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Edinson Cavani est-il vraiment un numéro 9 ?

Par Markus Kaufmann
Edinson Cavani est-il vraiment un numéro 9 ?

« Pour un attaquant habitué à conclure les actions, habitué à marquer et qui, aujourd'hui, doit accomplir d'autres tâches, non, ce n'est pas facile, c'est vrai. Avec le temps, ça commence, disons, à être un peu pesant. » En avril dernier, Edinson Cavani parle comme l'avant-centre qu'il a toujours eu envie de devenir, et donc comme un homme déçu. Le lendemain de ces déclarations, il se rate devant tout le monde à Stamford Bridge. Et son début de saison suit la même pente : quatorze tirs, un seul but, malgré l'absence d'Ibra. Alors, le Matador est-il vraiment un avant-centre ?

Avril 2009. Le Palermo de Cavani rencontre le Bologna de Marco Di Vaio. Alors entraîneur de Parme, Francesco Guidolin – l’homme qui a fait débuter Cavani en Serie A – parle des deux joueurs au quotidien La Repubblica. « Pour moi, Cavani reste une « pointe extérieure ». Même quand il joue milieu droit, c’est l’un des meilleurs, il avait même marqué comme ça à Zurich en match amical. Je sais qu’il préfère se définir comme un avant-centre, mais il est évident qu’il réussit à donner le meilleur de lui-même en partant du côté droit. D’ailleurs, ses plus grandes qualités sont l’agilité, la vitesse et le fait de savoir s’insérer dans les espaces. Cavani et Di Vaio ont des caractéristiques similaires. Ils savent parfaitement utiliser les appels et font très mal quand ils sont lancés de loin. Par contre, dos au but, ils ont tous les deux des difficultés. » Guidolin s’y connaît en numéros 9. C’est sous son règne dans le Frioul que Di Natale a écrit les plus belles lignes de son histoire. Une histoire de buts plus que de titres, que Cavani aimerait certainement répéter à Paris.

Une envie de 9, une trajectoire de 7

Ainsi, à Palerme, Edinson a passé la majeure partie de son expérience sicilienne à droite de Miccoli et Amauri, puis à droite de Miccoli tout court. Arrivé à Naples, Walter Mazzarri le met à la pointe de son système de coureurs. Il est le finisseur des Trois Ténors, aux côtés de Lavezzi et Hamšík. Une première saison à 26 buts, derrière les 28 de Di Natale. Et un triplé contre la Juve. Une deuxième saison à 23 buts, derrière les 26 de Di Natale. Et un triplé contre le Milan. Et enfin une troisième saison à 29 buts, tout seul en haut du classement des buteurs. En Italie, au pays de la défense, là où les buteurs n’ont pas la place, là où seuls Batistuta, Shevchenko, Trezeguet et Crespo ont triomphé, Cavani entre dans la cour des grands avec ce titre de Capocannoniere. En Italie, il était cet ailier replacé dans l’axe. Partout, il avait porté le 7. En France, il veut d’emblée être considéré comme un buteur racé. Sur les terres d’Ibra, il choisit le 9. Mais ses prestations n’appuient pas la thèse de la transformation totale : si Cavani est bon, ça n’est pas dans la surface qu’il est le meilleur.

Son expérience parisienne confirme même les propos de Guidolin : de Cavani, le PSG apprécie la création d’espaces, les appels, le sacrifice défensif et les centres, aussi. En revanche, le 9 déçoit dans ses mouvements autour de la surface, et dans la finition. Pas assez tueur, pas assez Matador, pas assez avant-centre. Sous pression à Stamford Bridge, il ne tue rien du tout. Comme avec le Napoli dans le même stade en 2012. Bilan de la première cohabitation : 25 buts en 43 matchs (16 en Ligue 1). En partant du côté droit, c’est plutôt de jolis chiffres. Mais pendant ce temps-là, Ibra vole bien au-dessus à 41 célébrations en 45 matchs. Ainsi, malgré les victoires, comme Ibra au Barça, Cavani ne semble pas à l’aise. La semaine dernière à Évian, bis repetita. Cavani glisse dans la surface là où Pauleta aurait marqué pieds nus, puis tire sur Hansen. Son début de saison (14 tirs, 1 but) jette de nouveaux doutes sur son rôle naturel. Si sa préparation tardive peut expliquer certaines choses, ce n’est pas la première fois que la Ligue 1 le voit faire des mouvements maladroits près du but. Comme s’il se forçait pour appartenir à cette caste des 9.

Peut-on vraiment « devenir » numéro 9 ?

