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Eiji Kawashima : « Je ne voulais pas rester au Japon »
Gardien de but du FC Metz et de l’équipe du Japon, Eiji Kawashima, 34 ans, 83 sélections, est un pionnier. Il y a sept ans, le natif de Saïtama décidait de quitter son petit confort pour se confronter au football européen. Retour sur sa jeunesse au pays du Soleil-Levant, sur ses difficultés en Europe et cap sur la prochaine Coupe du monde.
Je débute par une citation : « Je ne veux pas être comme les autres Japonais. En général, ils sont très timides et ne disent pas ce qu’ils pensent. » En quoi es-tu différent ? Je ne sais pas, je suis né comme ça. Je suis aussi timide de temps en temps, mais j’essaie d’être ouvert sur le monde, envers les autres cultures et les gens. J’aime apprendre. Être trop timide ne permet pas cela. La timidité japonaise a une longue histoire. Culturellement, on doit respecter nos aînés. Il n’est pas facile de leur parler librement. Lorsqu’on a quelque chose à demander, on hésite. Lorsqu’on grandit comme ça, on a de grandes chances d’en être affecté une fois adulte. Lorsque je suis allé en Italie, à 18 ans, j’ai découvert beaucoup de choses différentes.
Lesquelles ?Dans mon pays, lorsqu’on dit rendez-vous à neuf heures, c’est neuf heures. En Italie, un ami qui me disait j’arrive dans cinq minutes, je devais l’attendre une demi-heure. Mais au Japon, ça ne marche pas comme ça. Si vous êtes en retard de trente minutes dans le travail, ça ne le fait pas. Je me suis rendu compte que les choses que je voyais au Japon ne se passent pas forcément de la même façon en dehors.
Tu es né à Saïtama dans la banlieue de Tokyo. Tu es le cadet d’une famille de trois enfants.Je viens d’une famille de classe moyenne. Mon père était responsable dans une usine, ma maman était mère au foyer. Ma sœur a six ans de plus que moi. J’ai suivi pas mal mon grand frère qui jouait aussi au foot. On sortait aussi ensemble pour voir des amis. Mais au moment des repas, c’était la guerre. (Rires.)
En tant que cadet, tu étais le chouchou ?Je me sens plus le chouchou maintenant qu’avant. Petits, lorsqu’on se disputait, ma mère venait toujours me demander ce que j’avais fait.
Pourquoi as-tu décidé de devenir gardien de but ?Dès que j’ai commencé à jouer au football, j’ai tout de suite voulu être gardien. Être attaquant, marquer des buts, c’était un plaisir. Mais arrêter le ballon, c’était ma passion. Je ne peux pas expliquer pourquoi. (Rires.)
Tu avais un modèle ?Goycochea. Il était impressionnant dans tout ce qu’il faisait. J’aimais bien Higuita aussi, mais on n’a pas le même style. (Rires.)
Pourquoi le foot et pas le judo, le sumo ou le karaté ?On allait souvent dans un parc en famille. On jouait souvent au ballon. C’était quelque chose qui me plaisait. Mon frère a commencé à jouer en club et je voulais faire la même chose.
Au Japon, la scolarité c’est important. Tes parents n’ont jamais été contre ta carrière de footballeur ?Mon père voulait que j’aille à l’université. Lui n’a pas pu finir son cursus à cause de problèmes personnels, mais pour moi c’était important de devenir professionnel. J’avais un club de deuxième division à côté de chez moi où je voulais aller, mais mon père ne voulait pas. J’ai essayé de lui expliquer la différence entre le football professionnel et universitaire, ainsi que l’importance de ne pas perdre quatre ans lorsqu’on veut devenir professionnel. Lui me disait : « On ne sait jamais, si le football ne marche pas et que tu n’es pas allé à l’université… » Je lui ai répondu que c’était important pour moi de décider de mon avenir, de ma vie, pour ne rien regretter. Ce qui aurait été le cas si j’avais poursuivi l’université et que je n’avais pas réussi à devenir pro. Je m’en serais toujours voulu. Mais durant toute ma vie, j’ai toujours pensé à lui. Je n’avais pas le droit de ne pas réussir. Je l’ai finalement convaincu, mais il a fallu que j’ai plusieurs offres. Ça lui montrait que plusieurs personnes étaient convaincues par mon talent.
Qu’est-ce qui te manque le plus en France ?Mes parents, mes amis. Ça fait déjà huit ans que je suis en Europe. Je ne les vois qu’une à deux fois par an et mes parents vieillissent…
Comment c’était dans le club des Kawazaki Frontale ?J’y ai passé trois ans et demi, c’était la meilleure période de ma carrière. Le stade est beau, le public est toujours derrière nous, l’ambiance est fantastique sur et en dehors du terrain. On sortait souvent ensemble. Tous les joueurs se sentaient très bien dans le club, titulaires comme remplaçants. Tout le monde était soudé. On se battait pour le titre, on a disputé l’Asian Champions League, c’était vraiment bien. L’année dernière, ils ont remporté le championnat pour la première fois de leur histoire.
Comment tu t’es retrouvé là-bas ?Je jouais au Nagoya Grampus, mais j’étais barré par Seigo Narazaki. J’ai rejoint les Kawazaki Frontale parce que je voulais du temps de jeu. Je connais le club depuis l’époque où il n’était qu’en deuxième division. Il n’y avait que trois ou quatre mille spectateurs, mais aujourd’hui, il y a vingt et un ou vingt-deux mille personnes. Je connaissais l’histoire du club avant d’y aller et je m’y suis tout de suite bien senti.
