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Drame à Nanterre : bavure policière, bravoure citoyenne
Mardi, à Nanterre, un contrôle policier a coûté la vie à Nahel, 17 ans, alors au volant de sa Mercedes jaune. Avant d'embraser les banlieues, cette interpellation meurtrière a suscité de vives réactions parmi les footballeurs français. Aujourd'hui, ces derniers endossent le rôle de porte-parole d'une jeunesse et de quartiers qui n'accepteront pas de se laisser abattre.
« Un jeune homme de 17 ans abattu à bout portant par un policier pour un refus d’obtempérer lors d’un contrôle. Telle est la réalité de la situation et elle est dramatique. » Qu’ils passent leurs vacances à Tokyo, Miami ou sous des palmiers, Jules Koundé, Kylian Mbappé et Mike Maignan ont tous eu la même pensée qui leur a traversé l’esprit. Les trois internationaux français ont beau avoir un quotidien radicalement opposé au climat ambiant dans les banlieues françaises, ils ont tous été choqués par ce qui ne devait être, à l’origine, qu’un simple contrôle routier, mais qui a fini par coûter la vie à Nahel. À 17 ans, il n’avait certainement rien à faire au volant de cette Mercedes AMG jaune. Mais à 17 ans, et un coup d’accélérateur plus tard, sa place était encore moins encastré dans le décor avec une balle dans le thorax.
Un jeune homme de 17 ans abattu à bout portant par un policier pour un refus d’obtempérer lors d’un contrôle. Telle est la réalité de la situation et elle est dramatique.
Comme si cette nouvelle bavure policière ne suffisait pas les chaînes d'information en continu en font leurs…
— Jules Kounde (@jkeey4) June 27, 2023
L’enquête déterminera les raisons qui ont poussé ce motard de la police nationale à abattre ce jeune homme à bout portant – le fonctionnaire était en garde à vue pour « homicide volontaire » mardi soir –, mais le temps médiatique a déjà pris le pas sur le temps judiciaire. Les réseaux sociaux se sont emballés, les chaînes d’infos ont braqué leurs caméras sur la préfecture des Hauts-de-Seine et sur leurs plateaux truffés d’éditorialistes aux langues chargées ou de « “journalistes” qui posent des « questions » dans le seul but de déformer la vérité, de criminaliser la victime et de trouver des circonstances atténuantes là où il n’y en a aucune », comme l’a pointé le défenseur barcelonais dans son tweet. Dans la vraie vie, ce sont plusieurs quartiers du 92 qui s’embrasent, ravivant le spectre des émeutes de 2005 après la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique de Clichy-sous-Bois.
Tremblement de Nanterre
Ces réactions chez les Bleus, bien qu’à des milliers de miles de l’événement, mettent évidemment en évidence « la loi du mort-kilométrique » : on est toujours plus concerné par une information qui se passe dans un environnement proche du sien. Bondy, où a grandi Mbappé, n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de Nanterre. Villiers-le-Bel, où se trouve le premier club de Mike Maignan, est situé à moins d’une heure de voiture. Paris, où est né Jules Koundé avant d’aller s’installer en Gironde, se trouve à quelques stations de transports en commun. À travers leur entourage, leurs potes d’enfance ou même ceux qui se sont greffés à eux depuis leur succès, beaucoup de footballeurs sont confrontés à cette réalité qui veut qu’un jeune de banlieue, en tort ou complètement innocent, soit plus exposé aux violences policières que n’importe qui. « Une balle dans la tête…C’est toujours pour les mêmes qu’être en tort conduit à la mort. Pour Nahel, pour sa maman », a ainsi commenté le gardien de l’AC Milan. La bavure qui avait conduit Théo Luhaka à l’hôpital en 2017 après une arrestation avait déjà mobilisé plusieurs personnalités, dont Franck Ribéry et Moussa Sissoko. Sur ce dossier, certains de leurs homologues vont certainement emboîter leurs pas, et bravo à eux. On a suffisamment souligné le côté hors sol des footballeurs professionnels, eux-mêmes trop souvent enfermés dans une bulle flottant au-dessus du reste, pour applaudir cette prise de position.
Une balle dans la tête…C'est toujours pour les mêmes qu'être en tort conduit à la mort. Pour Naël, pour sa maman 🕊️☝🏾 https://t.co/pnyWerSDFv
— Magic Mike Maignan (@mmseize) June 28, 2023
« J’ai mal à ma France »
Évidemment, l’extrême droite va leur demander pourquoi ils ne se sont pas positionnés de la même manière dans l’affaire Lola. Évidemment, ceux qui n’ont que les mots « racaille » et « sécurité » à la bouche vont sortir des textes de lois alambiqués qui prouvent que le policier était dans son droit. Mais ces footballeurs citoyens doivent au contraire utiliser leur statut pour dénoncer les dérives dans un pays où on ne devrait pas exercer le droit de vie ou de mort de manière aussi arbitraire. Voilà un combat bien plus important que de discuter des décisions arbitrales ou d’une prolongation de contrat. Koundé a coutume de s’engager pour des causes qui lui tiennent à cœur, Mike Maignan est déjà sorti du bois pour s’ériger contre le racisme, Mbappé a conscience de représenter « ces gens qu’on n’entend pas ». Ce sont des joueurs de cette trempe qui, par leur aura auprès de l’ensemble de la population, peuvent porter un flambeau. Leur voix compte et, même si elle ne doit pas se substituer à celle de la classe politique, peut servir d’électrochoc. Le « J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable » écrit par le capitaine français, avant de saluer la mémoire de « Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt », peut en être un.
J’ai mal à ma France. 💙🤍💔💔💔 Une situation inacceptable. Tout mes pensées vont pour la famille et les proches de Naël, ce petit ange parti beaucoup trop tôt.
— Kylian Mbappé (@KMbappe) June 28, 2023
Cette nécessité d’apporter un autre discours, Jules Koundé l’a bien en tête. Le 31 octobre 2022, il expliquait dans une vidéo la nécessité pour ses congénères de s’impliquer sur ces sujets en devenant « leur propre média » pour avoir « toujours le contrôle de [leur] parole ». Une grande majorité des footballeurs assurent qu’ils ne s’informent pas ou que très peu, et malgré la critique véhémente envers les médias de l’ancien Bordelais, pourtant on ne peut que considérer cette volonté comme une bonne chose, si tant est qu’on arrive à voir les joueurs comme autre chose que de simples pousse-ballons. Le foot n’a pas pour unique vocation d’offrir une simili cohésion nationale à l’occasion d’une finale en Coupe du monde. Il peut aussi devenir, grâce à son poids et à celui de ses acteurs, le vecteur d’idées et de messages qui pourront au bout du compte aider l’ensemble du corps social à mieux vivre ensemble.
Par Mathieu Rollinger