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Doucouré, l’envol du frelon
Arrivé à Watford lors de l’hiver 2016 avant d’être prêté six mois à Grenade, branche espagnole de l’empire Pozzo, pour terminer sa construction, Abdoulaye Doucouré, 24 ans, est aujourd’hui la gueule de la transformation opérée par les Hornets depuis la prise de fonctions de Marco Silva. Histoire d'un projet.
Une carrière professionnelle comme un puzzle où la moindre pièce finit toujours par trouver sa place. Gueule du siècle et pilier de son sport, Kobe Bryant quantifiait, au début de son aventure, le sien à « cinq millions de pièces. Et encore, il y a plein de pièces que je ne possédais pas. Mais je m’étais lancé dans sa construction. J’avais bien une idée du résultat final, j’imaginais à quoi cela pouvait ressembler, mais je n’en étais pas certain. C’était tellement excitant. » La vie d’un sportif de haut niveau tient au casse-tête et à la construction de repères à chaque nouvelle étape qui doit l’amener à assouvir sa condition forcée de céphaloclastophile. Chaque gosse a alors ses habitudes : envoyer le ballon sur l’interrupteur au bout du couloir, jouer un Barça-Real avec une paire de chaussettes, mimer des lucarnes avec une briquette de Jafaden. Pour Abdoulaye Doucouré, tout a plutôt commencé avec une étiquette : celle de conseiller municipal des enfants aux Mureaux, dans les Yvelines. La faute à une route séparant l’appartement familial et le stade Léo-Lagrange de la ville qui faisait flipper ses parents.
« On était pas mal d’élèves à se présenter et se faire élire comme conseillers municipaux des enfants, racontait-il il y a quelques années à So Foot.
On avait des réunions avec le maire et on proposait des idées pour le quartier. J’avais réussi à faire construire un terrain de foot dans le mien alors qu’on n’en avait pas. À la base, je suis quelqu’un qui aime parler avec les gens. Dans mon école, j’étais un petit leader, alors ce rôle me permettait d’aller au front. Je n’avais pas peur d’aller voir les grandes personnes pour leur exposer des problèmes et vu que j’adorais le foot, ma première idée a été de faire construire un terrain.(…)Un petit terrain de five en synthétique, nickel. Avant, on jouait dans l’herbe, avec des T-shirts pour faire les buts. Ce n’était pas top. » Son quartier à lui, c’est celui de la Vigne-Blanche, et son cadre est celui d’une famille très pauvre où la maturité rapide est indispensable pour sortir la tête de la galère.
« Ce gamin pue le foot »
La galère, c’est aussi l’apprentissage face à un monde dont il est difficile de cerner les codes et les éléments qui feront ensuite la courbe d’une carrière : la capacité à encaisser la douleur, l’entourage, la gestion des critiques, des efforts. C’est le début des années 2000, celui où un gosse de banlieue parisienne rêve déjà pour le PSG et est biberonné au Real des Galactiques. À l’âge de dix ans, Abdoulaye Doucouré peut traverser la rue sans personne et s’exprimer avec une licence, les parents s’inclinant progressivement face aux demandes répétées des grands du quartier. Sur ce tableau, il y a aussi un repère qui prend ici le visage d’un homme couteau suisse : professeur d’EPS du collège, responsable de la section foot où cavale déjà un certain M’Baye Niang, recruteur dans la région Île-de-France pour le Stade rennais. Son nom ? Mickaël Pellen, aujourd’hui adjoint chez les U19 nationaux du Stade brestois.
