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Dugarry vs Deschamps : guerre d’ego ou vrai débat ?

Par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
Dugarry vs Deschamps : guerre d’ego ou vrai débat ?

Didier Deschamps et Christophe Dugarry se sont clashés. Ne dramatisons pas, juste un petit échange de piques bien senties par médias interposés qui, heureusement – le ridicule est parfois évitable –, ne finira pas devant les tribunaux, malgré des rumeurs contraires du côté du sélectionneur national. Espérons juste qu'ils n'aient pas prévu de prendre un avion le même jour à Orly. En revanche, une fois déblayée l'histoire, écartées les fâcheries puériles entre anciens collègues et autres délicatesses rancunières, ne reste-t-il pas au fond du tamis de la polémique quelques éclats lumineux de vérité ? Bref, la victoire du 15 juillet clôt-elle tous les débats sur les Bleus et sur leur style de jeu ?

Difficile de défendre le contraire, l’état de grâce post 2018 n’aura pas duré longtemps. Sûrement la faute à une génération qui vit au rythme des réseaux sociaux. Et d’un Emmanuel Macron qui l’a enterré dès le lendemain le temps d’un bus en go fast et d’une garden party à l’Élysée. Cependant, le résultat reste que notre Didier Deschamps n’aura pas eu vraiment le loisir de goûter la joie unanimiste et quasi mystique du sauveur de la nation, un titre honorifique et symbolique qui vaut encore poteau d’immunité à son prédécesseur Aimé Jacquet.

« Bravo Didier Deschamps, tu es le plus grand, le plus fort, le plus beau »

Le premier coup porté au conformisme de raison est d’ailleurs venu d’un ancien de 1998, Christophe Dugarry, désormais consultant sur RMC. Il n’avait, avant le début du Mondial, guère ménagé ses attaques et ses reproches, incriminant surtout son ancien coéquipier pour son refus d’appeler Karim Benzema en bleu, une décision « plus dans son intérêt que dans celui de l’équipe de France » . Le tout résumé par une formule lapidaire : une « prise en otage » de l’EDF. Or, loin de faire amende honorable ou acte de contrition, l’ancien Bordelais persiste et signe. Quitte à enchaîner les on-dit et les sous-entendus : « Je l’ai connu en 1990, 1991, et il y a toujours eu des histoires sur lui. Je me rends compte qu’il est dans beaucoup d’affaires.(…)Deschamps, on lui manque de respect dès qu’on n’est pas d’accord avec lui. Il fait la pluie et le beau temps dans le football français.(…)Bravo Didier Deschamps, tu es le plus grand, le plus fort, le plus beau. »

« Si on devait se voir avec Duga, ça ne serait même pas bonjour »

On perd parfois le nord dans ces moments-là. Ce qui a le don forcément d’agacer en retour le nouveau « patron » du foot tricolore : « Quand on franchit la ligne blanche et qu’il n’y a pas un minimum de respect sur le plan humain… C’est fini avec lui. Dugarry ose dire que je prends la France en otage. Cela dépasse l’entendement. Il dit ce qu’il veut, il a son émission radio. On a vécu des choses ensemble, donc je sais qu’en matière d’état d’esprit, sincèrement, j’ai vu beaucoup mieux. Mais bon, ce n’est pas grave. J’ai bientôt 50 ans et je ne fais plus semblant… Si on devait se voir avec Duga, ça ne serait même pas bonjour, bonsoir. Chacun sa route, chacun son chemin. » La manière dont le sélectionneur français a décidé de ponctuer son intervention est forte, surtout quand on s’appelle Tonton David.

Voila pour ce qui se situe à hauteur d’homme. Certains y verront la vanité déplacée d’un arrogant qui s’est trompé et refuse de le reconnaître, d’autres un règlement de comptes indigne de la nouvelle stature de grand commandeur du ballon rond hexagonal. Après tout, chacun est peut-être simplement dans son rôle. Il existe pourtant une autre façon d’interpréter cette péripétie estivale au milieu du calme plat du mercato, quitte à passer pour un indécrottable amoureux de la gnose. En effet, dans une partie de sa réponse, Christophe Dugarry avance pour sa défense un argument trop vite balayé. « Je ne suis pas prêt à tout faire pour gagner. Je suis ravi de ne pas avoir le même état d’esprit (que Didier Deschamps). » Ce petit bout de phrase révèle peut-être beaucoup de choses. Car nous avons tendance à beaucoup oublier qu’une partie de la planète n’a cessé d’estimer que nos Bleus n’ont pas été si impériaux que cela en Russie.

Voltaire, Malraux et Benzema

La conversion de l’équipe de France au patrimoine transalpin de la Serie A sous la baguette du plus français des Bianconeri en a frappé cependant plus d’un. Le paradoxe d’une seconde étoile. La France est retombée amoureuse de ses capés à l’issue de 90 minutes de folie contre l’Argentine (4-3). Or ce match était l’archétype de ce que ne voulait jamais vivre Didier Deschamps, qui tirait presque une tête d’enterrement à la fin sur le bord du terrain, presque moins satisfait qu’après l’insipide rencontre face au Danemark (0-0). Sa causerie à la mi-temps, à base de « jouer dur derrière et mettre des mines de loin » , valait programme. Mais Dédé a construit de la sorte son style et son succès. Il le revendique. Il faut néanmoins, dans la patrie de Voltaire et Malraux, conserver précieusement le droit de ne pas s’en satisfaire, de ne pas désirer que les Bleus soient une nouvelle Nazionale. Et d’autant plus en étant champions du monde dans la perspective du prochain Euro – en soulignant pour mémoire que l’Euro 2000 fut infiniment plus abouti et « beau » que la Coupe du monde deux ans auparavant.

Bien sûr, Dugarry enjolive le cas Benzema et minore les responsabilités de ce dernier dans sa situation, en omettant surtout que la seule et première victime de l’affaire se nommait Mathieu Valbuena, qui, lui, a perdu davantage que l’attaquant du Real. Toutefois, il est également salvateur de ne pas complètement passer sous silence que son éviction n’aurait peut-être pas eu lieu avec un autre patronyme, pour des faits identiques. Le patriotisme républicain qui a enjaillé nos Bleus, et dont tout monde se félicite pour le bien de la nation, a encore quelques scories sur le visage de la Marianne à crampons. Les victoires aussi supposent leur droit d’inventaire et leur devoir de mémoire.

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