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Éder, ou l’altruisme d’un homme

Par William Pereira
Éder, ou l’altruisme d’un homme

Souvent moqué pour sa Coupe du monde 2014 catastrophique, copieusement sifflé par le public portugais à de nombreuses reprises cette année, l’attaquant du LOSC sent désormais que le vent tourne, bien qu’il ne devrait occuper qu’un rôle de joker pendant l’Euro. Moins de railleries, plus de silence. Les gens auraient-ils compris l’incompris ?

Éder est un Portugais comme un autre. La preuve, il s’est très vite montré efficace au travail dans son nouveau pays. En seulement 13 rencontres, le nouvel attaquant du LOSC a planté six banderilles et délivré quatre caviars. Son adaptation éclair à la France se vérifie tout aussi bien hors du rectangle vert. C’est que le natif de Bissau a déjà fait connaissance avec une certaine partie de la culture contemporaine hexagonale. De fait, Éder dit « connaître un peu Top Chef » , qu’il a promis de « regarder plus souvent la prochaine fois pour améliorer(s)on français et(s)’en inspirer pour(s)es prochains plats » et s’être mis au rap local. « Ce sont mes coéquipiers qui m’ont fait écouter du rap français. En ce moment, j’aime bien écouter du MHD » , balance le numéro 9 de la Selecção, dont l’amour du hip-hop ne date pas de la dernière pluie. Jonathan Bru, ancien coéquipier de l’international portugais du temps où ils évoluaient à l’Académica, l’a très vite compris à ses dépens. « Il m’appelait « bump, bump, bump » en référence à la célèbre chanson de B2K, parce qu’il trouvait que je ressemblais à Omarion » , se marre le Mauricien, avant de rappeler que « d’ailleurs, Éder a copié ma coupe de cheveux de l’époque et ne l’a jamais lâchée ! » Le joueur formé au Stade rennais aime également souligner l’altruisme de son ancien camarade. « Il me laissait les clés de sa voiture, un Audi Q7, quand j’en avais besoin… Et puis on allait toujours chez le coiffeur ensemble. Un jour, je suis allé me faire des tresses, ça a pris trois heures. Éder est resté jusqu’au bout alors qu’il n’y était pas obligé. » Donner sans attendre en retour, y compris sur le terrain. Et si c’était ça, la patte Éder ?

« Meilleur passeur que buteur »

L’intéressé ne le nie pas : « Je pourrais être plus égoïste. Je sais que pour un attaquant, c’est important de marquer des buts. » Mais il y a un mais. « Dans mon monde, donner une passe décisive est aussi important que marquer un but. Peu importe que ce soit toi ou ton coéquipier qui marque, l’important c’est qu’il y ait but » , rappelle sobrement l’ancien buteur de Braga. « C’est un attaquant généreux, meilleur passeur que buteur, ce qui ne l’empêche pas de savoir marquer » , renchérit Pedro Emanuel, qui l’a entraîné à l’Académica. Jonathan Bru, lui, aimerait que son ami « trouve l’équilibre entre être au service du collectif et ne pas toucher de ballon » , même si « quand tu as un joueur comme Cristiano Ronaldo dans ton équipe, tu es obligé de construire ton plan de jeu autour de lui » , dit-il, en rapport à la situation d’Éderzito au sein de la Selecção, dans laquelle il ne jouera sans doute guère plus que le rôle de joker, à en juger par les amicaux de préparation à l’Euro.

« Éder mérite un peu plus de respect »

Éder le sait, il n’a pas le talent de son Ballon d’or de coéquipier ni celui de Robert Lewandowski, pas plus qu’il n’en a le melon, à en croire Romuald Peiser, qui l’a aussi croisé à Coimbra. « D’habitude, les attaquants sont des fortes personnalités, mais Éder, lui, est très humble. » Trop ? Sans doute. Quand, à l’occasion d’un amical contre la Belgique, il fait l’objet de railleries et sifflets après avoir complètement foiré un contrôle sur la ligne de touche, l’attaquant du Portugal ne bronche guère. Aujourd’hui encore, il préfère botter en touche. « Je pense qu’il est impossible d’être aimé de tous, même si nous, joueurs, avons besoin d’être soutenus. La seule chose que je puisse faire, c’est de continuer à bosser pour m’améliorer. »

