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Dumont : « Tu regardes facilement dix matchs par semaine »
Pour la première fois, Stéphane Dumont revient à Lille en tant qu'adversaire. Entraîneur adjoint de David Guion à Reims depuis deux saisons, le p'tit quinquin Dumont analyse les forces et faiblesses de son équipe, évoque ses inspirations et glisse un indice humoristique. Entretien tout en sérénité.
Si je vous dis 14 septembre 1955, ça vous parle ?On va se tutoyer, hein. Ça doit être une dernière finale de Coupe de France Reims-Lille, si tu me poses la question. Ou championnat ?
Presque : c’était le Challenge des champions et Reims avait battu Lille 7-1. Ça doit vous faire rêver, aujourd’hui, une telle orgie offensive. Ah, c’est sûr ! Déjà de gagner, et puis de marquer autant de buts, ça fait envie, oui. (Reims est dernière attaque de Ligue 1 avec dix buts marqués, N.D.L.R.)
En arrivant à Reims, on t’a demandé de t’imprégner particulièrement de l’histoire du club ?On sent ce côté club mythique, à travers des figures comme Raymond Kopa ou d’autres.
En revanche, on ne sent pas une pression particulière, une obligation de remettre Reims au niveau où il était dans les années 1950, 1960. Mais ouais, on sait que ce club compte.
Vous commencez très bien avec des victoires à Nice (0-1) et contre Lyon (1-0), puis vous enchaînez huit matchs sans succès. Dans ce cas, vous gardez le cap ou vous vous dites qu’il faut changer des choses ?La première option : on est dans le vrai, on est cohérent, ça va payer. On ne s’est jamais affolés, on était lucide et ça a fait notre force. On savait où accentuer nos efforts, où travailler nos manques. Forcément, si elle n’est pas structurée, l’équipe devient moyenne. Et puis, on a aussi énormément de nuls dans cette série (cinq, N.D.L.R.). Contre Dijon (0-0), contre Bordeaux (0-0), avec un chouïa d’efficacité, on prend les trois points.
Vous êtes très solides puisque vous êtes troisièmes au classement des meilleures défenses de Ligue 1 avec quatorze buts encaissés, comme Nice et Lille. Dans la continuité de la saison passée, en soi. Inconsciemment, est-ce qu’on ne se repose pas là-dessus au détriment de l’attaque ?Toutes les équipes, même les grosses, se font punir si elles ne sont pas structurées. Et nous d’autant plus, car on n’a pas de marge. On a fait neuf clean sheets (record européen avec Liverpool, N.D.L.R.), ce n’est pas anodin. Alors parfois, peut-être qu’on se repose trop sur le fait de subir, quelque chose qu’on apprécie, et que ça nous enlève un peu d’allant, je suis d’accord. Nos deux premières victoires nous ont rassurés sur notre capacité à souffrir tout en faisant mal à l’adversaire.
Puis quand on reçoit Montpellier (0-1) ou Dijon, que ces équipes ne s’ouvrent pas et qu’on a du mal à créer pour punir, peut-être qu’inconsciemment, on se rassure dans le fait de bien défendre. Évidemment, on ne le veut pas, on travaille tous les jours pour essayer de trouver un équilibre entre bien défendre et amener de la justesse, des temps de possession dans la partie adverse, des possibilités dans les trente derniers mètres. On est capables de le faire, mais on ne concrétise pas. Il nous manque peut-être ces dix mètres de possession un peu plus haut pour aller faire mal.
Ça vous embête d’être perçus comme une équipe défensive ?La saison passée, on marque près de 80 buts et on bat des records. Là, on a gardé notre solidité, mais le niveau est plus élevé. Mais on se crée des occasions à chaque fois ! Il nous manque juste un petit quelque chose pour le valoriser. Les contenus sont parfois analysés sur la structure défensive, mais si on transformait les occasions, ça changerait complètement le regard de chacun. Mercredi encore (contre Toulouse, 0-1), on se crée de grosses situations. À Marseille (0-0) dans la dernière demi-heure, aussi.
En fin de saison dernière, David Guion nous disait que « ce qui va changer radicalement, c’est l’environnement extérieur. C’est la médiatisation. C’est surtout ça qu’il va falloir digérer rapidement, pas le cœur du métier » . À mi-parcours, vous avez l’impression d’avoir bien géré ça ? On ne va pas se mentir, il y a peu d’expérience dans notre onze. À part Marvin (Martin, N.D.L.R.) ou Alexys (Romao), il y a Pablo (Chavarría) qui n’a qu’une seule saison en Ligue 1, Rémi Oudin n’y a jamais joué, Moussa Doumbia non plus, Chavalerin première saison, Engels et Foket arrivent de Belgique, Konan du Portugal…
Mais on est relativement bien, on est jugé à notre juste valeur. 21 points à l’approche de la trêve, c’est très intéressant. Nous, on veut construire notre saison comme on construit un match. Peut-être que le match perdu à Amiens (4-1) nous a permis de gagner à Rennes (0-2) parce qu’on a agi différemment, qu’on n’a pas reproduit les erreurs. On a battu Guingamp (2-1) aussi parce qu’on avait bien assimilé ce qu’on avait fait face à ces mêmes types d’adversaires à domicile. Le match nul à Marseille, on s’est servi du match à Sainté (2-0) où on avait fait des erreurs de concentration. Voilà, on essaie de construire notre saison comme un match, épisode par épisode. Il y a des matchs perdus qui vous servent à en gagner d’autres par la suite. Mais ça, on ne peut le savoir qu’à la fin.
