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Drame du Calderón : les faits, leurs conséquences

Par Robin Delorme, à Madrid
Drame du Calderón : les faits, leurs conséquences

Ce dimanche 30 novembre restera comme une tache indélébile pour le football espagnol. Avec le décès d'un suiveur du Depor lors d'une bataille rangée face à certains membres du Frente Atlético, autorités sportives et policières se sont couvertes de honte. Retour sur une journée noire qui fera date.


Jimmy, mort après une demi-heure dans l’eau

Les images relayées par la presse espagnole sont d’une rare violence. Ce dimanche, à 8h52, une caméra de surveillance filme une douzaine de prétendus aficionados de l’Atlético de Madrid rouant de coups un suiveur du Deportivo La Corogne pour ensuite le jeter dans le canal du Manzanares. Plus ou moins chanceux, il réussit à ne pas se noyer et remonte sur le quai. Dans la foulée, Francisco Javier Romero Taboada, dit Jimmy, ne pourra se relever. Tabassé par ces mêmes énergumènes, ce membre de Los Suaves – frange radicale des Riazor Blues – est lui aussi jeté de cinq mètres dans le fleuve madrilène. Selon le témoignage d’un taxi cité par El Pais, cet homme de 46 ans tente vainement de flotter tout en s’agrippant au mur. Une demi-heure durant, il lutte. Aucun agent de police n’est venu le secourir, les échauffourées continuant sur les berges. Il faut attendre l’arrivée des pompiers qui, grâce à la mise en place d’une échelle, viennent le secourir. Trop tard. Une fois pris en charge par le Samu, lui sont diagnostiqués un traumatisme crânien – dû à un pied de biche –, un état d’hypothermie et un arrêt cardiaque : il est déclaré « cliniquement mort » . Malgré les tentatives des équipes de l’Hospital Clínico de le réanimer, Jimmy est mort à 14 heures. Il laisse derrière lui une femme et deux enfants.


Une « réunion » entre groupes ennemis

« Allez viens, on est bien » , « Regarde tout ce qu’on peut faire » . L’humour en moins, les discussions sur l’application Whatsapp qui ont permis cette bataille rangée aux alentours du Vicente-Calderón effraient en Espagne. Un jour après, les détails commencent à filtrer dans la presse. Après quelques échanges, certains membres du Frente Atlético et des Riazor Blues se sont donné rendez-vous vers 9 heures du matin. Sur les berges du Manzanares, ces deux groupes ont été rejoints par quelques adhérents des Ultras Boys du Sporting Gijón, des Bukaneros du Rayo Vallecano et des Alkor Hooligans d’Alcorcón. Pour faire bref, le Frente Atlético et les Ultras Boys sont des groupes d’extrême droite. A contrario, Riazor Blues comme Bukaneros et Alkor Hooligans sont eux d’obédience très à gauche. Plus que ces simples considérations politiques, cette rixe est la conséquence d’accrochages qui ont eu lieu la saison passée. Au soir du titre des Colchoneros en Liga, le Frente Atlético aurait promis une revanche à ses homologues galiciens, coupables de les avoir un tantinet trop chambrés. Résultat : une bataille rangée regroupant 200 personnes (dont 150 du Frente), armées de battes de baseball, couteaux, bouteilles, barres de fer…


La police ne savait rien

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. » À l’instar de Tartuffe ou l’imposteur, la police espagnole a donné dans l’aveuglement et l’incompétence. À la question « comment une bagarre d’une telle violence a-t-elle pu éclater à quelques centaines de mètres du stade ? » , la réponse est détenue par la commission nationale contre la violence, présidée à tour de rôle par les ministères de l’Éducation et de l’Intérieur. Cette dite commission avait ainsi classé la rencontre Atlético de Madrid-Deportivo La Corogne « à faible risque » , sans prendre en compte les contentieux entre quelques pseudos supporters rivaux. Conséquence : seuls 150 policiers ont été déployés à deux heures du coup d’envoi. Si le match avait été déclaré « à risque » , dix fois plus d’officiers auraient été placés dès l’aube autour du Vicente-Calderón. Incompétence toujours, les bus des ultras galiciens sont arrivés à Madrid sans la moindre escorte. Bref, de nombreux manquements des autorités qui ont permis à ces sauvages d’en découdre en toute quiétude. Les quelques agents présents sur les lieux n’ont ainsi rien pu faire face à un tel dégueulis de violence.


