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Dunfield : un projet pour rassembler une Irlande déchirée

Par Grégory Sokol
Dunfield : un projet pour rassembler une Irlande déchirée

Célèbre pour son histoire contemporaine en partie constituée de drames et de violence, l’Irlande n’est pas que division. Deux clubs que tout oppose, Dundalk, en Irlande, et Linfield, en Irlande du Nord, ont créé à la fin du siècle dernier un projet avec l’ambition de rassembler des communautés qui s’ignorent.

« Je suis habituellement la dernière personne à me souvenir d’un match, mais je me rappelle celui-ci. C’était comme de jouer au milieu d’une guerre de rue » , déplorait Dermot Keely en 2008 sur le site web de son ancien club Dundalk, faisant ainsi référence à une rencontre d’août 1979 face à Linfield, bastion loyaliste de Belfast. Ce match à l’Oriel Park de Dundalk s’annonçait extrêmement tendu, la ville proche de la frontière alors réputée pour l’accroissement considérable du nombre de catholiques quittant la capitale nord-irlandaise accueillis avec l’étiquette de réfugiés. Une conjoncture propice à ce que la ville se mue en repère pour membres de l’IRA, lui valant par ailleurs le surnom de « Gundalk » par les tabloïds britanniques. Deux jours avant ce premier match de la double confrontation du tour préliminaire de la Coupe d’Europe des clubs champions, l’IRA y est en plus allée de sa petite contribution, zigouillant tour à tour à Sligo Lord Mounbatten, haut dignitaire de la Royal Navy, et dix-huit paramilitaires britanniques à Warrenpoint, situé à une trentaine de kilomètres de Dundalk. De quoi pimenter un contexte suffisamment épicé au beau milieu de cette période de troubles qui a déchiré l’Île d’émeraude trente ans durant.

Gardes du corps de rigueur

Malheureusement, les appels au calme des deux clubs envers leurs supporters afin d’éviter les débordements se révèlent vains. La soixantaine de bus de fans de Linfield est caillassée avant même l’arrivée au stade, histoire de donner le la. Aux insultes et provocations à base de drapeaux brûlés de part et d’autre succèdent des bagarres dans et hors du stade. À tel point que la Garda irlandaise doit expulser les supporters de Linfield à vingt minutes du terme d’une partie déjà interrompue à deux reprises, déplaçant dans les rues avoisinantes la guérilla mêlant cette fois fans de foot et riverains. Des scènes de violence tout sauf inédites et pas seulement à Derry comme on pourrait le penser, terreau fertile de par son passé tragique. « Mon frère Harry jouait à Glentoran, en Irlande du Nord, au début des années 80 et avait des gardes du corps car il voyageait depuis Dublin et était assez connu » , rappelle Ken McCue, dont le frangin a également joué pour Dundalk. Preuve s’il en fallait du climat délétère de l’époque.

Si l’ambiance entre les supporters est quelque peu agitée, elle est beaucoup plus amicale entre joueurs et dirigeants, et ce, depuis au moins la fin des années 20. De bonnes relations toujours entretenues vingt ans après ce qui est désormais référencé comme la bataille d’Oriel Park par Phil Flynn et Billy McCubrey, respectivement présidents de Dundalk et de Linfield, qui enfantent le projet Dunfield, dont le nom est la fusion de ceux des deux clubs. « Que le projet ait vu le jour en août 99 n’est pas le fruit du hasard et nous a sans doute incité à accélérer le lancement » , retrace Phil Flynn. Le tout avec la bénédiction et l’aide financière de l’Union européenne, soucieuse d’œuvrer dans le bon sens avec son programme de paix en Irlande du Nord et dans les comtés frontaliers, et sans qui tel projet n’aurait jamais vu le jour. Surfant sur la vague positive des accords du Vendredi saint d’avril 1998, l’heure est à la réconciliation et Dunfield va en ce sens. L’un des objectifs de ces accords, au-delà de celui d’arrêter d’annihiler son prochain en désarmant les groupes paramilitaires, consiste à tisser des liens entre les deux voisins.