Tu es passé d’entraîneur des U19 lillois à adjoint de l’équipe pro à Reims. Qu’est-ce que ça change pour toi, en matière de pression notamment ?Je ne ressens pas trop la pression. Forcément, dans un staff pro, notre travail est analysé par les résultats plutôt que par l’évolution au quotidien, du jeu, des joueurs. On oublie parfois qu’en un an et demi, on a des joueurs qui ont énormément progressé, des joueurs venus renforcer un club de Ligue 2 et maintenant confirmés en Ligue 1. En U19, on peut tester plein de choses. Ça m’a beaucoup aidé. Pendant quatre ans, j’ai pu emmagasiner, tester énormément de choses, techniques, tactiques, mais surtout humaines avec les gamins…
Les jeunes vous le rendent différemment, ils peuvent se tromper, ce n’est pas très grave, ils apprennent comme ça et moi aussi. C’est un vrai laboratoire, la formation. Ça m’a aidé à savoir ce qui était possible ou non de faire, maintenant je m’en sers chez les pros.
Tu n’as jamais caché ton ambition de devenir entraîneur principal au plus haut niveau…Bien sûr, c’est une ambition personnelle. Je suis entraîneur adjoint, mais bien sûr qu’un jour j’aimerais devenir entraîneur. Je ne l’ai jamais caché, David le sait. Mais je suis à son service et c’est lui le boss. Si notre duo peut durer quinze ans, on durera quinze ans ensemble, il n’y a aucun souci là-dessus.
Tu as l’impression qu’on ne t’a jamais vraiment laissé ta chance à Lille ?Mon départ de Lille, ce n’est pas un regret. C’est juste que ça faisait quatre ans que j’étais avec les jeunes, que j’ai de l’ambition et que je voulais aller au plus haut niveau. À Lille, à ce moment-là, ce n’était pas possible parce qu’il y avait un nouveau propriétaire, plein de choses, les aléas d’un club. J’ai eu cette opportunité à Reims par l’intermédiaire de David, j’ai foncé.
Comment analyses-tu la transformation du LOSC cette saison ?C’est le fait d’avoir bien analysé les choses, d’avoir fait un recrutement de qualité, et aussi de commencer par des bons résultats, ce qui crée une dynamique, une confiance, qui permet d’enchaîner. Au regard du terrain, c’est juste logique de les voir en haut.
Tu as été étonné par l’échec de Bielsa ?Pas vraiment, parce que tout est question de contexte. Le Lille que j’ai connu était un club familial, et tout a changé peut-être un peu trop vite, peut-être que tout n’était pas réuni. Le fait qu’il n’ait pas réussi à Lille ne veut pas dire que ce qu’il fait n’est pas bon. La preuve avec Leeds.
À Lille, tes équipes étaient très tournées vers l’offensive et tu disais admirer le Dortmund de Klopp. Aujourd’hui, quelles sont tes inspirations ?En tant que joueur, j’ai connu Vahid Halilhodžić, Claude Puel, Rudi Garcia, Claudio Ranieri… Mais je m’intéresse à tout, franchement, je n’ai pas un entraîneur type.
J’aime beaucoup ce que fait Lucien Favre à Dortmund, c’est vachement cohérent en peu de temps. Liverpool parce qu’ils mettent beaucoup d’intensité, ou l’Inter de Spalletti, très structurée, très à l’italienne. En Ligue 2, Pascal Gastien à Clermont par exemple, j’aime beaucoup. On regarde un peu partout, on prend des choses, mais on a aussi sa propre philosophie. De toute manière, je ne suis pas le décideur, je suis au service de. Mais on se construit.
Tu regardes beaucoup de matchs ?Ah ouais, je ne fais que ça. Il y a des matchs à la télé tous les soirs, donc c’est possible tous les soirs. Et puis on regarde des matchs au bureau, on analyse l’adversaire… Donc ouais, tu en regardes dix dans la semaine, facilement.
C’est la première fois que tu reviens à Lille en tant qu’adversaire, toi qui es né à dix kilomètres du stade Pierre-Mauroy et du domaine de Luchin. Ça doit faire quelque chose, quand même.C’est toujours agréable, on revoit des gens avec qui on a partagé plein de choses. Bon, je n’ai pas attendu ça pour retourner à Lille, prendre des nouvelles. C’est sûr qu’il y a une symbolique pour moi. Maintenant, ça reste surtout le moyen pour nous de voir si on est capables de rivaliser avec ce qui se fait de mieux en ce moment, avec le PSG et Lyon. Comme à Marseille, on va y aller avec nos valeurs en essayant de leur faire mal à chaque fois qu’on peut.
Tu as connu des hauts et des bas dans ta carrière. Tu t’en sers particulièrement auprès des joueurs ?Ah ouais, mais c’est essentiel. C’est une chance d’avoir tout connu en tant que joueur. Des blessures, des titres, des passages sur le banc… J’ai été en Ligue 2 à Monaco, on y a été champions. J’ai vécu des entraîneurs français, un entraîneur italien. Je suis quelqu’un du cru, donc je sais comment on peut être perçu quand on vient du centre de formation, mais en même temps je suis allé à Monaco pour sortir un peu de mon cocon…
Il y en a qui ont vécu cinquante fois plus, mais mon parcours a été riche, et je me le suis rendu riche en analysant, en essayant toujours de penser à ce qui serait le mieux pour moi plus tard. Parce que quand j’étais joueur, je pensais déjà à ce que je ferais par la suite, et c’est fort logiquement que je suis arrivé de l’autre côté de la barrière.
Au fait, qui est le plus drôle : David Guion ou Stéphane Guillon ?Euh… David a son côté pince-sans-rire, ouais, il a son humour. Maintenant, je pense que dans le staff, on est quand même un peu plus armés que lui ! (Rires.)
Propos recueillis par Eric Carpentier