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Droits TV de la Ligue 1 : une guerre de négo
Avec le retrait de beIN Sports des négociations pour les droits TV de la Ligue 1 sur la période 2024-2029, la LFP se retrouve dans une situation intenable qu’elle a elle-même provoquée. Et dans ce flou, c’est Canal + qui se frotte les mains.
Une chose est sûre : la Ligue 1 McDonald’s débutera bien le vendredi 16 août. En revanche, personne ne sait quel match servira de lever de rideau, ni où il sera diffusé. À 78 jours de la reprise du championnat de France, les amoureux de ce trésor national ne savent toujours pas quel(s) abonnement(s) ils vont devoir s’offrir à grands frais afin de regarder le PSG désosser la concurrence, Auxerre se battre pour sa survie, et Nantes finir 15e. Si beIN Sports semblait tenir la corde pour rafler la mise, Le Parisien a révélé ce mercredi que le groupe qatari n’était plus si chaud à l’idée d’acquérir la totalité du championnat sur la période 2024-2029. Malgré le lobbying d’Emmanuel Macron et de Vincent Labrune auprès de Nasser al-Khelaïfi, président de la chaîne, et de l’émir Tamim bin Hamad al-Thani lors d’un dîner organisé à l’Élysée en février dernier, beIN ne devrait pas être le sauveur du football français.
Alors qu’un accord autour de 700 millions d’euros annuels, en échange d’une belle part pour le PSG, semblait en bonne voie, celui-ci serait tombé à l’eau. Si beIN était intéressé par ces droits, alors que la chaîne ne l’était pas forcément lors du lancement de l’appel d’offres, c’est parce qu’elle envisageait de jouer sur cette acquisition pour revaloriser son contrat d’exclusivité avec Canal +, qui lui verse 250 millions d’euros par an. Sauf que les discussions entre les patrons des deux chaînes – Yousef Al-Obaidly, côté qatari, et Maxime Saada, côté Bolloré – n’auraient abouti à rien : la chaîne cryptée ne serait pas intéressée à l’idée de renégocier à la hausse le deal avec beIN, qui expire en 2025, même si les Qataris mettaient la main sur la Ligue 1. Plus aucun intérêt donc pour NAK de lâcher un gros chèque. Un revers auquel la Ligue pouvait s’attendre selon Pierre Maes, spécialiste des droits TV : « Si beIN était réellement intéressé, il y aurait déjà un deal depuis longtemps. Qu’il y ait si peu d’options aujourd’hui, la LFP ne le doit qu’à elle-même. »
Les erreurs de la Ligue
Si le football français se retrouve dans une telle panade, c’est en très grande partie à cause de la Ligue et de Vincent Labrune, le président, qui ont déployé une stratégie très étonnante pour l’attribution de ces droits TV. « Claironner cet objectif d’un milliard, je ne sais pas si c’était vraiment judicieux », avance l’auteur de La Ruine du foot français. Surtout, l’appel d’offres a été lancé extrêmement tard (septembre 2023), ce qui est en opposition complète avec la tendance actuelle. « Il n’y a pas de concurrence dans le marché. Donc qu’est-ce qu’on voit ? Les ligues organisent les appels d’offres le plus tôt possible. D’ailleurs, c’est ce que la Ligue française faisait avant. » Enfin, la LFP s’est enterrée sur un troisième paramètre : mettre en place une mise à prix plutôt qu’un prix de réserve. C’est-à-dire que si une offre était en dessous de la mise à prix, elle était automatiquement refusée. « Dans un système classique, la Ligue fixe un prix, celui qu’elle souhaite obtenir, mais elle étudie les offres en dessous », détaille Pierre Maes.
Et donc, les observateurs n’ont pu que constater les dégâts de cette accumulation d’erreurs, puisque la LFP ne s’est retrouvée avec aucune offre concrète. « Ils ont dû aller pleurer chez l’un et l’autre opérateur, à commencer par DAZN, en demandant : “S’il vous plaît, est-ce que vous voulez bien faire une offre ?” », estime le spécialiste. Cet énorme camouflet pour la LFP plonge cette dernière, et l’ensemble du football français, dans une instabilité rare. Selon L’Équipe, refourguer les droits à beIN était le plan A. Le plan B est désormais envisagé par la Ligue : lancer sa propre chaîne, tout de même portée par beIN, qui serait disponible via tous les fournisseurs d’accès à internet (comme SFR, Bouygues, Orange), mais aussi sur DAZN. Et donc sans exclusivité pour Canal. Une solution à laquelle ne croit pas Pierre Maes, qui voit là un stratagème pour mettre la pression sur la chaîne cryptée, qui est l’arbitre de cette histoire.
Canal est en train de faire payer à la Ligue le traitement qu’elle a subi lors de l’attribution des droits à Mediapro, puis à Amazon. « L’erreur fondamentale de la Ligue et de ses dirigeants successifs, c’est de ne pas avoir pu mettre en place une relation commerciale fructueuse avec Canal. Et au contraire, la Ligue a tout fait pour montrer qu’elle considérait Canal plutôt comme un ennemi », estime Pierre Maes. Ce dernier rappelle aussi qu’en 2021, Labrune avait fait miroiter à la chaîne à péage jusqu’au dernier moment qu’elle récupérerait les droits avant de les donner à Amazon dans le temps additionnel. « Ce genre d’attitude, qu’on voyait dans le business des droits TV il y a 20 ans, ça n’est pas sérieux, ça n’est pas professionnel, et la Ligue en paye le prix aujourd’hui. » Toutefois, le spécialiste n’envisage pas que Canal+ se prive de la Ligue 1, malgré la présence de toutes les coupes d’Europe sur son antenne à partir de la saison prochaine. En revanche, la LFP devra probablement devoir se satisfaire de 500 millions d’euros annuels, voire moins.
Par Léo Tourbe
Propos de PM recueillis par LT.