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Dupont : « J’ai aimé 90% de mes joueurs »
A l'occasion du reportage sur Brest dans le So Foot #80, découvrez les meilleurs morceaux de l'interview fleuve d'1h45 accordée gentiment par ‘Sir' Alex Dupont. Y sont abordées au choix les Vieilles Charrues, Guingamp, le chômage, le carnaval de Dunkerque, l'équipe de France de la police, la Coupe du Monde 2010, Muse et Nicolas Sachy. Servez-vous.
Pouvez-vous nous décrire votre arrivée à Brest ?
C’était dans l’urgence. Il restait quatre matchs de championnat. Il fallait sauver sa peau. J’étais à Innsbruck pour les qualifications à l’Euro de l’Equipe de France Police. On m’a appelé sur place. Le président m’a demandé si j’étais ok pour le challenge. On a fait le match de l’équipe de France. Heureusement qu’on a gagné en prolongations. Car s’il y avait les pénaltys, je ne pouvais rester. Je devais prendre l’avion Innsbruck-Vienne, Vienne-Paris, Paris-Brest. C’était un peu short. On a marqué juste avant la 119ème minute. On s’est qualifiés et je suis arrivé à Brest.
Finalement vous sauvez le club de la descente en National. Le président Guyot vous propose de rempiler. Quelle a été votre motivation première lorsque vous resignez ?
La motivation première et ma plus grande fierté, c’est pas d’avoir gagné la Coupe de la Ligue avec Gueugnon ou d’avoir qualifié Sedan pour l’UEFA, c’est de ne pas avoir connu un jour de chômage. Quand tu enlèves le rectangle vert à l’entraîneur, c’est dur au réveil. Il y a pas que le foot dans la vie, mais l’expression le dit : « C’est la passion qui fait vivre les hommes et la sagesse qui les fait durer » . Et puis quand tu joues le maintien devant 10 000 personnes…
Connaissiez-vous Brest avant de venir ?
En tant qu’adversaire oui. Honnêtement, quand je m’engage avec un club, la qualité de vie n’est pas la priorité. C’est d’abord le challenge sportif puis, sans galvauder, l’aspect financier. Ouais on peut y penser, mais en dernier. Et que je sache Brest est une ville vivante, jeune, dynamique. Regarde elle est en chantier (il montre les travaux de construction du tramway, ndlr). Ça veut dire des choses. J’aime l’esprit breton. Ça me rappelle ma région du Nord et le film Bienvenue chez les Ch’tis. Moi j’aime le foot de haut niveau, mais j’aime bien les stades où ça sent la frite et la bière. Le foot ne se joue pas dans les salons VIP, même si ça fait partie du décor. Je ne vais pas dire que c’est un mal nécessaire, mais ça touche d’abord les couches populaires.
« Tu pars du Finistère et trois heures après, t’es toujours en Bretagne »
D’où vient cette passion pour le foot à Brest et en Bretagne où on compte trois clubs dans l’élite ?
Le berceau du foot vient des couches populaires. Une anecdote qui montre cette passion ? Quand je suis arrivé là pour le mois de mai l’année dernière, je dormais ici à l’hôtel Océania. Et là au carrefour, il y a un mec qui me voit et qui ouvre son carreau. « Bonjour » . Je pensais qu’il allait me demander quelque chose. Je lui dis « Bonjour » . Et le mec me dit : « ‘Mais je vous ai déjà vu quelque part ! (Il mime) Ouais, vous êtes entraîneur de foot » . Je fais : « Oui » . Il dit « C’est ça. Vous entraînez qui maintenant ? » . Je dis : « Bah le Stade Brestois » . Et là il ferme son carreau et il se dit : « Mais quel con je suis. Mais que je suis con » . Il avait honte quelque part. Il adorait le foot. Il adorait son club et il se disait « mais merde » .
Peut-on parler de revanche ? Notamment vis-à-vis de Guingamp et de son président Noël Le Graët, qui à l’époque de la rétrogradation administrative de Brest en 1991 était aussi président de la Ligue ?
