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Dynamite Zagreb

Par Maxime Brigand, à Zagreb
Dynamite Zagreb

Champion de Croatie sans s'arrêter depuis 2006, le Dinamo Zagreb est en déplacement mercredi soir en Autriche pour aller chercher sa qualification pour la phase de poules de la Ligue des champions sur le terrain du Red Bull Salzbourg. Reste que derrière la vitrine, la réalité explose.

Le silence est total. Sous une lumière faible, on se regarde, on échange quelques mots et on plonge son regard au fond d’une pinte qui ne cesse de descendre. La seule attraction de l’après-midi est ailleurs. Sur l’écran du local, l’écran diffuse en continu des matchs d’UFC, histoire de tuer le temps d’un été qui ne cesse de s’étirer dans la morosité d’un pays qui a perdu le goût de la fête. Mario et ses potes alternent entre l’écran téléphone, une pause sur le canapé et la tireuse située derrière le comptoir. Le regard est vide, les sourires rares. Le lieu est pourtant un espace de rassemblement, et rien ne devrait se passer comme ça. Danijel se hasarde alors à sortir la tête sous le soleil qui tape aux abords du stade Maksimir.

Zagreb est depuis quelques semaines le théâtre de multiples secousses, entre l’élimination prématurée de l’équipe nationale croate dès les huitièmes de finale de l’Euro 2016 contre le Portugal et une crise politique profonde, enclenchée par le renversement d’un gouvernement installé il y a maintenant près de neuf mois, miné par les « intérêts politiques égoïstes » et les conflits d’intérêts du vice-Premier ministre Tomislav Karamarko. Le championnat national a depuis repris, pour relancer la passion, mais surtout pour se replonger dans les problèmes d’un pays gangrené par le clientélisme de ses élites. Alors, Danijel se lance : « On est supporters du Dinamo depuis toujours pour la plupart d’entre nous. Ici, on se fiche de la politique, on est tous ensemble parce qu’on sait qu’on ne peut pas changer le système. Notre seule passion, c’est le football. Le plus gros problème dans ce pays, c’est qu’on est toujours le jouet de quelqu’un. »

« J’ai la sensation qu’on m’a volé mon club »

Il n’y a qu’à lever les yeux pour observer l’évolution des choses. Le stade Maksimir était hier un théâtre, une place qui attirait les foules, habitée par « la culture du supportérisme » où le fumigène était un objet de fête et non de contestation. Voilà ce qu’il est devenu : un œuf vide, délabré et qui ressemble davantage à une ruine qu’à une enceinte bouillante. On parle surtout d’une institution qui possède près de 40 000 places assises et qui n’attire plus que 1600 supporters en moyenne lors des rencontres d’un championnat que le Dinamo remporte depuis 2006 et dont il est déjà leader après six journées. L’affluence monte à 13 000 maximum lors des soirs de Ligue des champions comme lors du match de barrage aller contre Salzbourg (1-1) mardi dernier. « Il faut comprendre une chose, le Dinamo est la vitrine de la sélection qui est elle-même la vitrine d’une clique de criminels. Ces hommes ont pris dans leurs mains le football croate, la sélection, le Dinamo, et mon boulot est aujourd’hui de montrer qu’on est face à quelque chose de comparable à la Collaboration en France lors de la Seconde Guerre mondiale, pose le journaliste activiste Zvonko Alač, plume de la rédaction de l’INDEX, l’un des seuls médias d’opposition en Croatie. Personnellement, je suis supporter du Dinamo depuis que je suis gamin. J’ai la sensation qu’on m’a volé mon club. Le problème, c’est que je ne sais pas combien de temps ça va durer. »

