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Dynamo Kiev-Rennes : À Cracovie, le foot comme échappatoire à la guerre en Ukraine

Par Clément Gavard, à Cracovie
Dynamo Kiev-Rennes : À Cracovie, le foot comme échappatoire à la guerre en Ukraine

Après sa défaite contre Rennes ce jeudi soir, le Dynamo Kiev est toujours bloqué à zéro point après quatre journées de Ligue Europa, mais ce n'est pas le plus important pour un club sans domicile fixe, dont le quotidien est chamboulé par la guerre en Ukraine. À l'image de millions de personnes au pays comme à Cracovie, en Pologne, à une centaine de kilomètres de la frontière où de nombreux réfugiés ukrainiens se sont installés ces derniers mois. Pour eux, et pour de nombreux sympathisants, ce match de foot était une occasion de se rassembler et de manifester un soutien teinté de bleu et jaune à leur pays meurtri par ce conflit. Reportage.

En arpentant les rues de Cracovie, de la grande place Rynek Główny au majestueux château du Wawel surplombant la ville et la Vistule, deux lieux emblématiques attirant les touristes, même au mois d’octobre, il semble presque impensable que la guerre soit le quotidien du pays voisin. Ce lundi, à un peu plus de 300 kilomètres, Lviv, située dans l’ouest de l’Ukraine et épargnée par les combats avec l’armée russe depuis le début du conflit, a été la cible de plusieurs bombardements. La veille, le Dynamo Kiev, dont les dernières rencontres de championnat à domicile ont été délocalisées à Lviv, avait vu son match contre Rukh (3-0) interrompu après 79 minutes de jeu pendant 1h30 sous les sirènes annonçant la menace d’une attaque aérienne. « On doit jouer pour maintenir l’enthousiasme dans cette situation difficile, avait répondu sobrement l’entraîneur Mircea Lucescu la semaine dernière lors de sa venue à Rennes. C’est le plus important, maintenir la motivation pour faire vivre le football. Le football ne doit jamais s’arrêter. Si on aime ce sport, ce n’est pas dérisoire. » À Cracovie, sans que le match Dynamo Kiev-Rennes ne soit un événement dans la ville, cette soirée de jeudi aura été une occasion pour le club de la capitale ukrainienne, ses quelques supporters, des réfugiés et des sympathisants de manifester leur soutien (et leur fierté) pour un pays meurtri par la guerre.

Nous passons trois jours à un endroit, puis trois jours à un autre. Nous n’avons plus d’endroit à nous. Nous jouons chaque jour sur un terrain d’entraînement différent, nous vivons chaque jour dans un hôtel différent.

Un club sans domicile fixe

Comment jouer au foot dans un tel contexte ? La question se pose et le Dynamo Kiev, comme de nombreux clubs ukrainiens, tente de trouver les meilleures réponses depuis la reprise des compétitions au mois d’août après des mois sans matchs officiels. Après quatre journées dans le groupe B de Ligue Europa, la bande de Tsygankov n’a toujours pas pris de point, mais ce n’est pas étonnant ni important. « Il faut leur rendre hommage. Réaliser une telle performance comme ils l’ont fait ce soir compte tenu du contexte et de la situation, c’est admirable, insistait Bruno Genesio ce jeudi soir après le succès étriqué du Stade rennais (0-1). J’ai presque plus envie de les féliciter eux que mon équipe. » Les Ukrainiens font comme ils peuvent pour s’adapter et se déplacer, eux qui n’ont mis les pieds qu’à deux reprises dans la capitale, leur ville, depuis la reprise du championnat. Un coup en Suisse pendant la préparation, un autre à Łódź en Pologne pour les tours préliminaires européens, et donc à Cracovie depuis le début de la phase de poules. Le voyage en Bretagne la semaine dernière avait eu des allures de périple, entre un blocage de trois heures à la frontière slovaque à l’aller et douze heures de route pour rejoindre Lviv au retour. Une ville que le Dynamo a dû quitter en urgence en début de semaine pour se rendre à Cracovie en sept heures de route. « On nous a permis de sortir tout de suite, mais ces attaques restent un moment difficile », concédait Lucescu en français dans la salle de presse du stade Józef-Piłsudski mercredi soir.

