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Éder, histoire d’une romance italo-brésilienne
Formé à Empoli, révélé à la Sampdoria, Éder est aujourd'hui, presque inexplicablement, titulaire sur le front de l'attaque de l'Italie. Un beau pied de nez à ses détracteurs, et surtout la suite d'une belle histoire qui a débuté il y a plus de cent ans, en Italie, et qui s'est poursuivie pendant un siècle de l'autre côté de l'Océan, au Brésil. Portrait.
14 juin 1982. Le Brésil affronte l’URSS pour son entrée en lice au Mondial 82. Le score est bloqué à 1-1 après des buts de Bal et Sócrates. 88e minute. Le génial Sócrates laisse filer le ballon entre ses jambes à l’entrée de la surface. Derrière lui, Éder Aleixo déboule, contrôle et envoie un caramel du droit dans la lucarne. 2-1, le Brésil s’impose au buzzer dans la ferveur générale. 17 juin 2016. 34 ans se sont écoulés, mais le chronomètre s’arrête à nouveau sur cette même 88e minute. Le maillot n’est plus jaune, mais bleu. Mais le résultat est le même. Un certain Éder perfore la défense de la Suède et délivre l’Italie d’une frappe du droit. 1-0, la Nazionale est en huitièmes de finale de l’Euro. D’un Éder à un autre. Son fils ? Non. L’Éder italien se nomme juste Éder en honneur du Brésilien Éder Aleixo, dont son paternel était fan. Il est d’ailleurs né en 1986, au moment où Éder Aleixo était au top de sa carrière avec l’Atlético Mineiro.
Changement de nom
Mais pour raconter l’histoire d’Éder, l’actuel attaquant de la Nazionale, il faut remonter bien avant 1986, et même bien avant 1982. Cette histoire débute à Longarone, au tout début du XXe siècle. Fontana Bez, une jeune femme née dans cette commune de Vénétie de 5 400 habitants, décide, comme beaucoup d’Italiens et d’Italiennes, de partir immigrer au Brésil pour y trouver une nouvelle vie. C’est l’historien Marcello Mazzucco qui raconte la suite. « L’arrière-grand mère d’Éder est arrivée dans la ville de Lauro Müller, au Brésil, une ville de la région de Santa Cantarina. Puis elle a vécu à Urussanga, juste à côté. C’est là qu’elle va rencontrer son futur mari, Gianbattista Righetto, un autre immigré italien qui était originaire de Nove di Bassano del Grappa et qui avait quitté l’Italie à l’âge de 13 ans, en 1891. Pour mieux s’intégrer, il avait changé son nom italien en un nom brésilien et se faisait appeler Edens Citadin Martins » raconte-t-il.
Curiosité, le lien entre Longarone, ville d’origine de Fontana et Bez, et Urussanga, sa ville d’adoption, est toujours très fort aujourd’hui. À tel point qu’un jumelage existe entre les deux communes depuis 1991, et qu’une « Association des amis d’Urussanga » a également été fondée à Longarone par Marcello Mazzucco. Urussanga, donc. C’est là que Fontana Bez et Gianbattista Righetto, nos deux immigrés italiens, se marient et fondent une famille. Leurs enfants et petits-enfants sont complètement intégrés dans la culture brésilienne. Mais un de leurs descendants va les ramener à leurs origines italiennes. Le 15 novembre 1986, toujours à Lauro Müller, la femme d’Eloi Martins, petit-fils de Fontana et Gianbattista, donne naissance à un petit Éder Citadin Martins, soit quasiment un homonyme du nom d’adoption brésilien son arrière-grand-père. Comme un signe du destin.
Le 43e Oriundo
Peut-être à cause de ce nom qui le ramène à son arrière-grand-père venu d’Italie un siècle auparavant, Éder va, dès son plus jeune âge, être attiré par la culture italienne. Il commence à jouer au foot très jeune et intègre le club de Criciúma (D3 brésilienne) toujours dans cette même région de Santa Catarina. Des émissaires de clubs italiens commencent alors à s’intéresser à lui, et en particulier Empoli. À l’été 2005, les dirigeants d’Empoli le font signer pour 550 000 euros. Éder fait alors ses bagages, et, un peu plus de 100 ans après ses ancêtres italiens, effectue le voyage inverse. En Italie, à ses débuts, il n’est à aucun moment considéré comme italien. Ce n’est que quelques années plus tard, après sa saison folle en Serie B à Empoli (27 buts en 40 matchs en 2009-10) que ses origines italiennes remontent à la surface dans la presse. Justement à une époque où le débat sur les Oriundi a repris de plus belle.
Empoli, Brescia, Cesena, et enfin la consécration à la Sampdoria, où il devient un point fixe de l’attaque génoise. À tel point qu’en mars 2015, Antonio Conte profite de sa double nationalité pour le convoquer en équipe nationale. Les Italiens se demandent alors pourquoi un nouvel Oriundo, le 43e de l’histoire de la Nazionale, est appelé à la place d’un « vrai Italien » . Éder leur répond sur le terrain : pour son premier match avec l’Italie, face à la Bulgarie en éliminatoires de l’Euro 2016, il entre en jeu à la 58e minute alors que l’Italie est menée 2-1, et égalise à la 84e. Il ne bougera plus du groupe de Conte, et ce, malgré son transfert clairement décevant à l’Inter en janvier 2016 (un but en 14 matchs).
Ce vendredi, face à la Suède, après 180 minutes sans convaincre dans cet Euro, Éder est ainsi sorti de sa boîte et a qualifié l’Italie pour les huitièmes. À Longarone, les 5 400 habitants célèbrent ça comme « la réussite d’un enfant du pays » , et Marcello Mazzuco a déjà proposé au maire, Roberto Padrin, d’inviter prochainement Éder à visiter la ville où son arrière-grand-mère a vécu. Là où son histoire a commencé.
Par Éric Maggiori
Propos de Marcello Mazzuco recueillis dans le Corriere delle Alpi