, face à Cornellà, Di Nicola et Capuani prévoyaient ainsi une défaite par quatre buts d’écart ou plus. « Mais nous n’avons perdu que 3-1 et ils ont perdu beaucoup d’argent, poursuit David Aguilar. Il y a eu une grosse engueulade dans le vestiaire. C’est pour ça qu’ils voulaient un résultat encore plus important face à Barcelone, ils voulaient récupérer l’argent perdu. » Avec un score de 8-0 à la pause, autant dire que la mission est remplie. Reste que ces révélations demeurent un épiphénomène en Espagne, puisque le flux d’argent n’y passe jamais. Au contraire, les mafieux profitent des marchés asiatiques, où la régulation est utopique, pour ne pas éveiller les soupçons des gendarmes financiers en Europe. Autant dire que l’épisode d’Eldense, aussi représentatif soit-il des maux des divisions inférieures espagnoles, ne devrait pas changer fondamentalement la situation.
Par Robin Delorme