Le technicien au regard rieur, comme ses joueurs, refuse de s’apitoyer sur son sort. Tout le monde a même accepté, avec une bonne dose de fatalisme, les conditions précaires pour préparer les matchs chaque semaine. Lucescu : « Nous passons trois jours à un endroit, puis trois jours à un autre. Nous n’avons plus d’endroit à nous. Nous jouons chaque jour sur un terrain d’entraînement différent, nous vivons chaque jour dans un hôtel différent. » Mardi soir, le Dynamo Kiev a été contraint de s’entraîner sans lumière, faute d’équipements suffisants sur son lieu de travail éphémère. Le coach roumain n’est ni en colère ni agacé, il y voit même un peu de positif pour son équipe : « C’est bien parce que ça entraîne la concentration, l’attention et la coordination. » Une manière de relativiser, de mettre plus de légèreté dans le quotidien de ses joueurs et de rester sur le foot plutôt que d’être focalisé sur la situation provoquée par la guerre. Ce qui ne l’empêche pas de regretter de devoir jouer loin des supporters, alors que les rencontres de championnat se disputent à huis clos. « Ce ne sont pas des matchs à domicile. Être à la maison supposerait d’avoir des supporters, sentir leur chaleur, disait Lucescu. Nous n’avons pas tout ça depuis le retour de la compétition. »

Les matchs donnent de la motivation aux soldats ukrainiens. Ceux à Kiev regarderont le Dynamo ce soir, cela va les aider à penser à autre chose, et une victoire pourrait leur donner de l’énergie.

« Être ici, avec ce drapeau, c’est une sorte de fierté »

Il est vrai qu’il régnait une ambiance particulière ce jeudi au stade Józef-Piłsudski, d’une capacité de 15 000 places et dont l’affluence tournait plutôt autour des 4000 personnes, dont 300 Rennais ayant fait le déplacement. Dans les tribunes, de nombreux drapeaux bleu et jaune, ainsi que plusieurs pancartes en soutien aux villes ukrainiennes attaquées et revendiquées par la Russie ( « Yalta is Ukraine », « Kherson is Ukraine » ). Dans le lot, beaucoup de femmes et d’enfants, les hommes en âge de combattre n’étant pas autorisés à quitter l’Ukraine. Un peu moins de deux heures avant le coup d’envoi, Sonya, une jeune fille de 17 ans accompagnée d’une amie, distribue des petits drapeaux aux premiers arrivants, comme ce groupe d’enfants venus avec un club de foot installé à plus de 100 kilomètres de Cracovie. « C’est très important d’afficher notre soutien, je suis venue ici pour supporter mon pays », explique Sonya, qui a fui Kharkiv en mars dernier pour se réfugier en Pologne. Un peu plus loin, la lycéenne tend la perche à une bande de garçons polonais pour se défouler de manière verbale sur Vladimir Poutine.

À l’intérieur de l’enceinte, le nom du président de la Fédération de Russie est rangé au placard et laisse place à des chants à la gloire du Dynamo et de l’Ukraine, avec quelques poussées vocales à chaque approche des hommes de Lucescu vers la cage de Steve Mandanda. Dans la queue pour acheter une saucisse à la buvette, Serghii, un conducteur de camions à travers l’Europe de 42 ans originaire de Sarny, se réjouit de pouvoir retrouver « son équipe préférée » et voit le retour du foot comme « un synonyme d’espoir ». Plus loin, déjà installé sur son siège, Ivan, 25 ans et aux côtés de sa copine, est parti de Kherson, une région occupée actuellement, pour s’exiler à Cracovie le mois dernier. Tous acceptent de parler de leur quotidien, avec une certaine pudeur, mais aussi l’envie, le besoin de partager leurs inquiétudes, leurs espoirs et surtout leur tristesse face à cette situation. « Ce n’est pas nouveau pour nous, ça dure depuis 2014 pour beaucoup d’entre nous et maintenant ça s’est étendu à tout le pays », rappelle Volodymyr ( « comme Zelensky et Poutine », sourit-il), un homme de 43 ans originaire de Dnipro et débarqué en Pologne sept ans plus tôt.

