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Droits TV : 800 millions pour quoi faire ?
La LFP a rendu public son appel d’offres pour les deux lots des droits TV de la L1 ainsi que leur prix de réserve (800 millions en tout, sans l’international). Et si la pire chose pour le foot français était d'obtenir ce magot ?
Il n’est un mystère pour personne que les clubs français sont dépendants, bien au-delà du raisonnable (du point de vue capitaliste) des droits TV. Une télédépendance largement documentée, sans aucun produit de substitution pour le moment. L’engagement (1,5 milliard d’euros) de CVC dans la société créée avec la LFP ne change pas pour le moment radicalement la donne. Cet argent fourni a simplement permis à beaucoup de maintenir leur train de vie après le cataclysme conjoint de Mediapro et du Covid. Les pensionnaires de Ligue 1 et dans une moindre mesure de Ligue 2 ne conçoivent pas leur existence et leur développement sans la manne du petit écran (désormais aussi sur tablette ou smartphone). Une manne toujours plus abondante. Le retrait précipité du diffuseur espagnol avait éclairé terriblement cette situation. Le dur retour au réel qu’Amazon avait imposé ensuite (250 millions pour huit matchs) n’a toujours pas servi de leçon, tout au plus vécu comme une parenthèse un peu douloureuse. De l’eau a coulé sous les ponts et dans les mémoires. La LFP affiche désormais clairement de nouveau la prétention d’obtenir au moins 800 millions annuels pour ses deux lots (530 millions d’euros pour le premium, 270 millions d’euros pour le second), avec un contrat allongé à 5 saisons (jusqu’en 2028-2029) afin de rassurer tout le monde. Il reste ensuite le grand rêve de l’international, ou pour l’instant seule règne la Premier League, devenue de fait la NBA du soccer.
Un braquage qui ne correspond à rien
Le prix de réserve, officiellement annoncé cette fois, éclaire à la fois les ambitions et l’urgence dans lesquelles se trouve englué le foot tricolore. Et le pire, c’est qu’il peut y arriver. Malgré la brouille avec Canal+ et Maxime Saada qui « boude », mais avec l’arrivée inespérée de DAZN dans la course (la plateforme de streaming qui se proclame le Netflix du sport). Si de fait le fameux milliard, ou un chiffre approchant, atterrissait dans les finances de la L1, nul doute que le champagne coulera à flots dans les bureaux des divers pensionnaires de notre élite. Seul problème, cet énième épisode de la survalorisation du foot tricolore risque encore de renforcer les illusions et l’aveuglement des directions des clubs. Le foot français continuera à renflouer ses caisses en vendant en masse au mercato (bonheur absolu, les Saoudiens ont déversé cette année leurs pétrodollars sur le marché) et bien sûr en se dopant à la testostérone des droits TV. Peu importe si ce braquage ne correspond en rien ou s’avère déconnecté de la force ou de l’intérêt de notre championnat. Pourquoi changer dès lors que le ruissellement existe bel et bien pour certains privilégiés ? La LFP s’avère finalement la firme commerciale la plus douée de notre économie tricolore.
Les Pays-Bas et le Portugal n’ont pas besoin de tout ça
Les résultats dans les compétitions européennes offrent pourtant un tout autre portrait du rapport des forces sur le Vieux Continent. Les Pays-Bas, qui viennent de nous passer devant à l’indice UEFA, ne touchent même pas 100 millions pour l’Eredivisie. Les représentants du Portugal, où chaque club négocie pour le moment directement ses droits (400 millions sur dix ans pour Benfica) sont bien plus performants (en tout cas, à la photographie d’aujourd’hui, Braga connaît plus de succès que l’OM). Une fois encore, en exigeant, comme un dû ou une évidence, un prix approchant celui de la Serie A ou de la Bundesliga par exemple, la France va continuer à s’imaginer à leur niveau sans s’interroger sur la réalité du terrain ou penser la façon de rattraper son retard. Sur le long terme, le déclassement de la L1 va poursuivre sa courbe descendante, mais qu’importe, on sera prêt à payer aussi cher pour le contempler.
Par Nicolas Kssis-Martov