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Eh, la Serie A, et si on s’inquiétait un peu ?

Eric Maggiori
Eh, la Serie A, et si on s’inquiétait un peu ?

Ce soir, le Napoli reçoit la Juventus au San Paolo. Cela aurait pu être un choc pour le Scudetto, un duel à la vie à la mort entre deux immenses rivaux du football italien. Au final, c’est un match pour l’honneur, qui compte presque pour du beurre. Un peu à l’image de cette Serie A 2013/14, en fait.

Au moment du tirage au sort du calendrier, cela ne faisait pas un pli. Ce Napoli-Juventus, programmé lors des premiers jours du printemps, en plein sprint final du championnat, serait décisif pour le titre. C’était sûr. La Juve de Conte et de Tévez, le Napoli de Benítez et de Higuaín. On imaginait déjà les deux équipes séparées par 2 points au coup d’envoi. Un Napoli qui s’impose 1-0 sur un but d’Insigne et le Vésuve qui tremble de bonheur pour fêter le « sorpasso » . Ou une Juve qui vient claquer un 2-0 sec au San Paolo, et qui frappe un grand coup sur un Calcio passionnant et endiablé. Ça, c’est la fiction. Malheureusement, la réalité est tout autre. En ce dimanche 30 mars, 20 points séparent la Juve de son rival napolitain. Un gouffre. L’année dernière, à la même époque de l’année, les Turinois, déjà en tête de la Serie A, comptaient 9 longueurs d’avance sur ces mêmes Napolitains. Mais c’est là tout le paradoxe : Naples affichait 59 points au compteur. Cette année, ils en ont deux de plus, soit 61, et sont pourtant à 20 unités du leader. La faute à qui ? À une Juve trop forte pour ses rivaux ? À une Serie A dont le niveau général glisse dangereusement vers le bas ? Ou, comme le crient certains acharnés, à des arbitres qui ont déjà choisi leurs favoris ?

Tout est joué

Voilà la situation telle qu’elle est aujourd’hui. La Juve est 1re, avec 14 points d’avance sur la Roma, 2e. À moins d’un bouleversement des astres ou d’une épidémie de gastro très tenace, elle sera sacrée championne d’Italie pour la trentième fois d’ici quelques semaines. La Roma, elle, compte 6 longueurs d’avance sur le Napoli, avec un match en moins, en ayant pourtant perdu la confrontation directe au San Paolo. À moins d’un cataclysme, donc, elle terminera à la deuxième position et se qualifiera directement pour la Ligue des champions. Le Napoli, pour sa part, affiche une confortable avance de 10 points sur la Fiorentina. À moins d’une grève des joueurs ou d’une interdiction immédiate de faire jouer tous les joueurs sud-américains, l’équipe de Benítez terminera donc à la troisième position, et se qualifiera pour le tour préliminaire de la Ligue des champions. Le constat est amer. Fin mars, tous les postes importants sont déjà attribués. Il reste bien la qualification en Europa League. Mais a-t-on réellement envie de se passionner pour une lutte pour la sixième place ? D’autant que même les équipes concernées ont l’air de s’en foutre. La Fiorentina, l’Inter, la Lazio… Toutes ces équipes alternent victoires et défaites sans aucune logique, à tel point que l’on pourrait se retrouver, au bout du compte, avec un invité surprise comme Parme ou l’Atalanta en C3. Rigolo pour les tifosi, mais pas forcément une bonne nouvelle pour le football italien.

Disons les choses comme elles le sont. La Serie A, on l’aime, on la chérit, on la suit avec passion chaque semaine, on la défend envers et contre tous, on la protège face aux railleries, on la considère comme le dernier bastion du football romantique. Mais force est de constater que cette saison, particulièrement, la passion s’estompe. Oui, on se ferait même légèrement chier. Pas toujours, attention. Sur quelques matchs, des équipes comme la Juve, la Roma ou le Napoli, sont capables de régaler. Mais combien de fois ? Sur les 301 matchs de Serie A qui ont eu lieu depuis le début de la saison, combien de fois a-t-on pu s’extasier sur le spectacle offert ? Et lorsque l’on parle spectacle, on ne parle pas seulement de ce qui se passe sur le terrain. On parle d’un tout. D’une ambiance. D’un public survolté. De gradins colorés. On parle d’un Napoli-Juventus en 1985, celui où Maradona marque « le plus beau coup franc de l’histoire » . Celui où le San Paolo n’était qu’une fumée bleue et blanche. On parle d’un derby romain de la fin des années 90, où 80 000 personnes se pressaient au stadio Olimpico pour venir voir jouer les meilleurs joueurs du monde. Alors, cette saison, combien de fois les tifosi ont-il pu repartir du stade avec des étoiles plein les yeux, fiers de pouvoir dire : « J’ai assisté à un match de Serie A, un putain de match de Serie A » . La réponse est là, sous les yeux de tous. Trop, trop peu de fois.

