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Dur, dur d’être un Bebenzema
Quand on joue au Real Madrid, une garde à vue passe rarement inaperçue. Surtout quand le lendemain, les rumeurs s'amplifient, que la garde à vue se transforme en mise en examen et que le sélectionneur ne t'appelle pas. Retour sur la triste journée de Karim Benzema.
Versailles, ses grandes artères ensevelies sous les feuilles d’automne, ses passants en costume cravate et son tribunal de grande instance. Un bâtiment souvent redouté, mais pas aujourd’hui. Malgré le gris ambiant, l’entrée est noire de monde. Des caméras, des micros et beaucoup de questions. Un vieil homme à l’haleine vinassée (il est à peine midi) fait des allers-retours sur l’avenue de l’Europe, pour le moins intrigué par ce spectacle. Et à chaque fois la même plaisanterie qui perd, avec les heures, beaucoup de sa saveur : « Alors, vous l’avez vu ? » Malheureusement, non. En fait, c’est difficile d’en savoir plus. Déçu, le vieil homme reprend son chemin : « Il a dû filer par la porte de derrière. Comme à chaque fois… » Ici, les rumeurs et les suppositions font la loi.
La jurisprudence Zahia
En fait, le seul homme qui peut et qui semble bien vouloir répondre, c’est son avocat, Sylvain Cormier. Enfin, à moitié. Car il est souvent « contraint par la loi » de se taire. Costume bleu marine, chemise blanche, chevelure plutôt poivre que sel, raie maîtrisée, il enchaîne les interviews. Et à chaque fois, la même entame : « Il n’a rien à se reprocher. » Pas facile de retourner une rumeur. Il choisit donc l’anaphore comme figure de style. Et puis il enchaîne, gravement, sur la manière dont s’est déroulée cette mise en examen : « J’ai pris l’habitude, mais je trouve ça effarant de découvrir que les convocations policières arrivent dans la presse avant d’en être soi-même informé. Convocation où sont forcément conviés les journalistes. Ça crée une ambiance de lynchage médiatique déplaisante. J’en viens à me demander si être connu n’est pas un handicap dans une affaire judiciaire. » La question est posée. Et la mise en examen de Benzema oubliée, le temps de la réflexion.
Exercer le métier de footballeur peut-il être un inconvénient ? C’est certain. Au moins dans le cas présent. Et d’autres affaires du genre font jurisprudence. Le moindre souci d’ordre pénal, et c’est l’avalanche. Alors que Me Cormier travaille pour permettre à Karim Benzema de sortir du pays et de rentrer à Madrid, il s’emporte encore sur « la présomption d’innocence des personnalités célèbres, celle de Karim Benzema en l’occurrence, trop souvent bafouée avant un quelconque jugement. Là, on est déjà en train de le plonger dans une pré-condamnation. » Car en ce jeudi 5 novembre 2015, la culpabilité de l’attaquant madrilène reste encore à prouver. Devant un juge. Avant de l’être dans les médias. Et pourtant, Karim le sait plus que quiconque (coucou Zahia), la meilleure des solutions est encore de se tenir loin des emmerdes. Mais voilà, c’est déjà trop tard. Le seul terme de « mise en examen » a suffi à bonder les escaliers du tribunal. Et pour cause : « En France, la mise en examen vise une personne contre laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d’une infraction. » En gros, mise en examen = coupable. Encore plus quand on est footballeur.
Un feuilleton de Plus Belle la Vie
D’ailleurs, comment résister ? « Karim Benzema mis en examen dans l’affaire de la sextape de Mathieu Valbuena. » C’est beaucoup trop gros, trop beau pour feindre l’ignorance. Même Plus Belle la Vie n’aurait pas osé. Pourtant, Sylvain Cormier est confiant concernant les suites de la procédure. Et ce, malgré la notoriété de son client, malgré le battage médiatique, malgré la nouvelle de la non-sélection de son client et malgré la mise en examen qu’il juge prématurée : « Je pense qu’il y avait de quoi l’éviter, mais le magistrat instructeur a préféré faire ses auditions rapidement et nous acceptons ce choix. Karim est serein parce qu’il n’a rien à se reprocher. » Plus qu’une anaphore, un véritable tic de langage. Qui finira par porter ses fruits en fin de journée : d’autres rumeurs circuleront concernant l’aide, et non plus le contraire, qu’il aurait apportée à son coéquipier en Bleu. Une bonne journée de travail. Et alors que l’avocat de Benzema traverse la route pour s’échapper, enfin, l’entrée du tribunal se vide. Redonnant au bâtiment sa grisaille de toujours. Le vieil homme aux dents rouges retente encore une fois sa chance : « Alors, il est là ou pas ? » Mais cette fois-ci, plus personne pour lui répondre. Alors, il met les voiles en direction des quelques terrasses au coin de la rue. Là, où on devrait l’écouter. Et pourquoi pas lui répondre.
Par Ugo Bocchi, à Versailles