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Ligue 1 : loin des yeux, loin des cœurs
La Ligue 1 est-elle en train d’être invisibilisée - médiatiquement pour le moment - en France ? Le faible nombre d’abonnés chez DAZN comme sa disparition sur les réseaux sociaux (via la diffusion des buts) semblent démontrer un vrai et inquiétant recul. Dans notre civilisation numérique, pour être aimé, il faut être vu (les joueurs l’ont bien compris avec Instagram). Au risque que la passion des Français pour le ballon rond s’exile définitivement...
Le football est-il en train de perdre l’amour du peuple ? La litanie s’installe doucement et sûrement, jusqu’à devenir une prédiction autoréalisatrice ? En France, l’angoisse s’est cristallisée autour de nombreux symptômes : les Bleus décevants, Mbappé hautain, une Ligue 1 sans stars et bien sûr le coût de l’abonnement à DAZN. Avec seulement officiellement 500 000 abonnés, sûrement dans les faits beaucoup moins, la plateforme anglaise rate clairement pour l’instant son pari hexagonal. Et même en ajoutant les chiffres du streaming illégal, quelle a été donc l’audience réelle du Classique ?
Nous sommes loin des chiffres d’Amazon, qui dépassait le million, ou même de Canal+ quand les grands chocs de notre championnat domestique rassemblaient près de 1,8 million de personnes, sans compter les bars remplis devant une télé accrochée au-dessus du zinc. Aujourd’hui, peu de troquets ont accepté de débourser les 200 euros mensuels exigés pour avoir le privilège d’enjailler leur dimanche après-midi avec un Toulouse-Auxerre, et sont plutôt restés fidèles à la chaîne cryptée – et donc aux coupes d’Europe en semaine – pour étancher la soif de leur clientèle en émotions footballistiques. Ajoutez-y l’éclipse des petites vidéos des goals (en partage légal par les diffuseurs ou Free) sur les réseaux sociaux à la suite des embrouilles dans les négociations avec Bein Sports, et il devient donc légitime de se demander qui regardent encore les rencontres de Ligue 1, et si parfois il ne se masse pas davantage de monde dans les tribunes que devant un écran.
Les championnats européens n’ont pas ce problème
Pourtant, contrairement à un leitmotiv qui se prétend analyse sociologique, nous, Français, aimons toujours autant le foot. Les statistiques du foot amateur et l’essor des autres foots (à 7, walking foot, futsal, foot féminin ou même mixte) en témoignent. Surtout, l’appétence pour les compétitions européennes ne faiblit pas. Canal+ a acquis leur exclusivité, un choix qui paraît judicieux malgré la note salée. Les championnats étrangers conservent un réel attrait, souvent grandissant, qu’il s’agisse de la Premier League ou de la Liga. Et désormais La chaîne L’Équipe va proposer en libre accès les deux plus belles affiches de la Serie A italienne, une institution en pleine renaissance sportive (en témoignent les prestations sur le plan européen), avec un Napoli en feu cette saison sous la baguette de Conte.
Dans cette configuration, personne ne peut contester que cette année, au minimum, deux fois moins de passionnés suivent du regard la Ligue 1. Cette chute de la visibilité semble en outre se conjuguer avec un éloignement du public, aussi bien culturel qu’économique. L’actualité principale oscille entre les péripéties des droits TV, occasionnellement l’arbitrage, et les débordements dans les gradins, autrement dit le versant politique.
Aiguiser l’appétit du public
La stratégie de la LFP continue d’ignorer ce danger, et s’enferme dans la certitude que, malgré tout, la Ligue 1 demeure un « produit premium ». Un aveuglement ubuesque notamment en simple terme d’étude de marché. Pour séduire de nouveau le public, et les plus jeunes surtout, il s’impose de lui donner des raisons de revenir, d’aiguiser son appétit, lui réapprendre le goût du « foot à la française », autrement qu’avec des clips onéreux et des incantations de pseudo patriotisme économique. La concurrence est partout, notamment sur d’autres terrains sportifs (MMA, basket, dorénavant ping-pong…).
L’invisibilisation, en particulier sur les smartphones de nos gamins, distille une sale habitude d’ignorance, qui nécessitera pour la déminer de la patience et une vision sur le long terme. Ne serait-il pas opportun de profiter de la crise avec Bein, pour renoncer provisoirement aux revenus générés par la rencontre que la chaîne qatarienne diffuse (souvent celle du samedi après-midi) et la placer sur une chaîne gratuite, en clair – pourquoi pas le service public – afin de reconquérir les âmes et les yeux ? Sans ça, notre Ligue 1 pourrait finir par occuper la place de la Betlic Élite face à la NBA. Loin des yeux, loin du cœur, loin du porte-monnaie…
Par Nicolas Kssis-Martov