La Ligue a tenté de la réveiller, la Fédération dormait

« Assassins, assassins. » Sous ces cris des 500 supporters galiciens présents au Vicente-Calderón, les 22 acteurs d’Atlético de Madrid-Deportivo La Corogne entrent sur le pré. Une ambiance surréaliste qui n’aurait pas dû prendre forme. Car après l’agression et « la mort clinique » dudit Jimmy, la Ligue de football professionnel espagnole, en accord avec les deux clubs, a souhaité l’annulation de ce match. Pour ce, elle a dû se mettre en relation avec la Fédération espagnole et son comité des arbitres – seuls les arbitres, dépendants de la RFEF, peuvent suspendre un match pour cause d’événement qui s’est déroulé à l’extérieur de l’enceinte sportive. Problème, personne au bout du fil. À 11h49, enfin, une réponse. Mais, « il était déjà trop tard pour suspendre (le match, ndlr), car cela aurait pu provoquer un problème d’ordre public » , a commenté Jorge Pérez, secrétaire général de la Fédération. Ainsi, lors des timides tentatives de chants du Frente Atlético, l’ensemble de l’audience présente au Vicente-Calderón a hué son propre kop. Des supporters, des vrais, qui auraient compris, et préféré, que cette rencontre ne se dispute pas.


21 détenus et des décisions qui vont tomber

Au lendemain de ce drame, la police espagnole tient toujours en détention 21 personnes et en aurait identifié 90 autres. Les autorités, elles, promettent des décisions fortes. Lors d’une conférence de presse organisée ce lundi midi, Miguel Cardenal, secrétaire d’État au Sport, a annoncé des propositions « qui proviennent fondamentalement de la LFP » : « On nous a proposé d’élaborer une liste de groupes ultras pour les expulser des stades. » En Espagne aussi, on confond ultras et hooligans. Toujours dans ce même point presse, Francisco Martinez, secrétaire d’état à la Sécurité, n’a pourtant pas remis en cause « un dispositif qui était adéquat » : « Ce sont des faits d’une extrême gravité, mais qui sont exceptionnels. » Une sortie médiatique étonnante, puisque les supporters du Deportivo La Corogne présents lors du drame ont pu se munir de billets pour la rencontre sans le moindre contrôle. Cardenal a ainsi ajouté qu’il fallait « contrôler ce qui a à voir avec la vente des entrées, signaler les groupes avec des précédents violents et créer des unités pour prévenir la violence » . Jusqu’à aujourd’hui, le contrôle des groupes violents était du seul fait des clubs, comme le montre l’effort fait par le Real Madrid pour virer de son enceinte les Ultras Sur. Oui, il serait temps que les autorités retrouvent la vue. Et prennent les bonnes décisions.


La deuxième victime du Frente Atlético

Le meurtre de Jimmy n’est pas une première pour le Frente Atlético. En 1998, un événement tout aussi tragique s’est déroulé aux abords de l’antre de l’Atlético de Madrid. Le 9 décembre de cette année, la Real Sociedad se déplace au Vicente-Calderón. Aitor Zabaleta, jeune supporter basque de 28 ans accompagné de sa copine, est alors agressé dans la rue des mélancoliques – artère empruntée par les supporters se rendant de la station de métro au stade. Son seul crime : avoir croisé la route de Ricardo Guerra, néo-nazi membre du Bastion, groupuscule le plus violent du Frente Atlético. Touché au cœur, Aitor Zabaleta décède le jour suivant. Son assassin, condamné à 17 ans de prison, est toujours célébré par une partie du kop matelassier qui chante à sa gloire. Une apologie de la violence difficilement contrôlable selon le club : « Je ne suis personne pour dissoudre le Frente. Nous ne donnons ni argent ni entrée. Nous ne leur facilitons rien et cette année nous avons retiré l’abonnement à 46 (supporters violents, ndlr) » , dixit Miguel Ángel Gil Marín, conseiller délégué du club. Car il ne faut pas mettre tout le monde dans la même besace. La très large majorité des aficionados rojiblancos aiment autant leur club que le football.

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Par Robin Delorme, à Madrid

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