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Droits TV : des présidents et des clubs toujours en sursis après l’accord avec Canal+
L’annonce de l’obtention de la totalité des droits télé de la saison en cours par Canal+ permet aux clubs professionnels de reprendre momentanément leur souffle, avant de replonger dans l'incertitude. Autrement dit : les présidents sont contents de retrouver un peu de lumière sur la chaîne cryptée, mais ne voient toujours pas la fin du tunnel.
La purée de pois était trop épaisse. Jusqu’à cette semaine, tous les clubs professionnels claquaient des mollets à cause du fiasco de Mediapro, laissant en friche un foot français déjà bien secoué par la crise sanitaire et économique due à la Covid-19. Il y a peu, certains présidents comme Pierre Ferracci témoignaient que « le pire dans ces moments-là, c’est l’absence de visibilité ». « On se doute que le futur n’augure rien de très généreux ou de très optimiste, mais au moins, on saura où on va », continuait le boss du Paris FC. Les tractations gré à gré de la Ligue de football professionnel (LFP) avec les candidats, à la suite de l’appel d’offres infructueux de lundi, ont permis de délayer cette partie de colin-maillard pour retrouver quelques repères.
La chaîne cryptée s’est engagée ce jeudi à diffuser l’intégralité de la fin de la saison, en échange d’un versement de 200 millions d’euros dans les prochains jours (en avançant le règlement de 165 millions d’euros de ses échéances pour ses deux matchs hebdomadaires déjà obtenus en 2018 et concédant une allonge de 35 millions pour récupérer les matchs de Mediapro). Les chèques de Free et des droits à l’international font grossir la cagnotte totale à 750 millions d’euros pour l’exercice 2020-2021. On est certes loin du 1,3 milliard prévu à la base. Pourtant, cela suffit aux présidents de club pour passer de meilleures nuits. « Je ne sais pas si Canal a sauvé le foot français, mais en tout cas, ça permet à tous les clubs d’avoir de la visibilité parce que l’incertitude est quelque chose de très difficile à vivre, confiait le président lillois Olivier Létang au micro de RMC. C’est sûr que par rapport à ce qu’on devait toucher en début de saison ça peut paraître dur, mais encore une fois, on sait ce que l’on a. »
« Le moins pire des accords »
Si les termes de l’accord ne permettent absolument pas de mener grand train, ils permettent au moins de remettre le ballon au centre du terrain et de payer les factures en attente. « C’est le moins pire des accords qui pouvaient se faire, confie un président sous couvert d’anonymat. Ce choix a été fait pour deux raisons. Un, ça concerne juste cette saison et donc laisse à la Ligue le temps de regarder ce qui peut se faire pour les prochaines saisons(car il faudra effectivement procéder à un nouvel appel d’offres cet été, NDLR). Deux, ça remet de l’exposition et de l’audience à nos championnats. Avec l’arrêt des championnats l’an dernier et la diffusion confidentielle de Mediapro, les fans de football en France n’avaient plus accès aux matchs. » Entre les lignes, on comprend que si Canal+ et son allié beIN Sports n’ont pas répondu à l’appel d’offres de lundi, obligeant la Ligue à invalider la procédure, c’était pour avoir ensuite les coudées franches pour discuter entre quatre yeux. « Le coup de génie de Vincent Labrune et de Maxime Saada(le président de Canal+)est de dire :« On fait du gré à gré, mais uniquement sur cette saison », débriefait Jean-Michel Aulas dans les colonnes de L’Équipe. Chacun y trouve son compte. Canal va retrouver l’intégralité de la L1 et presque toute la L2, tout en permettant au football français de souffler sur le plan financier. »
Ce matin au réveil, on découvrait alors des présidents retrouvant Canal+, diffuseur historique du foot français, comme des enfants remettant la main sur leur doudou. Lors de la razzia de Mediapro, ils étaient nombreux à s’interroger sur le sort réservé à la Quatre. « J’était content qu’on atteigne le milliard, j’étais surpris qu’il n’y ait pas Canal+, parce que c’est le diffuseur historique, posait le Montpelliérain Laurent Nicollin à l’époque. Bon les rapports avec la Ligue n’étaient pas très bons non plus, mais quand même ! »
Pourtant, certains ont du mal à suivre la stratégie de Canal+, coupable d’avoir déjà fait une erreur de jugement au moment de se faire doubler par Mediapro en mai 2018. « Canal disait toujours qu’on ne pouvait pas faire de gré à gré pour des raisons juridiques, mais c’est ce qu’il s’est passé. Tous ces arguments sont des arguments fallacieux qui nous font perdre du temps et des journées de championnat pour arriver à ce genre de deal, se méfie une source proche du dossier. Si j’avais été Canal, je me serais engagé sur plusieurs années sans avoir à mettre plus de 650 millions dans les droits. Ils auraient été les seuls maîtres à bord pour les quatre prochaines années. Là, on ne sait pas quel sort nous sera réservé pour la saison prochaine. On reste avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et les mêmes difficultés. » Ce goût d’inachevé semble aussi rester dans le fond de la gorge de Loïc Féry. « Deux sentiments prédominent pour moi, énonce le président lorientais à L’Équipe. D’un côté le soulagement de savoir que les matchs seront diffusés,[…]et de l’autre il y a une très grande inquiétude sur le sort des clubs, qui voient 50% de leurs revenus disparaître. »
« Rien n’est réglé pour le futur »
Jean-Michel Aulas est l’un des présidents les plus optimistes, gardant foi en Vincent Labrune pour redresser la barre. « Rien n’est réglé pour le futur. Mais si Canal a fait ce qu’il fallait pour nous apporter une solution, c’est qu’il veut retrouver le football. Et comme Amazon, Discovery et DAZN sont là pour l’avenir, c’est essentiel., positive le Lyonnais avant de concéder un certain désenchantement. Il y a eu un rêve qui n’a pas été exaucé. Tout l’écosystème du football a failli être emporté. » De fait, tout le monde sait que les lendemains n’augurent rien de faramineux. « La Ligue a sorti un document affirmant que la perte du football professionnel est de 1,3 milliard, poursuit un autre patron de club. Elle est constitué de 500 millions dus à la défaillance de Mediapro, autour de 400 millions sur les revenus des stades qui n’existent pas et environ 400 millions sur le manque à gagner sur les mercatos. Il suffit de regarder le mercato de janvier qui est passé d’un milliard l’an dernier à 250 millions : le marché s’est écroulé, parce que les clubs étrangers qui étaient nos acheteurs sont exsangues financièrement. »
Autrement dit, le football français n’est pas arrivé au bout de ses peines : « Ce qui est toujours d’actualité, ce sont les 25 millions de pertes prévisionnelles de Lorient, les 67 de Bordeaux, les 150 de Marseille, les 200 de l’OL et les 250 du PSG. Malheureusement… » Attendu pour prendre en main le futur syndicat unique des clubs professionnels, Laurent Nicollin connaissait les risques : « La majorité des clubs sont en danger. Peut-être pas en danger de mort, mais ils n’ont pas toujours les actionnaires capables de combler 20, 30 ou 40 millions de pertes. » Oui, même sous la bannière de la chaîne cryptée, il y a de quoi rester crispé.
Par Mathieu Rollinger
Tous propos recueillis par MR sauf mentions.