Où sont les tifosi ?

C’était dimanche dernier. 21h. Sur une chaîne, Catane-Juventus. Le leader de Serie A face au dernier. Sur une autre, Lazio-Milan. Deux équipes au passé prestigieux mais aujourd’hui en difficulté. Sur une dernière, Real Madrid-Barcelone. Zapper de l’un à l’autre était un crève-cœur pour les tous les adeptes du football italien. D’un côté, deux matchs au rythme d’une lenteur abominable, avec des occasions qui se comptent sur les doigts d’une main et trois buts, dont un contre-son-camp. De l’autre, du football à mille à l’heure. Sept buts, les meilleurs joueurs du monde qui s’affrontent. Deux galaxies diamétralement opposées. La Ligue des champions d’une part, le tour préliminaire de la C3 de l’autre. Évidemment, on prend là les opposés. Pas sûr qu’un Osasuna-Valladolid ou qu’un Fribourg-Stuttgart soit plus enjoué et passionnant qu’un Lazio-Milan, aussi peu rythmé soit-il. Mais quand même, il y a de quoi se poser de vraies questions sur ce football italien, qui passionne de moins en moins les foules.

Car sur les gradins, c’est loin d’être la fête aussi. Depuis le début de la saison, le taux de remplissage des stades de Serie A ne s’élève qu’à 52,1%. L’an dernier, il était de 55,4%. L’écart n’est pas énormissime, mais cela reste tout de même une baisse, alors qu’en début d’année, on annonçait des abonnements en hausse (notamment chez la Fiorentina) et que l’on s’attendait à un retour des tifosi au stade. Tu parles. Ceux de Cagliari n’ont qu’une seule tribune à disposition (4000 supporters de moyenne cette saison, c’est moins que 15 clubs de Ligue 2 et que 12 clubs de troisième division allemande), ceux de la Roma sont moins nombreux que l’année dernière alors que leur équipe réalise un championnat sublime (38700 de moyenne cette année, 39900 l’an passé) et ceux de la Lazio ont carrément décidé de déserter le stade jusqu’à la fin du championnat, pour protester contre leur président. Et pourtant, l’Italie demeure l’un des pays les plus férus de foot. Il suffit de se rendre au café du coin pour s’en rendre compte. Mais alors, rendez-nous la passion bordel, rendez-la nous…

Saint et anomalie

Enfin, un dernier point insupportable. Cette manie de tout le temps, tout le temps, tout le temps parler des arbitres. On sait que l’Italie aime les polémiques. Mais cette saison, on atteint des sommets. Les Unes du Corriere dello Sport, notamment, sont en permanence dédiées aux erreurs arbitrales. Il règne ainsi un climat où tous les regards sont braqués sur ces pauvres hommes en jaune fluo qui, certes, commettent des erreurs, mais qui portent sur les épaules une pression ahurissante. Ainsi, quand un coach comme Donadoni évite les questions insistantes d’un journaliste de Sky qui voulait absolument lui faire dire que son équipe avait perdu contre la Juve à cause des arbitres, il passe pour une anomalie. Ou pour un saint. Parce que tous les autres (présidents, entraîneurs) tombent dans le panneau, entrent dans le jeu, accusent, et continuent de faire régner cette atmosphère détestable. Il serait temps de prendre un peu de recul et de regarder la vérité en face.

C’est bien beau de se prendre le bec pendant une semaine pour un hors-jeu de 3 millimètres, ou de suspendre des virages pour des chants ou des banderoles (ça, c’est encore un autre débat). Mais le fait est qu’à force de se focaliser sur ce genre de problèmes, on en oublie l’essentiel : faire vivre et rayonner le football italien. Et autant le dire, cette vie est de plus en plus vacillante. Le meilleur club italien, ce même club qui se présentera ce soir avec 20 points d’avance chez un rival direct, est le seul à être encore en lice en Coupe d’Europe. Et même pas en Ligue des champions, compétition où, depuis l’Inter de Mourinho, aucun club transalpin n’a fait mieux qu’un quart de finale. Alors, peut-être que la Juve gagnera la C3. Cela serait une belle bouffée d’oxygène. Mais cela n’enlèvera rien au fait que le football italien vit là de sombres heures. Et qu’il faudrait une sacrée remise en question générale pour sortir du tunnel.

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Eric Maggiori

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