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Droits TV: Mais que fait Canal+ ?
Alors que cela fait maintenant un bon mois que la procédure de conciliation a pris fin et que la LFP a récupéré l’intégralité de ses droits de diffusion à Mediapro, aucun nouveau diffuseur ne s’est présenté. Et alors que tout le monde attendait Canal+, la chaîne cryptée se fait attendre. Mais pourquoi ?
En 2018, lorsque le groupe sino-espagnol Mediapro avait raflé 80% du foot français pour 830 millions d’euros par an jusqu’en 2024, Canal+ apparaissait comme à moitié mort. La chaîne venait de perdre coup sur coup les droits de la Ligue des champions, raflés par RMC Sport, et les droits du championnat de France, après 30 ans de diffusion historique. Sans compter la chute catastrophique de ses audiences, notamment sur les émissions en clair, et la déperdition du parc d’abonnés. Rien n’allait plus au sein de la chaîne cryptée. Deux ans plus tard, tout a changé. Mediapro confirmait le flop Téléfoot, bloquait ses versements et entamait un début de rupture avec la LFP. L’occasion pour le directeur de Canal+, Maxime Saada, qui prédisait dès 2018 « que des droits du foot à plus d’un milliard d’euros n’étaient pas rentables », d’avancer ses pions et de se positionner comme le grand sauveur. Alors qu’il avait été conspué et critiqué en 2018, qu’on avait moqué sa jalousie et souligné sa rancune après avoir perdu l’appel d’offres 2020-2024, Saada, avec tout le groupe Canal, était vu, au moment de la chute de Téléfoot, comme le prochain messie, le seul capable de sortir le foot français de la panade, embourbé dans une difficile crise sanitaire et économique. Il était celui qui allait tout changer, tout réparer.
800 millions, prix d’amis ?
Et en fait, bah… pas du tout. Rapidement, au cours du quatrième trimestre 2020, on a compris que Canal n’était plus très chaud pour se positionner rapidement. À force de déclarations dans la presse spécialisée, Saada montrait que sa chaîne n’avait ni les moyens ni l’envie de rafler tous les droits, que le budget n’avait pas été provisionné et que malgré l’apparition, fugace, de Téléfoot, le nombre d’abonnés n’avait pas diminué. En décembre, lorsque la procédure de conciliation avait pris fin et que la Ligue pouvait enfin commencer ses recherches d’un nouveau diffuseur, le journal L’Équipe avait fait état d’une proposition de Canal+ : 590 millions d’euros plus 100 millions d’euros de bonus en fonction des résultats pour l’intégralité du foot français. Soit 40% en moins que ce que les clubs avaient déjà budgété avec Mediapro. Un choc pour les dirigeants qui escomptaient au moins 800 millions d’euros.
Ceci étant, cette proposition, bien qu’insuffisante, avait au moins le mérite d’exister. Car depuis, plus rien ! Canal+ ne décroche plus son téléphone et les réunions entre les membres de la Ligue et les membres de la chaîne ont commencé à diminuer. Il semblerait que Canal se place dans une position attentiste, profitant du droit accordé par le Tribunal de commerce de Nanterre à Téléfoot à maintenir, à ses frais, la diffusion de la Ligue 1 et de la Ligue 2 au moins jusqu’au 31 janvier. Son intérêt est simple : en laissant faire et en laissant la panique s’installer, Canal apparaît de plus en plus comme l’unique solution, qu’il faut choyer et dorloter. En octobre dernier, une source proche du dossier avait présenté la stratégie de Vincent Bolloré, président-actionnaire de la chaîne cryptée : il fallait laisser mourir la Ligue, après l’échec de Mediapro, et récupérer le bébé à moins de 500 millions d’euros.
C’est un peu ce qu’il semble se passer. Actuellement, en ignorant les appels de la LFP, Canal+ fait monter la pression et s’attend à pouvoir rebondir avec une proposition économiquement intéressante, inférieure aux 800 millions d’euros espérés. D’autant plus que le champ politique s’immisce dans le dossier. Se sachant indispensable à la survie du football, Canal aurait exigé, auprès des proches du président Emmanuel Macron, une ristourne sur la TVA, aujourd’hui payée par le groupe à 10% mais voulue à 5%. Mais Canal souhaiterait également une réforme sur le calendrier de diffusion des séries et des films, afin de se renforcer face à la concurrence des plateformes américaines Netflix et Amazon.
Que vient faire Zemmour dans tout ça ?
Comme le football français n’a pas son pareil pour nous faire rêver, l’histoire n’est évidemment pas finie. L’Élysée, seul capable de valider les demandes de la chaîne, verrait d’un très mauvais œil les desiderata de Bolloré et consorts. Selon un article du Monde, paru jeudi 7 janvier 2021, Macron ne voudrait rien laisser passer, reprochant à Vincent Bolloré d’avoir fait de CNews « une chaîne d’extrême droite » et de mettre en avant sur ses antennes le polémiste Éric Zemmour : « Pour Macron, Bolloré aurait franchi une ligne jaune en faisant de CNews une chaîne conservatrice, avec comme figure de proue Éric Zemmour.[…]Depuis, Vincent Bolloré serait persona non grata à l’Élysée. Pas question, donc, de lui donner le moindre coup de pouce. » Interrogées sur ce sujet, deux sources de l’article du Monde se montrent contradictoires. L’une, proche du palais, moque cette rumeur, une autre, proche de la Ligue, lui donne plutôt du crédit. Qui croire ? Résumons, donc : les clubs sont au bord de la faillite, il faut trouver un nouveau diffuseur. Mais le seul capable d’assurer la chose joue la montre et profite de la situation pour exiger des ristournes ailleurs. Seulement, pour une histoire d’opinion politique, le président refuserait tout passe-droit et les choses resteraient bloquées. Pendant ce temps-là, c’est le fan de foot qui est brimé, le sportif qui est dévoyé et tout un système qui en pâtit.
Par Pierre Rondeau