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D’où sort Illan Meslier, le gardien du Leeds de Bielsa ?

Par Arthur Stroebele et Victor Launay
D’où sort Illan Meslier, le gardien du Leeds de Bielsa ?

Encore peu connu en France, Illan Meslier est pourtant aujourd’hui titulaire dans les cages du Leeds United de Marcelo Bielsa, à vingt ans. Parti de sa Bretagne natale en fin d’année dernière pour tenter sa chance dans la Grande, en Championship, l’ancien Lorientais a surpris son monde et est en passe de confirmer qu'il fait partie des meilleurs gardiens français de sa génération.

Pour trouver des joueurs qui lui ressemblaient, au moins pour sa grande taille, Illan Meslier, quatorze ans à l’époque, avait déjà la tête tournée vers l’Angleterre. Jamais rassasié de foot, il concluait le plus souvent ses soirées d’été par une partie improvisée entre potes. Pour le repérer, en revanche, inutile de chercher dans les buts. Prenez le plus grand, en pointe. « Il se prenait pour Peter Crouch, lui !, se souvient Junior Burban, ancien camarade de classe, aujourd’hui prêté à l’AS Saint-Priest (N2) par Lorient. Il ne faisait que mettre des têtes. » Peut-être une manière de renouer avec ses premières années à l’ES Merlevenez, le club de sa commune d’origine, située à une vingtaine de minutes en voiture de Lorient.

Arrivé au club à l’âge de six ans, Illan Meslier se distingue très jeune par un physique déjà hors normes. Son premier entraîneur, Loïc Hado se souvient : « On avait deux joueurs très costauds qui étaient partout sur le terrain et qui étaient beaucoup plus forts que les autres, dont Illan. Il jouait derrière, c’était le roi. (Rires.)  ». Malgré ses qualités, le jeune joueur arrive finalement dans les buts un peu par hasard, pour pallier l’absence du gardien à l’occasion d’un tournoi. Il ne quittera plus les cages, poussé à s’y installer par un de ses encadrants, lui-même ancien gardien. « On l’a mis là, comme il était toujours à l’écoute, discipliné, il a accepté de continuer », se remémore Hado. Le jeune joueur progresse, à tel point qu’il tape dans l’œil du responsable de l’école de foot des Merlus, à l’occasion d’un tournoi de détection où l’ES Merlevenez rencontre le FC Lorient. En dépit de la défaite 8-3 de son club, Meslier sort du lot, se voit ensuite proposer un essai avec les équipes de jeunes et répond, déjà, aux attentes. À dix ans, il traverse le Blavet et rejoint le FC Lorient.

Quand on ne le connaît pas, on peut penser qu’il est hautain, arrogant, avec une voix grave, très grave. Par jalousie, certains grands sont venus lui faire des histoires.

« L’internat était nul »

Il intègre dans la foulée le centre de préformation des Merlus. Inscrit au collège-lycée Saint-Joseph La Salle, à Lorient, il doit faire ses années de quatrième et de troisième dans l’internat de l’établissement, en parallèle des entraînements au FCL. Sauf que l’expérience tourne court. Le garçon vit mal la séparation avec ses parents dont il est proche. Puis, comme il le confiait dans une interview accordée à Onze, la cohabitation avec certains autres pensionnaires se passe mal : « Il y avait des grands qui me faisaient un peu la misère. Ils me frappaient, tout ça. J’étais petit, je n’étais pas préparé à ça. En plus, ce n’était même pas des footballeurs. C’était des lycéens de l’internat. Ils me faisaient chier alors que je n’avais rien demandé. L’internat était nul, on mangeait mal. C’était galère. » Il ne continuera pas sa troisième à l’internat, préférant rentrer chez ses parents. Pour Junior Burban, les quelques embrouilles de l’époque de l’internat s’expliquent, essentiellement, par sa carrure intimidante. « Quand on ne le connaît pas, on peut penser qu’il est hautain, arrogant, avec une voix grave, très grave. Par jalousie, certains grands sont venus lui faire des histoires, mais il est tout l’inverse de ce qu’il renvoie… »

