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Eibar, un autre football est possible
Auteur de la meilleure saison de son histoire en Liga, le modeste club basque ne cesse de se développer. Si bien qu’entre une huitième place en championnat et un fonctionnement de plus en plus démocratique, Eibar se mue en modèle à suivre pour tous les autres pensionnaires du championnat.
Au Pays basque, le nom d’Eva Maria Alfageme renvoie vers de doux souvenirs. La juge du tribunal d’Elche, dont l’office se trouve pourtant à plusieurs centaines de kilomètres de là, œuvre au maintien d’Eibar lors de son premier exercice en Liga. Pour rappel, quelques jours après la fin de l’édition 2014/15, le 22 juillet 2015 exactement, elle ratifie la rétrogradation administrative d’Elche pour cause de salaires impayés et fait chavirer de bonheur les supporters des Armeros, sauvés sur le gong par cette décision judiciaire grâce à une gestion parfaite de ses finances. Depuis, le modeste club basque profite à fond de ce maintien in extremis et enchaîne une troisième saison au plus haut échelon national. « Cette réussite, c’est avant tout celle d’un modèle, attaque d’emblée José Luis Mendilibar, entraîneur d’un Eibar en course pour la première qualification européenne de son histoire. Notre budget devrait nous interdire d’être dans la course pour la Ligue Europa, mais heureusement, le football ne se limite pas à l’argent. » Une vérité actuelle qui n’a pas toujours été effective dans le championnat espagnol, bien au contraire.
Sergi Enrich : « Eibar, du travail et de l’humilité »
Habituée à cajoler FC Barcelone et Real Madrid, la Liga n’oublie pas de distinguer ses autres bons élèves. Au premier rang, coincé entre les mastodontes blaugrana et merengue, Eibar fait figure de disciple modèle de la classe tant son actuelle huitième place balaie tous les pronostics. Second club avec le plus petit budget derrière le novice Leganés – seize millions d’euros en 2014, 32 en 2015, 43 actuellement –, il vient tout juste de recevoir les distinctions de meilleur entraîneur et de meilleur joueur de février, respectivement octroyés à José Luis Mendilibar et Sergi Enrich. Sitôt son trophée en main, le meilleur buteur des Basques ne tarde pas à évoquer les clés de cette réussite : « travail et humilité » . Maîtres mots du club depuis des années, ces deux facteurs lui permettent de gravir des échelons à chaque exercice. Pour ainsi dire, à la suite de sa première campagne en Liga, Eibar ne cesse de progresser, tant sur le plan sportif qu’institutionnel, comme l’évoque Fran Garagarza, directeur sportif de l’entité depuis cinq ans : « Nous connaissons nos limites, ce qui nous permet d’avancer avec les idées claires. Nous voulons grandir en prenant notre temps, en conservant notre stabilité. »
Cette recette, évidente sur le papier, mais ô combien compliquée à mettre en place, s’applique en premier lieu au terrain. Malgré une enveloppe allouée aux transferts rikiki, la direction sportive enchaîne les bons coups chaque été, de Pedro Léon à Sergi Enrich en passant par Florian Lejeune. « Les clés de cette réussite résident dans l’équipe qui m’entoure, promet Fran Garagarza. Avec mes trois assistants, nous proposons à l’entraîneur différents profils qu’il doit valider, ou non. Ensuite, nous tentons de convaincre les joueurs avec des arguments qui ne sont pas seulement financiers. » Dans un pays où impayés et relégations administratives sont la règle, l’argument de la stabilité attire de nombreux joueurs. Si bien qu’aujourd’hui, le directeur sportif se targue « de ne recevoir presque aucun refus de la part des joueurs que nous ciblons » . Mieux, cette régularité en Liga permet à d’autres projets de voir le jour : « La priorité, c’est de construire une cité sportive pour former joueurs et entraîneurs. Ensuite, nous voulons réduire le nombre de joueurs prêtés et donner de la continuité dans l’effectif avec des contrats longue durée. »
Entre démocratie et dette nulle, un modèle qui fait des émules
Sur le même ton que cette politique sportive, la stratégie institutionnelle d’Eibar intrigue outre-Pyrénées. Déjà aux mains d’un président atypique car militant d’une gestion sans dette, le club est désormais présidé par une femme d’affaires, Amaia Gorostiza Telleria, qui ne touche aucun salaire. Non contente de poursuivre les travaux entamés par son prédécesseur, elle va plus loin et instaure une direction collégiale. « Notre modèle de gestion se fonde principalement sur un travail en équipe, confirme Fran Garagarza. Nous ne cherchons pas un leader unipersonnel ni ne mettons en avant les gens qui composent le conseil d’administration. Nous sommes une équipe et fonctionnons comme telle. » Outre les Barça, Real, Athletic et Osasuna aux statuts presque associatifs, Eibar est le club le plus démocratique qui soit en Espagne, où chacune de ses cinq commissions – le sportif, la communication, l’économique, le commercial et les opérations – travaille de façon indépendante. Ce modèle unique, que chaque supporter peut intégrer en devenant actionnaire, fait même des émules dans une Liga qui voit en Eibar la solution à tous les maux qui l’ont longtemps gangrenée.
Par Robin Delorme