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- Interview Arnór Guðjohnsen
« Eiður est un très bon fils ! »
Comme ses 330 000 compatriotes, Arnór Guðjohnsen est fier comme un coq quand il voit l'Euro réalisé par l'Islande. Avec un petit pincement au cœur supplémentaire pour son fiston Eiður, la légende devenue remplaçant de luxe et taulier du vestiaire. Entre souvenirs de son époque, os brisés et élection présidentielle dont tout le monde se fout, Arnór Guðjohnsen - 73 sélections et plus de vingt ans de football professionnel - nous parle d'une île en train de devenir folle.
Bonjour Arnór ! Alors, comme 10% des Islandais, tu es en France depuis le début de l’Euro ?Non, je suis arrivé ce matin tôt à Nice pour aller au match ! J’ai eu une grosse opération en février dernier, aux cervicales. Mon système nerveux était touché, à cause d’un accident de voiture que j’ai eu il y a un an et demi. Je m’étais cassé cinq côtes, le genou… Et après tout ce temps, j’avais encore un problème avec mes cervicales. Donc je n’avais pas le droit de voyager, mais mon médecin vient de me donner le feu vert pour venir à Nice. Les choses vont mieux pour moi, même si j’ai encore beaucoup de travail de rééducation à faire.
L’Euro est quand même une belle raison pour se remettre à voyager ! À Nice, tu es avec l’équipe ou avec les fans Islandais ?Ah oui ! (Rires) Et je pense que je vais rester avec les familles des joueurs, on est arrivés ensemble et on ne reste là-bas que 24 heures. On repart dès le demain. Mais je reviendrai probablement si on passe en quart de finale.
Tu as joué à Bordeaux au début des années 1990. Tu étais revenu en France depuis, ou ça sera la première fois ?Ça va être la première fois. J’ai été à Monaco aussi, quand mon fils y jouait. Et une fois, lors d’une escale à Paris, je suis allé prendre mon café en ville entre mes deux avions. Mais j’y reviendrai peut-être pour la finale !
Tu as regardé les matchs de l’Islande avec attention, qu’est-ce que tu as retenu ?J’étais satisfait des matchs. Contre le Portugal, ça se voyait qu’on faisait surtout attention à ne pas perdre. On s’en est plutôt bien tirés, et j’ai été moins emballé par le deuxième match, contre la Hongrie – on a joué trop défensivement, mais ça se comprend, il y avait beaucoup en jeu – et contre l’Autriche, après 20 grosses premières minutes. Puis on a aussi voulu tenir le résultat, on savait ce que ça représentait.
Ça a été ta plus grosse émotion de l’Euro ? Le moment qui t’a le plus fait vibrer ?Comme je l’ai dit à ma femme : « J’aurais tellement aimé y être ! » J’ai regardé tous les matchs de l’Euro, le tournoi est formidable. Mais le moment où je suis devenu le plus fou, c’était pour le but contre le Portugal. Je pensais vraiment qu’on allait perdre 1-0, et quand j’ai vu ça j’ai senti que non seulement on ne perdrait pas ce match, mais qu’en plus on allait se qualifier pour les huitièmes de finale. C’était le match le plus difficile. Contre l’Autriche, c’était fantastique de marquer ce dernier but, mais j’étais plus détendu. Et tu as peut être entendu ce commentateur, il est devenu fou, et il est connu dans le monde entier maintenant ! (Rires, puis il s’arrête soudainement). Oh, attends, il y a mon fils Eiður qui est en double appel là, je peux te rappeler dans 5 minutes ?
(5 minutes plus tard) Ton fils, Eiður, est désormais remplaçant. C’est un nouveau rôle pour lui, ça se passe comment ? Oui, mais il est très important pour les joueurs. Hors du terrain, dans le vestiaire, avant, après les matchs. Il utilise son expérience pour motiver tout le monde. Son rôle est immense.
Je suppose qu’il aimerait tout de même jouer plus ?Tout le monde veut jouer plus ! Mais le plus important, ce sont les résultats, c’est de bien faire les choses. Comme l’a dit l’entraîneur, c’est déjà historique pour l’Islande, ce petit pays.