Cavani a toujours accepté de jouer sur le côté. Un sacrifice fait de garra charrúa d’origine indienne, ce style de jeu typiquement uruguayen. Pour son pays, lors du dernier Mondial, il a même accepté de jouer milieu tout terrain, alors que Luis Suárez distribuait les coups devant. Cela mène à deux réflexions. D’une part, est-il possible de courir autant et de marquer beaucoup ? Si l’une des principales qualités du numéro 9 est le sang-froid, celui-ci est forcément mis en péril plus l’effort physique est important. Certains arrivent à combiner les deux, dans la forme de leur carrière, comme Diego Costa et Lewandowski. Mais pressing et récupération riment rarement avec finition. Plus Fernando Torres a progressé dans le premier registre, plus il a peiné dans le second. Forcément, le 9 aime vivre près du but, le sentir, le regarder, comme s’il le surveillait.

D’autre part, les autres, les vrais grands 9, Batistuta, Crespo, Ronaldo, Klose, Falcao, Inzaghi, Van Nistelrooy, Milito n’ont jamais joué sur le côté. Ils sont 9 parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Ils sont nés pour ça. Cavani, lui, affirmait en avril à L’Équipe : « Je ne suis pas un 9 classique, un 9 vraiment 9. J’aime bouger sur tout le front de l’attaque, être capable d’anticiper ce que fera l’autre attaquant s’il est un peu plus statique que moi, mais aussi faire des courses défensives, aider l’équipe dans cet aspect du jeu. Ce sont mes caractéristiques. » Tout tient dans ces mots. Cavani admet jouer en fonction de l’autre attaquant, alors qu’un vrai numéro 9 joue en fonction du ballon. Cavani parle sans cesse de jouer pour l’équipe, alors qu’un vrai numéro 9 joue pour le but.

Quelle cohabitation avec Ibrahimović ?

Le débat s’est invité dans les cafés parisiens dès les premières rumeurs de transfert : Ibra et Cavani sont-ils compatibles ? Alors que le PSG évoluait sur la fin de l’ère Ancelotti en 4-4-2 et qu’Ibra avait déjà évolué dans ce système à l’Inter, aux côtés d’Adriano, Crespo ou Julio Cruz, Blanc impose malgré tout le 4-3-3 et décale Cavani à droite. La situation de Cavani est comparable à celle de Samuel Eto’o à son arrivée à l’Inter en 2009. Milito avait fait l’intégralité de la préparation, et avait été choisi comme la seule pointe de Mourinho. Une saison à gauche pour le Camerounais, entre sacrifice, ratés importants (contre le Milan et la Juve), et 12 buts en Serie A. Quand les rôles sont différents, il y a toujours un sacrifié. Pour que les rôles soient équilibrés entre les deux buteurs, il faut qu’aucun des deux joueurs n’ait l’exclusivité sur l’axe, et qu’une entente particulière ou un respect mutuel force un partenariat. C’est le modèle de la paire Suárez-Sturridge, ou évidemment la chemistry de Dwight Yorke et Andy Cole. De 1998 à 2000, les numéros 19 et 9 marquent 53 et 46 buts.

En septembre 2009, au moment de la retraite de Yorke, Andy Cole avait évoqué ce partenariat : « Quand Yorkie est arrivé, tout le monde disait qu’il venait pour me remplacer, mais je ne voyais rien de mal à essayer de l’aider pour qu’il se sente bien au club. Je suis sorti de mon rôle de concurrent pour lui montrer où il fallait habiter, l’inviter à dîner, et notre partenariat est né comme ça. (…) Une fois que l’on se connaissait, si l’un de nous ne marquait pas, l’autre le faisait toujours. On changeait notre jeu en fonction de l’opposition : je faisais les longs appels, il s’occupait de la surface. Personne ne savait comment défendre sur nous. » Puisque Zlatan ne lui offrira pas le poste, Cavani doit se gagner le droit de jouer à armes égales avec le Suédois. Pour cela, il doit convaincre tout le monde que ses mouvements dans la surface sont plus indispensables que ses courses sur le côté, parce que généralement, l’histoire sait mettre les choses à leur place. En 2010-2011, c’était au tour de Milito de se blesser. Eto’o s’installa dans l’axe, pour une saison d’avant-centre à 37 buts toutes compétitions confondues. Cavani a quelques matchs pour marquer son territoire, comme le font les félins. Comme l’avait fait Eto’o. Sinon, il ne lui reste plus qu’à continuer à courir comme un numéro 7.

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