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Droits TV : La LFP prime Amazon
La nouvelle est tombée avec la brutalité d’un but en or. La LFP a finalement décidé d’attribuer l’ancien lot de Mediapro à Amazon, pour près de trois fois moins cher. Un tel deus ex machina a pris de court Canal +, qui se voyait déjà en seul maître du jeu avec son fidèle allié beIN. Si ce choix peut sembler d’abord une réponse tactique – se sortir du piège dressé par Maxime Saada - à un contexte particulier, il redistribue peut-être plus profondément les cartes qu’on ne peut le penser, et sur le long terme.
La question revenait régulièrement sur le tapis. Quelles sont les ambitions des GAFA en matière de droits sportifs, alors qu’ils ont largement redistribué les cartes dans beaucoup d’autres domaines, tel l’audiovisuel ou le cinéma ? Depuis vendredi, nous en savons un peu plus. Amazon est donc devenu l’un des principaux diffuseurs de la L1, et de la L2, en France. Le géant américain déboursera 250 millions d’euros chaque saison, pendant trois ans, pour retransmettre huit des dix matchs de l’élite dont les « dix meilleures affiches », et l’essentielle rencontre du dimanche soir. Avant d’aller plus loin, une dimension importante doit être évoquée, du moins pour juger cette situation inattendue : Amazon acceptera-t-il enfin, à l’instar de n’importe quelle autre entreprise, de payer des impôts dans l’Hexagone pour son activité et ses bénéfices ? Mettons-la de côté pour le moment, notre gouvernement et notre administration fiscale y trouveront sûrement matière à réflexion.
Sortir la tête de la gueule de Canal+
Pour en revenir à la décision de la LFP, ce choix ne répond pas seulement à des impératifs ou des considérations financières. Si elle avait opté pour la proposition du groupe français et de son partenaire qatari, elle aurait pu espérer récolter près de 673 millions d’euros, dont une part demeurée certes dans le flou d’un « sous conditions », du nombre d’abonnés notamment. Avec l’actuel montage donc, 663 millions viendront renflouer les caisses bien vides des clubs tricolores. L’enjeu se situe donc bien sûr à un autre niveau. Il s’agissait de se sortir d’un tête-à-tête avec Canal qui prenait des airs revanchards et de mise à l’amende fort désagréable. En bradant son lot, ce qui est concrètement le cas, le foot pro réinstaure un rapport de force largement plus favorable et un deal qui préserve économiquement le strict minimum. Une sorte de retour à la « normale » pré-Mediapro, après les folies des grandeurs et autres hallucinations collectives du bureau de la Ligue.
Naturellement, cette bonne nouvelle repose largement sur une distorsion du réel : les 300 millions et quelque crachés par Canal pour quelques matchs secondaires. Un chiffre qui reste le seul héritage du « milliard » hispano-chinois. D’ailleurs, Maxime Saada l’a bien compris. Canal a brutalement troqué le statut de croquemitaine pour celui d’idiot du village. Les tentatives judiciaires ou juridiques pour invalider l’attribution se heurtent pour l’instant au mur de leur signature et de leurs engagements. Dernier exemple en date : l’Autorité de la concurrence, qui, quelque part, astreint le groupe français à assumer, lui, le poids de son erreur. Désormais, et malgré les grandes déclarations tonitruantes par voie de communiqués, sauf à entrer dans une guerre de tribunaux sur le long terme et à se mettre « hors la loi » en ne payant ni diffusant ces fameuses rencontres, c’est Canal qui se retrouve pieds et poings liés, obligé de payer pour la « faute » de la LFP, qui a trouvé son dindon de la farce. Dans trois ans, on verra bien ce qu’il en sera pour tous les acteurs de ce vaudeville.
Maxime Saada
Risque tactique et paris d’avenir
De la sorte, provisoirement, la LFP a limité la casse, ce qui malheureusement ne l’incitera guère à repenser son modèle. Sur le court terme, elle sauve les meubles. Elle se trouve un nouveau partenaire qui a les reins solides cette-fois et qui est, de toute manière, l’avenir de la « consommation » audiovisuelle du sport. Amazon a, de son coté, récupéré un beau produit, pour un prix cette fois raisonnable (la L1 ne vaut guère davantage). Que va-t-il en faire ? Le vendre à ses « déjà clients » , en attirer de nouveaux, l’introduire dans son catalogue ? Sa force repose sur un immense fond d’abonnés, avec sa formule Prime, qui propose des services multiples, dont une plateforme de ciné et séries. De fait, y compris une augmentation modérée, pas plus de 15 euros, du coût (actuellement 5 euros par mois), ne devrait pas se révéler problématique. Bien loin, en tout cas, des 21 euros de Téléfoot, avec en outre donc une offre bien plus vaste.
Comment le futur abonné va-t-il réagir ? C’est pour le moment le grand perdant de cette soirée SM permanente où valsent les formules et les lots. Suivre la L1 s’est transformé en un casse-tête insupportable d’une saison à l’autre. Regarder légalement la Ligue des champions, un luxe supplémentaire. Amazon a ainsi la possibilité de définir des bases plus stables de ce que sera la diffusion légale du foot de demain, et sur quels supports (box, télé, internet, smartphone, etc.). À moins que, lorsqu’il faudra faire le bilan, la calculette pousse le géant américain à jeter l’éponge. Et il faudra alors tout recommencer, encore et encore.
Par Nicolas Kssis-Martov