Le combat a changé. Il y a eu la rue pendant de longues années, les batailles légales par les voies juridiques, et le temps est maintenant venu de « faire tomber toutes les structures » , comme le résume le sociologue Dražen Lalić. Mais avant tout de faire tomber un système : celui de Zdravko Mamić, considéré partout comme « le diable, une sorte de seigneur des anneaux » du football croate. C’est en tout cas le porteur de ses maux et leur principale cause. Tout le monde connaît aujourd’hui la trajectoire de Mamić et de sa famille : un homme pas assez doué pour devenir joueur, qui se fraye un passage entre les supporters, qui vend d’abord des coussins aux couleurs du Dinamo dans les allées du Maksimir, puis qui fait fortune avec la vente à un marchand d’armes d’une compagnie forestière et une entreprise de boissons qu’il avait fait fleurir pendant la guerre. Au point d’entrer progressivement dans les arcanes du club avec son portefeuille, ses relations tentaculaires (police, politique, justice) et une nomination finale en 2003 dans l’organigramme après avoir, entre autres, tenté de tabasser le directeur sportif de l’époque, Josip Šoić. Mamić a ensuite fondé « un syndicat du crime de près de 150 personnes pour devenir le numéro un du football croate en se mettant progressivement toute la Fédération dans la poche grâce à ses multiples connexions » , avec au premier rang le soutien du parti de droite nationale, le HDZ, qui finance massivement le Dinamo et les procès de Mamić.

Les contrats et la locomotive

Officiellement, Zdravko Mamić n’est plus personne depuis qu’il a été arrêté en juillet 2015, pour blanchiment et fraude fiscale, mais reste « conseiller » , soit président du Dinamo. Pourquoi ? Tout simplement car il représente « trois fonctions en une seule personne : coprésident du Dinamo, vice-président de la Fédération croate, mais numéro un dans les actions et agent de joueurs » , son fils Marijo détenant une société de management sportif qui a déjà fait signer la majorité des joueurs du Dinamo et anciens (Lovren, Modrić). Un contrat qui oblige ensuite les joueurs à verser entre 20 et 30% de leurs revenus à Mamić et qui est en grande partie responsable de l’absence de Lovren dans la liste du pantin Čačić pour l’Euro en France, le défenseur de Liverpool ayant décidé de ne plus régler ses pourcentages. Plus encore, l’homme influe sur les choix de la sélection comme la non-sélection du jeune Alen Halilović. La raison : les parents du joueur avaient refusé de signer le fameux contrat alors qu’il jouait au Dinamo. Tout le monde sait ce qu’il se passe et la sélection est devenue une vitrine pour la vente de joueurs du Dinamo à l’étranger (et donc plus d’argent pour Mamić). Cet été encore, le club a par exemple laissé partir Marko Pjaca à la Juventus pour 23 millions d’euros, Josip Brekalo à Wolfsburg pour 6 millions et définitivement Brozović à l’Inter contre 5 millions d’euros. Marko Rog est également attendu à Naples jeudi pour passer sa visite médicale. Selon nos informations, le contrat du joueur l’obligeait à disputer au moins une rencontre lors du championnat d’Europe, ce qu’il a fait contre l’Espagne. Parfait, donc.

Le décor planté, il existe également un autre pétard : le Lokomotiva Zagreb. Un club que le Dinamo a battu facilement en juillet (3-1) lors de la première journée de championnat. L’association NAS Hajduk, qui se bat depuis des années pour reprendre en main l’Hajduk Split aux mains des politiques, a livré il y a quelques mois une étude sur le cas d’un club considéré comme une « succursale » du Dinamo. « On l’a donné aux politiques, aux médias, aux instances, mais ils s’en fichent. C’est incroyable. On a déposé plainte auprès de toutes les instances pour conflit d’intérêts et on nous a répondu : « Oui, on sait que ces deux clubs sont une même entité » » , détaille Ivan Rilov, le secrétaire général de l’association. Plusieurs exemples de rencontres truquées et de transferts suspects ont été constatés entre les deux clubs, mais rien ne bouge, alors que le Dinamo continue à prêter la majorité de ses jeunes au Lokomotiva. Dans le silence et la honte. Voilà pourquoi le Maksimir sonne aujourd’hui complètement vide alors que deux franges des Bad Blue Boys, le groupe de supporters majoritaire du Dinamo, s’affrontent entre pro et anti-Mamić. Les opposants ont d’ailleurs créé l’association Together for Dinamo, soutenue par quelques anciens joueurs du club, et se sont rapprochés de NAS Hajduk. Mais derrière la vitrine, rien ne bouge. Dans le silence, le calme et les regards vides d’un pays qui voit défiler les espoirs d’un sport qui était hier « la première vitrine du pays à l’international » .

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Par Maxime Brigand, à Zagreb

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