C’est donc le directeur de la FPF, João Vieira Pinto, qui doit monter au créneau à sa place. « Je pense qu’Éder mérite un peu plus de respect. S’il représente le pays, c’est que le sélectionneur reconnaît ses qualités. » Manque de pot, la gueulante ne calme qu’une partie des mécontents qui sont prêts à accepter n’importe qui en pointe de la Selecção, pourvu que ce ne soit pas le Lillois. « Je comprends les gens qui disent qu’il est maladroit. Mais franchement, le profil qui manque le plus au Portugal est celui d’Éder. Ce n’est pas avec un 4-4-2 avec Nani et CR7 en pointe qu’ils gagneront l’Euro » , s’agace presque Vincent Sasso, ancien coéquipier du buteur à Braga.

Quand Éder humiliait Carrick à Old Trafford

Aux origines de la vindicte populaire se trouve la Coupe du monde 2014. L’échec du Portugal a cristallisé autour de deux éléments. Cristiano Ronaldo, de par son statut de Ballon d’or, et donc Éder, parce que ce dernier a failli à un poste avec lequel les Portugais sont paradoxalement plus exigeants. Certes, il avait été particulièrement mauvais au Brésil, mais sa saison avait été largement hachée par les blessures, ce qui est loin d’être un détail pour un joueur dont les principales qualités sont physiques. « Quand il est en forme, il court pendant 90 minutes. Il presse et défend énormément. Il revient aider l’équipe sur les corners défensifs. C’est fatigant pour un défenseur d’avoir à gérer un type comme ça » , analyse Romuald Peiser. Le portier des Fury d’Ottawa voit néanmoins dans les vertus tactiques de son ancien pote la cause possible des maux dont ce dernier est accusé. « Avec nous, il ratait des buts tout faits parce qu’avant ça il était venu tacler aux 16m50, avant de lancer l’action et de faire un appel sur 60 mètres. »

Le buteur du LOSC est-il nul avec ses pieds comme le pense le public lusitanien, ou a-t-il simplement du mal à canaliser son énergie, comme le prône Peiser ? Vincent Sasso a plutôt tendance à confirmer la théorie de son compatriote. « Franchement, il est bon techniquement. Il n’a pas la maîtrise des meilleurs à son poste, mais il a une très bonne remise, contrôle-passe, il maîtrise et il a un bon jeu de tête… J’ai un souvenir d’une action en Ligue des champions à Old Trafford où il ridiculise Carrick avec un geste qui te prouve qu’il a un certain bagage technique. »

Départ du foyer et passage en pro compliqués

Mais le mystère d’Éder ne se résume pas à quelques kilomètres parcourus en trop. Comme tous les joueurs, le natif de Bissau a besoin d’être soutenu mentalement par ses entraîneurs. « À l’Académica, avant que j’arrive, il y a eu un manque de confiance vis-à-vis de lui qui l’a beaucoup pénalisé » , regrette Pedro Emanuel. « André Villas-Boas a aussi su le remettre en confiance l’année d’avant, et il s’était remis à marquer » , corrige Jonathan Bru. L’idée reste la même. Le Portugais brille quand il se sent soutenu et s’éteint quand on ne lui prête pas assez d’attention. Un manque de confiance qui date sans doute de son départ du foyer familial pour un pensionnat de Coimbra à seulement 13 ans. « Quand vous êtes petit, vous avez besoin du soutien de vos parents. Et quand ils sont continuellement absents, cela rend votre quotidien continuellement difficile. Mais j’ai pris sur moi et ai su grandir rapidement. Avec les autres gamins du pensionnat, on se soutenait mutuellement, parce que si l’on ne le faisait pas, qui d’autre pouvait le faire » , raconte l’international portugais, dont la galère a duré jusqu’au passage chez les professionnels. « La transition entre les catégories de jeunes et les pros a été difficile pour moi et, pour ne rien arranger, j’ai eu une grosse blessure qui m’a fait douter. Pendant cette période, je ne pouvais pas toucher au ballon, alors je courais, encore et encore. Je ne faisais que ça, même la nuit. Je n’ai jamais abandonné. » Quand on demande à Éder quel est son meilleur souvenir de footballeur professionnel, il n’est donc guère étonnant de l’entendre rétorquer que « le simple fait d’être chez les pros » l’emplit de joie. De quoi limiter ses ambitions ? Pas vraiment. « Je veux marquer encore plus de buts l’année prochaine. C’est la vie d’un attaquant. » Tremble, France.

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