En venant en Europe, tu as décidé de gagner moins pour te confronter au haut niveau.Je suis parti du Japon à 27 ans. Je sentais que je ne pouvais plus beaucoup progresser en restant au pays. Lorsque je suis allé en Italie, je sentais déjà que je pourrais faire quelque chose en Europe. Si je n’avais pas tenté ma chance, j’aurais eu des regrets et puis aucun gardien japonais n’avait réussi en Europe. Beaucoup de mes compatriotes y jouent, mais ce ne sont pas des gardiens. Je ne voulais pas rester au Japon et me contenter du petit essai que j’avais fait en Italie. Lorsque je suis arrivé en Europe, je sentais que je marchais sur un chemin sur lequel personne n’était passé auparavant. C’était ma vie, mon défi.
Tu avais peur avant d’arriver ?Non, je ne me disais pas que je pouvais disputer la Coupe du monde 2010. J’étais le deuxième gardien. Coupe du monde ou pas, j’avais déjà décidé de résilier mon contrat pour venir en Europe. Au Japon, personne ne regarde les gardiens. Il fallait que je vienne ici pour me montrer.
Quelles grandes difficultés as-tu dû affronter en arrivant en Europe ?Au début, c’était difficile parce que le football est différent. Je pense qu’ici les gens sont beaucoup plus exigeants avec les gardiens. Ils sont observés et doivent être décisifs. Il faut l’être pour jouer. Alors qu’au Japon, tu as juste à ne pas faire de grosses erreurs. Ça m’a poussé à être plus décisif.
Après ta période à Dundee, tu as passé six mois sans club. Une période difficile.J’ai travaillé du matin au soir. Si je ne l’avais pas fait, je serais devenu fou. C’était vraiment une période compliquée pour moi. Après mon passage au Standard de Liège, j’étais confiant, mais je voulais vivre autre chose après mes cinq ans en Belgique. Je pensais recevoir une très bonne proposition, donc j’ai refusé celles que j’avais et puis le mercato s’est clôturé et c’est devenu compliqué. Ce fut difficile à encaisser parce qu’il y avait aussi la sélection et des matchs de qualification à disputer en septembre. Je n’avais plus rien. Ma femme était enceinte, était au Japon et moi en Europe, c’était vraiment difficile.
Pourquoi n’es-tu pas rentré au Japon ?Parce que j’y croyais, je devais y croire malgré la difficulté. Je parlais avec ma femme tous les jours. Elle ne me mettait pas la pression, elle me disait de continuer à y croire, elle était toujours derrière moi.
Autre moment difficile, lorsque tu étais en Belgique, des supporters adverses ont chanté lors d’une rencontre : « Kawashima-Fukushima » . J’étais vraiment fâché. J’étais allé rendre visite aux victimes du tsunami, j’ai vu la situation et lorsque j’ai vu que les supporters ont chanté ça, j’ai pensé à eux. Je ne pouvais pas faire comme si de rien n’était. Lorsque le tsunami est passé, il n’y avait plus rien, plus d’école, même les immeubles de trois ou quatre étages avaient été emportés. J’ai vu toutes ces images, et certains supporters se permettaient de chanter ça. Je sais que dans les stades, on essaie de provoquer les joueurs, mais on ne plaisante pas avec ça.
Pour parler de l’équipe nationale, tu as remporté la Coupe d’Asie avec le Japon en 2011. C’était un tournoi vraiment difficile. Zaccheroni était à la tête de notre sélection. On a d’abord mal commencé lors des phases de poules. J’ai d’ailleurs écopé d’un carton rouge. Puis je suis revenu. En demi-finale, j’ai arrêté un penalty contre la Corée du Sud. L’équipe et moi-même avons progressé à chaque match. C’était un tournoi exceptionnel pour nous et pour le coach. L’objectif pour nous était de gagner la Coupe d’Asie. Malgré les difficultés, on a réussi et c’était exceptionnel. Mais c’était encore plus fort lors de la Coupe du monde 2010. On était vraiment critiqué. Les stades n’étaient pas pleins. Personne ne croyait en nous, mais on a réussi à sortir du groupe. On a fait un très bon match contre le Paraguay et puis on a fini par perdre aux tirs au but. C’était la première fois, hors 2002, où la Coupe du monde se jouait chez nous, qu’on est sorti des poules. On ressentait vraiment qu’on avait réussi quelque chose, qu’on avait marqué l’histoire du football japonais.
Et le retour au pays ?Les gens étaient vraiment fous. Il y avait plus de 3000 personnes à l’aéroport. Je n’étais pas connu avant la Coupe du monde et tout a changé après l’épreuve. (Rires.) C’était marrant et bizarre à la fois que tout le monde te connaisse comme ça, d’un coup…
Que penses-tu du groupe du Japon pour la Coupe du monde ?C’est ouvert. Tout le monde a sa chance, mais il faudra vraiment tout donner dès le premier match. Contre la Colombie, ça va être compliqué. Aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens d’être en excès de confiance. Il faut rester modeste et continuer à travailler. On respecte toutes les équipes du groupe. Le Sénégal a vraiment des bons joueurs. Ils jouent dans les meilleurs clubs.
Propos recueillis par Flavien Bories