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« Eh puto », le chant de la discorde
Ce soir, face à la Croatie, les fans mexicains seront épiés par les officiels de la FIFA. En cause, un chant considéré comme homophobe. Au Mexique, les menaces de sanction de la FIFA ont provoqué un débat entre défenseurs d'une tradition populaire et critiques de l'homophobie ordinaire.
Jeudi dernier, la FIFA annonçait avoir ouvert une enquête pour « conduite inappropriée de fans » , suite à une dénonciation de l’association FARE, réseau luttant contre les discriminations au sein de la planète foot. En cause, des chants « anti LGBT » pendant Mexique-Cameroun : le fameux « Eeeeeeeh Puto ! » hurlé par les fans d’El Tri sur chacun des dégagements du gardien adverse, sorte d’équivalent au fameux « Oh hisse enculé ! » des stades français. Dans les deux cas, le mexicain et le français, le contenu homophobe du chant ne peut être nié, mais il reste difficile de comprendre pourquoi la FIFA s’est réveillée aujourd’hui, alors que les fans d’El Tri s’étaient déjà illustrés lors des Mondiaux 2006 et 2010.
Peut-être parce que le phénomène se propage désormais au-delà des secteurs des tribunes peuplées de Mexicains. Entonné en règle générale de manière bon enfant, le chant peut ainsi amuser les supporters adverses, ou le public neutre, qui se met à l’entonner parfois sans en saisir le sens. Cela fut le cas par exemple lors du dernier tournoi de Toulon. Ce fut également le cas lors de Mexique-Brésil. L’enquête ouverte par la FIFA concerne d’ailleurs les supporters des deux camps, mais le risque de sanction – une amende – en cas de récidive implique avant tout les Mexicains, pour qui le « Eh Puto ! » fait partie du folklore des tribunes.
« Pourquoi ne pas dire « puto » à vos enfants ? »
Dans un premier temps, c’est l’incompréhension qui a frappé les supporters mexicains. Sur Twitter, un hashtag vengeur a ainsi appelé à remplacer le « Eh Puto » par un « Eh Corrupto » (corrompu), afin que la FIFA se voit retourner comme un boomerang sa tentative de policer les manières des fans. D’autres faisaient dans le potache en invitant à glisser du « Eh Puto » , au « Eh Pluto » , comme le chien de Mickey. Enfin, certains s’improvisaient étymologistes au second degré en assurant que « »puto » ne fait pas référence à l’homosexualité mais vient du Nahuatl(la langue des Aztèques) « putotzin », qui signifie « j’espère que ton dégagement sera horrible ! » » Dans un deuxième temps, plusieurs éditorialistes, de la presse sportive ou généraliste, ont toutefois estimé que cette menace de sanction de la FIFA pouvait constituer une belle occasion de lutter contre l’homophobie ordinaire des supporters, mais aussi d’un pays profondément machiste. « La FIFA a raison, estime ainsi Alvaro Cueva, dans les colonnes de Milenio. « Puto » est un adjectif qui s’utilise au Mexique pour insulter les homosexuels, un synonyme méprisant de lâche. Nos assassins, avant de tuer un gay, lui crient « puto ! » « Maintenant, on dirait que le mot « puto » n’a rien de mauvais, qu’il fait partie de nos traditions, poursuit l’éditorialiste, mais dans ce cas pourquoi ne pas dire « puto » à vos enfants, à votre père, ou à votre mari ? » « Je confesse que je m’amuse quand je l’entends, estime pour sa part Martin del Palacio, dans une tribune publiée par le site sportif mediotiempo.com, car comme tout supporter, j’ai un côté infantile et primaire, mais cela ne veut pas dire que je vais justifier quelque chose qui n’est pas bien. »
« Pour moi, ce n’est pas grave »
Plus officiellement, la CONAPRED, organisme mexicain chargé de lutter contre les discriminations, a estimé dans un communiqué que « le cri de « puto » est une expression de mépris et de rejet. Il ne s’agit pas d’une expression neutre, il s’agit d’une qualification négative (…) qui rapproche la condition homosexuelle de la lâcheté et de l’erreur. » Une mise en point de la CONAPRED pas provoquée par l’ouverture d’une enquête par la FIFA, mais par la déclaration du directeur des sélections nationales mexicaines, Hector Gonzalez Iñarritu (frère du cinéaste), pour qui « on ne peut malheureusement rien faire, il s’agit d’une expression normale, qui est devenue une coutume dans nos stades » . Le sélectionneur d’El Tri, Miguel Herrera, s’est refusé, lui aussi, à appeler ses supporters à cesser : « On est avec eux. Ce cri sert seulement à mettre la pression sur le gardien rival. Pour moi, ce n’est pas grave. » Miguel Herrera s’y connaît en matière d’homophobie, lui qui s’était signalé en 2013 en parlant des « déviances sexuelles » de l’ex-sélectionneur Miguel Mejía Baron (Coupe du monde 1994), allusion à sa prétendue homosexualité. Reste que le timing de la FIFA peut toujours poser question, comme ses indignations à géométrie variable : les deux prochaines Coupes du monde ne vont-elles pas êtres organisées par la Russie et le Qatar, deux pays pas franchement reconnus pour leurs penchants gay friendly ?
Par Thomas Goubin