Catholiques chez protestants et vice versa

C’est sur cette idée de rapprochement que Flynn et McCubrey s’appuient. Partant du principe que le rejet et la peur proviennent d’un manque de connaissance de l’autre, la volonté est d’encourager le développement personnel et social de jeunes garçons et filles venant de diverses communautés et extractions sociales, de manière ludique par le biais du football. Cependant, un projet de la sorte ne se met pas en place d’un claquement de doigts, et chaque échelon des deux clubs partage bénévolement son temps. « Les deux clubs ont tout d’abord mis leurs objectifs en commun, puis décidé des noms, logos et structures du projet. La direction était composée de quatre membres de chaque club, d’une co-présidence et le staff d’une secrétaire à mi-temps dans chacune des deux villes, d’un coordinateur et de quatre éducateurs également à mi-temps, avant d’être agrandi par la suite » , détaille l’ancien boss de Dundalk. Une fois l’organisation définie, Dunfield rentre concrètement dans le vif du sujet. « Nous ciblions garçons et filles âgés de sept à dix-huit ans, y compris ceux avec une déficience physique ou mentale et les plus exclus socialement. »

Le programme se déroule sous forme de deux festivals par an en début et fin du vivifiant été irlandais à des endroits différents. L’un des buts avoués est « l’échange d’enfants hébergés par une famille participante à l’événement » , précise Phil Flynn. Une petite révolution dans une société nord-irlandaise où catholiques et protestants ont leurs propres quartiers ou écoles. Grâce à ce programme, un enfant catholique peut se retrouver en train de tailler le bout de bacon au petit matin chez une famille protestante et vice versa. Malheureusement, le louable projet n’est que très peu médiatisé, sans doute bien moins vendeur qu’un énième attentat. « Ce dont je me souviens surtout, c’est de la relative passivité des médias à ce sujet, ce qui est une honte incroyable » , regrette Mark Thompson, supporter de Linfield. Autre entrave, fatale cette fois, l’UE décide rapidement de ne plus allouer de fonds à Dunfield, qui ne peut que très difficilement subsister sans cette aide cruciale, avant de s’éteindre en 2008. « De mon point de vue, c’est un succès, car c’était l’un des seuls authentiques projets de rassemblement transfrontalier et qu’il a produit de précieux avantages pour les deux communautés, favorisant la compréhension des traditions et culture de l’autre » , analyse Phil Flynn avec le recul, avant d’émettre une réserve quant à « l’objectif souhaité d’impliquer encore plus les parents et les faire interagir. Nous avions besoin de plus de temps » .

Un premier pas vers un championnat commun ?

Une fin qui n’altère en rien la coopération entre Dundalk et Linfield qui créent la Dessie Gorman’s Cup, qui doit son nom au joueur anglais ayant réalisé le prodige d’être adoré des fans des Lillywhites et des Blues. Un tournoi annuel auquel participent les équipes de jeunes des deux clubs en plus d’équipes locales. Depuis, Phil Flynn a troqué son poste au sein de Dunfield pour un siège au sein du board de Sport Against Racism Ireland (SARI), association à but non lucratif afin de promouvoir l’intégration sociale. « Nous avons un programme appelé Living Together Through Football et travaillons de pair avec l’école de football de Glentoran, au nord-est de Belfast. Environ cinq cents enfants sont concernés, dont la moitié est catholique et l’autre protestante » , vante Ken McCue, co-fondateur de SARI, sans pour autant oublier les autres communautés. « Nous proposons également un programme basé sur le cricket très populaire parmi les Birmans, Indiens, Pakistanais ou Sri Lankais. »

SARI a en quelque sorte repris le flambeau de Dunfield avec entre autres la précieuse aide de Glentoran. Non seulement le flambeau ne semble cette fois pas près de s’éteindre, mais l’association nourrit même l’ambition de remporter le Beyond Sport Award, récompensant les meilleurs projets contribuant au changement social à travers le prisme du sport, ce qui serait une consécration. Toujours en train de plancher sur de nouvelles avancées, SARI réfléchit à une formule de ligue commune réunissant les quatre meilleures équipes de chaque Irlande chez les U19. Une idée de réunification sportive qui, implantée au plus haut niveau, pourrait redonner un peu de compétitivité à un football irlandais qui en manque cruellement. Curieusement, il est d’ailleurs le seul sport de l’île à comprendre deux équipes nationales. Récemment, celle d’Irlande du Nord a eu le toupet de jouer un match le dimanche dans le cadre des éliminatoires de l’Euro 2016. Un crime de lèse-majesté provoquant l’ire des protestants évangéliques inquiets de voir leurs paroisses désertées un peu plus chaque année. De quoi donner de bonnes raisons de se bouffer le nez encore quelque temps et du travail en perspective pour SARI.

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Par Grégory Sokol

Tous propos recueillis par GS sauf mentions.

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