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Ederson, Raging Bull
Encapuché depuis l’été dernier dans le peignoir de deuxième gardien le plus cher de l’histoire du foot, le gardien de Manchester City est rapidement devenu l’un des ouvriers les plus importants du système Guardiola. Ou comment être aujourd’hui la représentation d’une race qui ne se cache plus : les faux 1.
S’asseoir quelques minutes, profiter, échanger. Scène lunaire à Selhurst Park dimanche, mais incroyablement rafraîchissante dans les dernières minutes du combat sans mouche entre Crystal Palace et Manchester City (0-0), qui aura vu Kevin De Bruyne se faire découper par Jason Puncheon, mais aussi Gabriel Jesus sortir dès la mi-temps en sanglots : derrière la ligne, Roy Hodgson et Pep Guardiola ont décidé de vivre la fin de la rencontre ensemble, pour « échanger » . De quoi peuvent bien parler deux entraîneurs, adversaires par essence, en pleine rencontre ? « On s’est dit deux ou trois mots, ce qu’on n’a pas toujours le temps de faire après les matchs » , glissera l’Anglais.
Héros à Crystal Palace
Peu importe, le papy du Royaume peut faire sauter les codes : pour la première fois depuis le 27 avril 2017, Manchester City vient de boucler une rencontre de Premier League sans marquer un but et Palace vient surtout de mettre fin à une série délirante de 18 victoires consécutives en championnat du monstre créé par Guardiola. C’est tout ? Non, Crystal Palace, qui a bouclé l’année entre la bave et les gants, aurait même pu s’imposer si Luka Milivojević avait transformé un penalty filé par Jon Moss dans les arrêts de jeu. Ou plutôt si Ederson ne l’avait pas sorti. Le même Ederson qui sortira de table, dans la foulée, les poings serrés et avec un nouvel adversaire au bout de ses crochets.
Trajectoire parfaite que celle dessinée par un gardien hier espoir, aujourd’hui âgé de 24 ans, depuis son arrivée à Manchester l’été dernier dans la peau de deuxième portier le plus cher de l’histoire du foot (derrière Gianluigi Buffon) et sous un surnom brut : « The Bull » . Pour le comprendre, il faudrait se repasser les images d’une première partie de saison où le Brésilien a couché onze clean sheets en 21 matchs de Premier League, tout en n’encaissant que douze petits buts. Oublions les chiffres, regardons un point de bascule : depuis le début de sa carrière d’entraîneur, Pep Guardiola a fait du poste de gardien un projet en perpétuelle évolution. Non, Neuer n’a pas révolutionné le poste, Guardiola l’a fait, lui, en n’intégrant pas seulement le gardien à l’équipe, mais en le plaçant à la base de la construction de son jeu, rendant son football dépendant d’un profil parfait dans les buts.
Si City a échoué la saison dernière, c’est en partie à cause de ça, et la saison d’un grand club varie aussi en fonction de ce détail qui n’en est pas un : dans une équipe qui démolit tout le monde depuis plusieurs mois, où le projecteur n’est quasiment jamais tourné vers le gardien, même en Angleterre, Ederson a su être décisif là où Claudio Bravo et Willy Caballero ont échoué l’an passé, notamment lors des confrontations directes face à Chelsea par exemple. En quelques mois, le gosse d’Osasco, sa trentaine de tatouages et sa gueule de star du reggaeton a, dans ce sens, confirmé à quel point l’acquisition d’un gardien compatible était essentiel à la réussite du projet Guardiola.
Gloire au sacrifice
Décisif, l’international brésilien l’a d’abord été dans son rôle d’homme différent, impénétrable, de mur : gardien, pion solitaire d’un ensemble où l’on a vu Ederson sacrifier sa tête dans les crampons de Sadio Mané, sortir une frappe de Lukaku de la joue, sauver City d’une éventuelle première défaite cette saison ce week-end grâce notamment au travail minutieux avec l’entraîneur des gardiens des Citizens, Xabier Mancisidor – les deux hommes étudient les potentiels tireurs de penalty de chaque équipe avant chaque rencontre en compagnie de Claudio Bravo, et Ederson a par exemple sorti une tentative de Mertens en C1… Puis, la construction, évidemment, argumentaire principal de son arrivée en Angleterre. Cette saison, Manchester City possède enfin un vrai premier relanceur, un gardien capable de relancer avec une précision au millimètre et de servir le jeu sucré de la troupe grâce à son passé dans le champ. Une spécificité Guardiola, là aussi comme l’expliquait il y a quelques mois Oier Olazábal, ancien gardien du Barça B, à L’Équipe : « Avec Guardiola, j’ai dû jouer plus haut et relancer dans les pieds. Au début, ça me rendait fou, mais, après, j’ai vu que ça marchait. Quand tu vois que ce que te dit le coach fonctionne, ça te motive, tu en redemandes. C’est comme ça qu’il arrive à rentrer dans la tête des joueurs. »
Comme ça aussi que Pep Guardiola a fait évoluer le cerveau de son actuel gardien, lui qui a été façonné à Benfica où il ne comprenait, au départ, « rien à la tactique » . Voilà aujourd’hui Ederson aux manettes de la meilleure défense d’Angleterre, au départ de la meilleure attaque et en représentant de la meilleure équipe du continent dans un rôle de faux 1 créé progressivement par Guardiola dont le schéma est aujourd’hui un véritable 5-3-3 où le Brésilien est une sorte de libéro moderne. Une position où l’erreur est proscrite, l’à-peu-près interdit. Un endroit où l’on doit aussi être sans pitié : ce qu’Ederson a réussi à faire comprendre à une défense aujourd’hui presque réglée, à l’heure de recevoir Watford où bosse Hugo Oliveira, son mentor à Lisbonne, et à un pays qui doutait de lui au moment de son recrutement l’été dernier. Difficile de trouver meilleure réponse à un José Mourinho qui a osé lui demander récemment lors d’une joute d’eau minérale à Old Trafford qui il était. Sans aucun doute l’avenir.
Par Maxime Brigand