« Aux Mureaux, j’avais aussi un rôle de conseiller, car j’étais le seul qui connaissait un peu le système. Quand j’ai rencontré Abdoulaye, j’ai découvert une éponge niveau foot, un joueur avec un gros volume, qui apprenait rapidement et qui était en plus un super élève » , pose Pellen. Sur la route de Doucouré, les mêmes mots s’empilent : respect, maturité, rapidité. En UNSS ou en club, le gamin explose, il percute, on commence à cogner à la porte de sa chambre d’ado. Mickaël Pellen parle d’un joueur qui n’était « pas très courtisé, mais qu’il fallait faire progresser ailleurs. Il a fait un essai à Lille le jour de la finale régionale UNSS par exemple. Un autre jour, sa sœur m’a appelé un soir, à 21h30,
car le recruteur du Havre était chez eux, mais Abdoulaye ne voulait pas y aller. Il a finalement fait un essai à Rennes et tout s’est bouclé en trois jours après qu’il a fait exploser le test VMA. Patrick Rampillon, qui était directeur du centre de formation à l’époque, a été clair : « Ce gamin pue le foot. » »
Le joueur qui s’échappe
Assez fort pour être aujourd’hui présenté, à 24 ans, comme l’un des meilleurs milieux relayeurs du championnat d’Angleterre, où il a débarqué lors de l’hiver 2016 du côté de Watford. Quelques mois plus tôt, Doucouré avait pourtant refoulé les Hornets, décidant de rester au Stade rennais – où il a débuté chez les pros en avril 2013 avec Frédéric Antonetti – pour apprendre encore un peu plus. « C’était un choix stratégique de rester. Je pensais progresser plus en restant un an de plus ici. À 23 ans, le financier n’est vraiment pas ma priorité » , justifie-t-il alors à l’été 2015. Précision : dans le foot, un joueur de 23 ans, international espoir, qui avale les titularisations en Ligue 1 comme un étudiant avale les shots, représente souvent quelque chose qui lui échappe. Quand Watford agite une nouvelle enveloppe lors du mercato hivernal suivant, Abdoulaye Doucouré est vendu sans trop avoir à donner son avis, un peu moins de dix ans après avoir refusé de rejoindre Chelsea alors qu’il n’était qu’un prometteur U15 en Bretagne.
Ce départ signe alors la fin d’une histoire de neuf ans avec le Stade rennais, mais ouvre surtout les portes du silence. « Il y a quelques jours,L’Équipea parlé des Français de l’étranger, Abdoulaye venait de gagner avec Watford contre Arsenal et il n’y a pas eu une ligne sur lui.
Il a longtemps été sous-coté et c’est encore le cas aujourd’hui » , glisse Mickaël Pellen. Son ancien entraîneur à Rennes, Philippe Montanier, confirme : « Il a toujours su où il voulait aller et on savait au club qu’il pourrait aller loin. Je me rappelle notamment d’un gros match de sa part lors d’une victoire au Vélodrome, où il avait marqué (0-1, en mars 2014, ndlr). J’en avais fait la pierre angulaire de mon système, car il pouvait être partout, à la récupération, à la finition, comme un vrai milieu relayeur moderne. Il fallait simplement qu’il règle son irrégularité technique. »
La révolution Marco Silva
Les réglages, justement : depuis le début de son aventure, Abdoulaye Doucouré vit dans une bulle où la religion est centrale. « C’est quelque chose qui peut être difficile à comprendre, mais selon lui, chaque épreuve est une décision du destin, cadre Pellen. Lorsqu’il s’est fait les croisés en 2013, deux ans après avoir connu la même blessure, au même genou, il positivait. » Mieux, il s’en servait pour s’évader, dans sa famille, à l’INF Clairefontaine – où il avait été recalé étant jeune – ou à Capbreton, pour couper du monde du foot. Des blessures et un faible temps de jeu comme des épreuves, voilà aussi ce qu’a découvert le milieu franco-malien en arrivant à Watford, ses six premiers mois se transformant en un prêt positif du côté de Grenade, filiale espagnole de la famille Pozzo, également propriétaire des Hornets.
C’est aussi ce qu’il a connu l’an passé avec Walter Mazzarri avant de devenir un pilier du Watford version Marco Silva, actuel sexy quatrième de Premier League, vainqueur d’Arsenal samedi dernier et qui s’apprête à boxer avec Chelsea à Stamford Bridge. En arrivant cet été, Silva avait alors fait la promesse d’accompagner Doucouré « vers la marche supérieure » . Ce qui donne dans les faits : 100% de titularisations cette saison aux côtés de Tom Cleverley et Nathaniel Chalobah (ou Capoue), trois buts dont un contre Liverpool en ouverture et des performances qui braquent de nouveau les projecteurs sur un frelon enfin envolé. Comme une nouvelle pièce posée sur un puzzle qui pourrait se compléter en juin prochain avec un billet pour la Russie. Douks affirme « ne pas y penser » , même en se rasant le matin. Pour le moment.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB sauf ceux d'Abdoulaye Doucouré par NJ et ceux de Kobe Bryant issus de L'Équipe.