Parmi les derbys en France, s’il en reste quelques-uns, celui-là en est un : Guingamp-Brest. Le président m’a dit « Coach, tu peux perdre tous les matchs, mais pas celui de Guingamp » . Je lui ai dit : « C’est mal barré, car ça fait trois points et il en manque encore trente-sept » .
C’est quoi être brestois ? Qu’est-ce qui définit le brestois ? Car le Brestois se veut brestois avant d’être breton…
La situation géographique fait ça. On est au bout du monde. Ou au début. Il y a ce côté comme les insulaires. Après c’est la mer. Ou la Belgique pour nous là-haut. On y vient en se disant : « Il pleut, il fait pas beau » . Même eux me disen tout le temps : « T’es bien à Brest ? Et il n’y a pas trop peu de soleil ? Le temps t’es trop déçu ? Et ta femme se sent bien ? » . « Mais je me sens très bien, arrêtez ! » . Si tu pars du Conquet (un des principaux ports de pêche du Finistère ndlr), trois heures après tu es toujours en Bretagne. C’est un état dans l’état.
« Je reviens plus fort quand je me suis éclaté aux Vieilles Charrues »
Vous parliez de ville vivante. Culturellement, Brest bouge pas mal. Ça compte pour vous ? D’ailleurs la première fois qu’on vous a contacté, vous étiez aux Vieilles Charrues…
On est allé aux Vieilles Charrues, le jeudi soir et le dimanche soir. Vas-y un coup, c’est top. Et aussi –je fais de la pub– le carnaval de Dunkerque. Et là, j’ai senti cette ambiance conviviale. On dansait. Mais alors mon pauvre. J’ai vu Muse qui rentrait. Un déluge. Il est rentré avec un K-way transparent le chanteur. Et cinq minutes avant, t’avais des mecs, ils raclaient la scène. Tout le long. Des trombes d’eau. Mais on n’a pas senti les gouttes, rien. Moi je reviens plus fort le lendemain quand je me suis éclaté aux Vieilles Charrues. Est-ce que je connaissais Muse ? Prends-moi pour un vieux con ! Mon beau-fils et mes filles, ils me font : « Tu connaissais pas Muse ? » . « Ben non, je ne connaissais pas Muse » . « Mais moi je les ai vus et toi tu les as vus ? Non ! Et bah moi je les ai vus » . Ouais j’ai beaucoup aimé. Jamiroquai, c’est toujours la même chose. Il m’a rien transmis. Dutronc il a commencé timidement l’ancien, mais après avec son style et sa personnalité, j’ai bien aimé. Pareil pour Souchon.
page] Pourtant ça fait marrer les gens quand on ose associer football et culture…
Mais le foot est culture et le sport est culture. Dans ce monde de foot rempli de vicissitudes avec ses effets pervers. C’est-à-dire que quand tu perds trois matchs maintenant, ça devient suspect. « Bah ouais excuse-nous, qu’est-ce qu’il y a ? On a perdu. Bah ouais on a perdu » . « Alors t’as la pression ? » . « Ouais dans la bière, dans le demi » . Laquelle ? Devoir gagner ? Bah ouais, tu joues pour perdre toi ? J’arrive non pas à me détacher mais la vie est un mélange. J’aime la culture, je fais de la moto, c’est pour voir, pour sentir.
Avec vos joueurs, vous instaurez une certaine distance. Pourquoi?
A.D : C’est pas mes potes. Ça c’est clair. Mais tout simplement pour avoir un discours vrai avec eux. Le monde du foot est tellement exigeant.
Ghislaine, sa femme : Quelque part ce sont tes enfants.
A.D : Oui, je ne suis pas heureux quand un de mes joueurs ne réussit pas une prestation. Ça me chiffonne. Parce qu’en 25 ans, j’ai aimé 90% de mes joueurs. Je reçois des messages très forts. Tu croises des joueurs avec qui tu es plus souvent qu’avec ta femme et tes enfants. Quand on se quitte, parfois tu ne les rencontres plus. Plus jamais ! Tu dois gommer toutes les affinités. C’est dommage mais ça ne peut être autrement.