Tu lui parles souvent en ce moment ? Il te dit comment vit l’équipe ? Tu as droit aux histoires du vestiaire, à des anecdotes ?Non, rien de spécial. Il me dit comment il se comporte avec ses coéquipiers, me parle de ses espérances, qu’il aimerait jouer un peu plus. Mais l’essentiel pour lui est que l’équipe aille le plus loin possible dans cette compétition. Il a déjà prévu de motiver les gars pour le match de ce soir, lui sera prêt s’il doit entrer en jeu. Tout le monde ne pense qu’à ça, rester ensemble, ne faire qu’un. Il me passe souvent des coups de fil, après chaque match, avant…
Donc c’est un bon fils !Oh oui ! (Rires) Un très bon fils !
Et ce soir contre l’Angleterre, il va se passer quoi ?Dans un bon jour, on peut battre n’importe quelle équipe. Et dans tous les cas, c’est très difficile de jouer contre nous. On a prouvé qu’on n’avait pas besoin de beaucoup d’attaques pour marquer des buts. Donc je pense que l’Islande sera toujours dangereuse, on va jouer avec la même attitude, la même discipline demain.
Tu as déjà joué contre l’Angleterre ?Oui, lors d’un match amical. En Islande, dans les années 1980. Ça a fini à 1-1, j’avais marqué le but. Il y avait Gascoigne, Glenn Hoddle…
Le coach, Heimir Hallgrímsson, a déclaré : « Quoi qu’il arrive, nos joueurs ont déjà gagné. » Tu valides ? Je suis un peu effrayé de voir que tout le monde pense qu’on a atteint notre objectif, en arrivant en huitièmes de finale. Tout le monde l’espérait, et je comprends ce qu’il veut dire. Mais je pense que même s’il a dit ça, ils vont tout faire pour gagner ce soir.
Dans nos stades, les fans Islandais sont très nombreux, et très bruyants. L’ambiance doit être folle aussi en Islande.C’est fou ! Tu sais, tout le monde est dingue ici. Je te le dis, quand l’Islande joue, il n’y a aucune voiture dans la rue. Contre l’Autriche, 98% du pays regardait le match.
Il y a tellement d’Islandais en France que pour votre élection présidentielle, samedi, on a du installer neuf bureaux de vote islandais en France.Oui ! Mais c’était OK, la plupart des gens avaient déjà choisi qui ils voulaient comme Président avant d’arriver en France, donc ils n’avaient plus à y penser. Il y avait une soirée électorale samedi pour annoncer le gagnant, mais tout le monde parle de football en ce moment. Les gens parleront du nouveau Président quand l’Euro sera terminé.
Il y a quelques vieilles légendes du foot islandais qui sont en France depuis le début de l’Euro. Je pense à ce grand fou de Hermann Hreiðarsson, qui est déchainé, et qui joue les chefs de supporters. Tu vas aller faire un tour avec lui, ce soir ?Hermann Hreiðarsson est le joueur le plus fou d’Islande. Moi, je vais devoir rester calme à cause de mes blessures. Si je traîne avec Hermann, il me briserait le cou à nouveau, il est tellement dingue.
Toi et les joueurs de ta génération, qui avez connu les années où l’Islande balbutiait son football, vous pensiez que tout cela arriverait un jour à une équipe d’Islande ?Hmmmmmm, oui, on y croyait. Et nous même, on a déjà failli se qualifier pour un Euro. C’était en 86, ou 87. Pour passer, il fallait qu’on batte l’Allemagne, ici, en Islande. Mais on a perdu 6-0. On avait quelques bons joueurs, mais pas assez de réservoir pour être vraiment compétitifs.
Vous n’avez pas l’impression d’être nés au mauvais moment ?(Rires) Je pense que tout le monde participe à ce qu’il se passe ! On a joué au football pendant longtemps, maintenant l’Islande joue de mieux en mieux, et tout le monde en est très heureux. Et pour le futur, on doit continuer à jouer comme ça pour peut-être aller à la Coupe du monde.
Propos recueillis par Alexandre Doskov