On ne peut pas penser tout le temps à la guerre, on deviendrait fous.

Au milieu de préoccupations bien plus importantes, le foot joue son rôle, celui de rassembler et de donner du plaisir à des personnes qui n’en ont pas beaucoup à se mettre sous la dent ces derniers temps. « Avec le football, on essaie d’apporter du positif aux Ukrainiens », assurait le défenseur Illya Zabarnyi en conférence de presse. Emmitouflé dans un drapeau bleu et jaune frappé des armoiries de l’Ukraine – une sorte de trident stylisé qui représenterait un faucon gerfaut fondant sur une proie en piqué selon de nombreux historiens -, Nikita, 28 ans, souhaite profiter de cette heure et demie pour se vider la tête. « On ne peut pas penser tout le temps à la guerre, on deviendrait fous, concède celui qui a quitté sa ville de Zaporijia pour Cracovie pour son métier avant la guerre. Je serai venu voir n’importe quelle autre équipe ukrainienne ce soir. Être ici, avec ce drapeau, c’est une sorte de fierté. » De son côté, Volodymyr compte suivre à distance le résultat de son équipe favorite, le FK Dnipro, attendu à Vaduz en Ligue Europa Conférence (victoire 2-1), et pense également à ses compatriotes, notamment aux soldats, en première ligne. « Les matchs donnent de la motivation aux soldats ukrainiens. Ceux à Kiev regarderont le Dynamo ce soir, cela va les aider à penser à autre chose, et une victoire pourrait leur donner de l’énergie, croit-il savoir. Un jour, l’un d’eux est parti en Espagne jouer au foot et ils lui ont dit qu’ils suivraient ses résultats pour se motiver, ils ont besoin de ça. » Chaque semaine, Volodymyr apporte son aide aux nouveaux arrivants ukrainiens à Cracovie, en leur offrant un soutien financier ou psychologique, alors que les points d’aide humanitaire sont nombreux dans la ville.

Retour à Lviv et grand flou

Ils auraient tous bien sûr préféré voir le Dynamo, 8e au classement du championnat d’Ukraine après cinq journées (trois victoires, deux défaites), obtenir un premier succès européen contre Rennes ou au moins arracher le nul, mais le résultat passe rapidement au second plan dans un tel contexte. « Oui, on relativise plus facilement, ce n’est que du foot, même si ça nous fait vraiment du bien de pouvoir être là, ensemble », confirme Nikita. Le coup de sifflet final de l’arbitre n’a pas seulement mis fin au match, il a aussi fermé cette parenthèse de légèreté, de loisir, et ramené les Ukrainiens à leurs peurs, alors que le pays a connu lundi la plus intense journée de bombardements depuis le 24 février. Un grand flou pour le Dynamo Kiev, qui attendait encore de connaître le lieu où se jouerait la rencontre face au Shakhtar programmé dimanche après-midi. « Nous étions d’accord pour jouer le match à Londres. Nous avons aussi proposé de jouer à Varsovie, qu’ils viennent à Cracovie, ou d’attendre encore pour jouer, présentait Lucescu ce mercredi. Les joueurs ont vécu là-bas des lancements de roquettes. Alors ils ont peur, ils sont préoccupés pour eux, leur famille, tout le monde. Retourner tout de suite à Lviv ne me semble pas être une possibilité réelle. Mais nous jouerons. » Après la défaite contre Rennes ce jeudi soir, deux membres de la délégation ukrainienne nous précisaient que la rencontre devrait finalement se jouer… à Lviv, sans que cette nouvelle ne les enchante. À la question de savoir si jouer au foot dans un tel contexte avait du sens, Lucescu comme son joueur Zabarnyi avaient répondu à côté la veille, comme pour se protéger et ne pas se mettre en tête que ce qu’ils font est vain. Chaque match est une échappatoire pour de nombreux Ukrainiens et aussi, dans une certaine mesure, un message d’espoir.

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Par Clément Gavard, à Cracovie

Tous propos recueillis par CG.

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