« Le costume est trop grand pour Évra ou Ribéry »
Vous voulez garder une certaine distance avec vos joueurs. Est-ce pareil avec votre président Michel Guyot ? On a appris que vous le vouvoyez. Pourquoi ?
D’abord j’ai le sens de la hiérarchie et c’est aussi une forme de respect. Avec Michel, on pourrait se tutoyer car on a des relations qui vont au-delà du foot. La semaine dernière (entretien réalisé fin août, ndlr), il était à la maison avec sa femme. Je lui rendais une invitation. Mais quand il m’aura viré, on restera amis. Sa spontanéité, son parler vrai, ses coups de gueule. Il me ressemble étrangement (Rires).
Distance toujours, Nicolas Sachy, votre ancien gardien à Dunkerque puis Sedan, nous a raconté qu’il était allé au carnaval de Dunkerque alors que vous aviez interdit aux joueurs d’y aller. Il raconte même que, déguisé, il vous a parlé et vous ne l’avez pas reconnu.
Exact. Cet enfoiré, il m’a bien eu. Je l’ai su dix ans après. Évidemment je leur interdisais. Ce n’était pas trop compatible avec la compétition. Si on sait s’arrêter au chahut, c’est un bon décrassage. Mais si c’est des nuits complètes… Pour l’entraîneur en revanche c’était autorisé pour la simple et bonne raison que je fais partie d’une société philanthropique dont mon père était un des fondateurs (les Corsaires Dunkerquois ndlr). Ils organisent le plus beau bal du carnaval dunkerquois, 10 000 personnes et ça dure toute une nuit. À un carnaval, Nicolas est venu m’intriguer. Je ne l’ai pas reconnu car il ne s’est pas dévoilé. Mais c’est le seul qui a avoué dix ans après alors qu’il n’était pas seul. Un soir, j’ai vu mon Sachy lors d’un match amical en période de carnaval se présenter avec une perruque sur le terrain. C’était à Gravelines. Il l’avait cachée sous le maillot. Et quand il est arrivé et que les équipes se sont présentées, il a mis un masque avec une perruque. Je vois ça mais… (il éclate de rire ndlr). Ça c’était Nicolas. Il pouvait de temps en temps disjoncter.
Pensez-vous que l’humain a de moins en moins sa place dans le foot professionnel moderne ?
Il y a une déshumanisation. Il y a 20 ans, un gamin qui loupait son match, tu l’invitais à manger chez toi. « Qu’est-ce qui t’arrive ? Viens manger à la maison » . Aujourd’hui tout cela est fini. Si notre métier évolue, c’est que la mentalité des joueurs a changé. On vit dans un monde plus égoïste. Quand tu donnes les clefs de l’équipe de France à des garçons comme Évra ou Ribéry pour qu’ils en deviennent les leaders, il ne faut pas leur en vouloir. Je vais être méchant mais ils n’ont pas les moyens. Le costume est beaucoup trop grand pour eux. On ne peut pas leur en vouloir. Si, leur en vouloir d’offrir des conneries. Mais ça aurait été difficile d’en être autrement. Et bien sûr dans le monde du foot où on draine beaucoup de fric, il y a un caractère inflationniste qui est dû aux agents. T’as bien deviné que je ne les portais pas… Ils font partie de mon milieu, mais pas de mon métier. Ils travaillent sur des joueurs de plus en plus fragiles et de plus en plus jeunes. C’est bizarre non ? Il y a un côté immoral. C’est ça qui est dégueulasse. Ils fragilisent non seulement le joueur mais l’homme. Ils lui mentent car leur intérêt prime. Plus il y a de transferts, plus… enfin bref.
Tous propos recueillis par David Sfez et Maxime Marchon, à Brest
[Retrouvez « La Brest Humaine » par Miossec, dans le dernier numéro de SoFoot
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