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Eibar, le petit frère de la Real a bien grandi
Aujourd’hui au coude-à-coude avec Bilbao et loin devant la Real, Eibar ne cesse de surprendre la Liga. Une réussite qu’il doit à un modèle économique sain, mais aussi à une relation étroite et historique avec le voisin de San Sebastián. Retour sur une filiation bénéfique aux deux protagonistes du second derby basque de la saison.
Le stade d’Ipurua enfile son smoking et s’apprête à entrer dans la cour des grands. Pour la première fois de son histoire en Liga, l’enceinte d’Eibar remercie le hasard du calendrier : en ce 24 août 2014, la Real Sociedad s’annonce comme son premier adversaire de Primera. « Le stade n’avait pas changé, les maillots non plus, rembobine David Zurutuza, alors titulaire dans le milieu txuri-urdin. Ils ont marqué juste après la pause. Sur un terrain aussi petit que celui d’Ipurua, derrière un public aussi chaud, nous n’avons pas su trouver la faille. Ils se sont imposés, mais, pour moi, ce n’était pas la pire défaite de ma carrière. » Un succès homérique, car sur la plus petite des marges, et historique, car premier en Liga dans les 74 années d’existence de la Sociedad Deportiva Eibar, qui en appelle d’autres. Aujourd’hui solidement accrochés en tête du classement, les Armeros reçoivent de nouveau la Real Sociedad. Un adversaire du jour qui se retrouve un grand frère depuis toujours, ou presque. Car sans cette relation étroite avec le fanion de Donostia, le toujours plus petit budget de Liga ne serait pas en train de vivre ce conte de fées.
Eibar, un cul entre deux monstres
Coincé entre la capitale économique de Bilbao et la vitrine touristique de San Sebastián, Eibar se veut une anonyme bourgade du Pays basque. Habitée par vingt milles âmes, elle s’est construite autour de son industrie des armes. Pour les touristes et les badauds, elle reste étrangère. « Jusqu’à mes six ans, je vivais dans la ville de Deba, à quinze minutes en voiture d’Eibar. Tous les étés, les habitants d’Eibar venaient sur les plages de ma ville. Sans cela, je n’aurais jamais connu Eibar » , raconte David Zurutuza, natif de Rochefort, mais basque à plein temps. Son club de football, le SD Eibar, végète lui depuis 1950 entre le deuxième et le troisième niveau national. Sans grand moyen financier, il ne peut, par exemple, pas se payer ses propres maillots. C’est ainsi, qu’en 1943, la Fédération de Guipuscoa de Football lui offre un vieux jeu de maillots du FC Barcelone. Depuis, les petits Basques ne quittent plus ces couleurs blaugrana. Eibar doit pourtant sa longévité dans le monde professionnel espagnol à un autre membre historique de l’élite, son voisin régional : la Real Sociedad.
Club le plus important de la zone nord du Pays basque, San Sebastián se trouve pourtant plus éloigné d’Eibar que Bilbao, ennemi historique. Une situation géographique qui ne permet pas à Eibar de se construire une cantera digne de ce nom. « Au final, il y a très peu de joueurs de la cantera d’Eibar, la Real et l’Athletic ont des partenariats avec tous les clubs de la région et ont un droit de regard sur le recrutement des meilleurs jeunes » , témoigne David Zurutuza, bambin de la formation txuri-urdin. Pour développer son futbol base, la direction eibarrésa trouve, dans les années 90, un terrain d’entente avec la Real pour signer un partenariat. Dans les faits, il permet « par exemple, à un jeune d’Eibar qui se blesse d’être pris en charge par les services médicaux de la Real où il va poursuivre sa récupération » . À l’inverse, les pépites d’Eibar prennent elles la direction de Zubieta. Les équipes senior, elles, se renforcent avec de jeunes ou anciens éléments de la Real. Une situation qu’a vécue Zurutuza, à l’instar d’un Xabi Alonso en son temps : « Lors de mon année à Eibar, presque tous mes coéquipiers étaient passés par la Real. »
Zurutuza : « Eibar ne dépense pas plus que ce qu’il gagne »
De ces prêts réguliers, la Real Sociedad tire un bénéfice aussi important qu’Eibar. Du gagnant-gagnant, puisque « les jeunes de la Real pouvaient évoluer en seconde division et apprendre beaucoup plus du haut niveau qu’avec la réserve. Quant à Eibar, il a su se construire sportivement dans l’orbite d’un club habitué au monde professionnel » . Depuis la montée de l’an dernier en Liga, la donne est différente. Eibar et Real Sociedad partagent une rivalité saine, mais « le club commence à se tourner vers d’autres horizons pour recruter des joueurs » , relance Zurutuza. Mieux, le petit Poucet de Liga a troqué son statut d’élève studieux pour celui de modèle à suivre : « Eibar est conscient de son peu de ressources et moyens. Il base sa philosophie sur un constat simple : ne pas dépenser plus que ce qu’il gagne. Ça paraît con, mais en Espagne, cela n’avait presque jamais été le cas avant eux. » Aujourd’hui baptisé El Modelo Eibar, il a contaminé tous les clubs de Liga qui jurent désormais faire table rase de leurs dettes. Reste qu’une rivalité, aussi jeune soit-elle, est en train de naître au Pays basque : « Il n’est jamais bon de perdre contre son voisin. »
Par Robin Delorme, en Espagne