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El Comandante Chávez, l’autre football argentin

Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires
5 minutes
El Comandante Chávez, l’autre football argentin

Alors qu'Andrés Chávez est incertain pour le retour de la demi-finale de Sudamericana qui a lieu ce soir au Monumental de River, tout Boca tremble. À l'heure de partir à la guerre pour de bon, les Génois aimeraient pouvoir compter sur leur Comandante. Un attaquant gaucher rapide et puissant, qui attaque sans relâche, joue sans respirer et presse comme un pitbull. Bref, un joueur à l'image de la réalité de ce football argentin un peu hystérique.

« On pensait qu’il allait devenir karateka »

Salto, un bled de la province de Buenos Aires, à 200 kilomètres de la capitale. Sur les trois kilomètres de route qui les mènent au Club Sports Salto, les petits El Negro et Marcelo ont sept et six ans. Chaque jour, ils s’arrêtent à une boulangerie pour récupérer les pâtisseries invendues de la veille et font la même chose au retour chez un marchand de légumes. El Negro, c’est Andrés Eliseo Chávez. Marcelo, c’est César Marcelo Meli. Aujourd’hui, à 23 et 22 ans, les deux sont titulaires à Boca Juniors. Des potreros de Salto, ils n’ont pas ramené la technique ni le flair. Eux, ils y ont appris la sérénité face aux répétitions de duels, la puissance et la vitesse. Meli est un milieu léger, mais supersonique, ayant le sombre rôle de combler les déséquilibres de sa propre équipe. Plus haut, Chávez est un attaquant-ailier puissant aux jambes de fer, qui encaisse les coups et donne l’impression que le ballon ne s’arrête jamais de rouler. « On pensait qu’il allait devenir karateka. Il aimait bien la boxe, aussi. Il donnait toujours des coups et l’école nous appelait pour se plaindre… » , raconte son père Alberto au journal Clarin.

Petit, Andrés suivait son père sur les chantiers. Jusqu’au jour où Banfield remarque la force du jeune homme, à 15 ans. « C’était dur de le laisser partir. Finalement, il a pris un sac noir, il a mis une casquette et il s’en est allé d’un coup » , poursuit le papa. À Banfield, Chávez entre au centre de formation et étonne une nouvelle fois par son physique. Silvio Marzolini, ex-international et entraîneur de Boca, raconte : « C’est l’un de ces joueurs qui n’ont jamais été petits. Jeune, il avait déjà une force incroyable, je n’ai jamais vu un joueur avec autant de puissance. » Aujourd’hui, cela donne 1m85 pour 85 kilos. C’est finalement Sebastian Méndez qui le fera venir à Banfield à l’occasion de la dernière journée du tournoi de fermeture 2011 : « Il était surprenant parce que même en jouant attaquant, il courait autant, voire plus que les milieux. » Un joueur similaire ? « Podolski, peut-être. Un neuf qui écarte bien le terrain, mais il a moins de puissance. Ce n’est pas évident de trouver quelqu’un avec les caractéristiques d’El Negro. » À Banfield, Chávez marque ses premiers buts, reste sur le navire malgré une relégation, remporte le titre de champion de deuxième division et finit par marquer 36 buts en 96 rencontres. À Banfield, Chávez devient El Comandante.

Ardeur, force et courses

En laissant partir le gros salaire de Juan Roman Riquelme cet été, Boca Juniors a fait des économies. Alors, pour 2,2 millions de dollars, le club du Sud de Buenos Aires achète 50% des droits de gaucher, qui arrive parmi six grands renforts (avec Carrizo, Calleri, Meli, Castellani et le Chilien Fuenzalida). Seulement, en ce début de tournoi de transition, Carlos Bianchi ne le fait pas jouer. Matias Almeyda, entraîneur de Banfield, s’indigne : « S’il ne joue pas, qu’ils nous le rendent ! » Et puis, Bianchi est évincé au profit de Rodolfo Arruabarrena. Un entraîneur fait par et pour Boca, qui met en place des idées faites par et pour Boca : un 4-3-3 solide sans être rigide, à la création limitée aux pieds capricieux de Gago, mais aux courses et aux appels infatigables. Dans ce schéma, le Vasco fait tourner une armée d’attaquants plus bestiaux que divins : El Puma Gigliotti, El Burro Martinez, Federico Carrizo, Jonathan Calleri et El Comandante Chávez.

Au match aller à la Bombonera, le Comandant aura été l’auteur de la plus grande occasion du match : un tir puissant du gauche dans un angle fermé, bien repoussé par Barovero. Surtout, il aura attaqué la dernière ligne de River sans jamais montrer le moindre signe de fatigue. Zéro but mais une ligne dans Olé : « L’ardeur, la force et les courses qui plaisent au palais des hinchas de Boca » . La Bombonera, amatrice de sang et de larmes, est sous le charme. Avant ce match aller, il avait déclaré vouloir marquer « en arrivant de l’extérieur de la surface, croisant le milieu et tirant au ras d’un poteau » . En puissance, quoi. Cette saison, c’est son aptitude au combat qui aura mené Boca jusqu’aux portes de la finale de la Sudamericana, notamment en quarts de finale contre Cerro Porteño : victoire 1-4, pour 2 buts et 2 passes décisives.

Figure réaliste du football argentin

Cette saison, River a dévoilé sa perle Matías Kranevitter, meneur de jeu reculé capable de varier les rythmes et de lire le jeu. Mais le championnat d’Argentine tend toujours plus à offrir ces profils de joueurs aimant défier la terre entière, armés de leurs dribbles, feintes et accélérations. Parfois, cela donne naissance à des Kun Agüero. D’autres fois, cela donne des Ricky Centurion, dribbleur virtuose du Racing de Avellaneda, renvoyé par le Genoa l’an passé. Comme dit Marcelo Bielsa, « ce qui rend le joueur argentin différent, c’est son côté rebelle. Le joueur argentin ne se résigne pas à la défaite, il la déteste et il aspire plus que les autres à la victoire. Cela doit être pour ça qu’on ne nous aime pas dans le reste de l’Amérique latine. » La semelle et les pauses de Juan Roman Riquelme n’étaient qu’une vitrine pour le reste du monde.

Aujourd’hui, le football argentin est fait à l’image du jeu d’El Comandante Chávez : de droite à gauche, en l’air, en profondeur, il n’y a pas de pause. En Europe, le ballon va très vite. En Argentine, c’est le jeu qui ne s’arrête jamais et qui devient irrespirable. Les attaquants ont donc appris à gagner des duels épaule contre épaule autant qu’à faire des passements de jambe. Et si Andrés Chávez est vraiment un commandant, il est l’un de ces chefs de guerre qui a pris le pouvoir par l’exemple, sur le champ de bataille. Chávez tue et réfléchit après, c’est un fantassin qui commande. Et voilà ce qu’est devenue cette équipe de Boca Juniors aujourd’hui : une équipe de soldats sans stratège. Des soldats qui ont hâte d’en découdre ce jeudi soir dans les quartiers riches du Monumental…

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