Le gardien n’est pas du genre à se dévoiler, préférant rester dans son coin quand il n’est pas en confiance. Une attitude qui lui a valu quelques déboires, même avec ceux dont il est aujourd’hui le plus proche. « Ce qui me fait rire aujourd’hui, c’est qu’au début entre lui et moi, c’était la guerre ! On ne se supportait pas, même sur le terrain, on se criait dessus, mais je ne sais même pas expliquer pourquoi », se remémore Tom Renaud. Les deux garçons ont pourtant rejoint ensemble Lorient, et ont suivi le même parcours jusqu’à l’an passé. « On a appris à se connaître. Aujourd’hui, j’ai une relation de frère avec Illan », explique le joueur de Cholet (N1), lui aussi prêté par Lorient. À seize ans, il peut enfin intégrer le centre de formation des Merlus. Une étape qu’il attendait, mais qu’il a parfois eu du mal, dans un premier temps, à assumer. « Il n’était pas forcément le gardien titulaire au début, ce qui a pu le toucher. Même dans sa surface, il n’était pas assez imposant, un peu trop timide », observe Burban. Encore un peu frêle physiquement, le gardien a un déclic à la mi-saison : date à partir de laquelle il acquiert de l’assurance, s’impose comme titulaire et s’ouvre à ses compagnons de la génération 2000, extrêmement soudée. Par tous, il est décrit comme un garçon « autonome, mature, calme et réfléchi ».

Mèches blondes et concours Instagram

Pourtant, fougue de la jeunesse oblige, le jeune gardien se laisse tenter par quelques folies. Comme cette matinée où Illan débarque, devant tout le monde, avec des mèches blondes. La raison ? « Parce que Benjamin Lecomte(le titulaire de l’époque, N.D.L.R.)en a », lâche-t-il à ses potes interloqués. À Lorient, Meslier réalise en effet le rêve de beaucoup de jeunes footballeurs : s’entraîner dans le même club que son idole. L’admiration n’était pas uniquement capillaire, mais aussi numérique. Lecomte était en fond d’écran sur son smartphone, et Illan Meslier, en suiveur assidu du compte Instagram de l’actuel gardien monégasque, participait aux concours pour gagner ses gants. « Le soir, je l’aidais à s’entraîner à gagner le concours. Le défi ? Toucher la barre avec son pied. Bon, comme il était très grand, il a vite gagné la paire de Lecomte(Rires)  », précise Burban. Avant de réussir à s’entraîner avec son portier favori avant qu’il ne parte à Montpellier en 2017.

« Il avait des délires, mais il n’a jamais été du genre à faire des conneries, assure Renaud. Lui, son truc, c’était la Playstation dans la chambre, venir au repas, quelques rigolades entre nous et voilà. Il était déjà très pro, concentré sur son projet. » Avec une particularité presque unique parmi tous les jeunes : « C’était le seul du centre qui jouait au jeu du Tour de France ! Je n’ai jamais rien compris à ça, moi, mais lui il était fan de cyclisme », rigole Junior Burban. Comme tout Breton qui se respecte, après tout. Sportivement, l’ascension se poursuit dans la bonne voie. Si bien que Lorient le convoque, lui et sa mère, pour lui indiquer que le club veut lui offrir son premier contrat professionnel. Un premier rêve d’atteint pour le gamin très attaché à son club formateur, qui repousse une offre conséquente de l’AS Monaco à cette époque. Il signe finalement pro le 1er février 2018.

Quand tout allait bien, il a été encensé pendant deux ou trois matchs et ensuite il s’est fracassé. Donc il a fallu lui expliquer que ça faisait partie du job.

« Illan capte vite »

Six mois plus tard, il fait ses débuts avec les grands, à 18 ans, à l’occasion d’un déplacement à Valenciennes en Coupe de la Ligue. « Rapidement, il a été identifié comme un gardien à fort potentiel, souligne Christophe Revel, entraîneur des gardiens du FC Lorient à l’époque et aujourd’hui à l’OL. Au départ, pas forcément sur ses qualités physiques ou techniques intrinsèques, mais encore plus par rapport à sa personnalité. » Dès l’automne, Mickaël Landreau installe finalement le gardien de 1,96m dans les buts lorientais, ce qui pousse Danijel Petković sur le banc. « Quand on le lance à Lorient, on le fait pour amener un second souffle en défense. Il n’avait peur de rien, il avait cette insouciance comme beaucoup de jeunes qui démarrent, même s’il avait des manques tactiques, techniques, physiques complètement logiques par rapport à son cursus. On sait qu’il va apporter de l’énergie et on sait aussi qu’il va faire quelques erreurs », souligne Revel. Des manques que Landreau, peut-être plus que d’autres entraîneurs, peut comprendre et accepter. Revel se souvient : « Micka et moi-même, on savait ce qui allait arriver. Mickaël était capable d’accepter ces erreurs. Parce qu’il comprenait la phase de formation et tout ce qui va avec. »

Lancé dans le grand bain, Meslier se distingue par sa maturité et surtout par sa capacité à se corriger, à apprendre de ses erreurs. « Quand on l’amène à mettre en place des corrections, il capte vite et met en place, donc c’est forcément accélérateur de formation », apprécie l’entraîneur des gardiens. Une formation forte de vingt-huit matchs de Ligue 2. « Physiquement, il était un peu en retard au début. Il y a aussi eu des moments où il s’est rendu compte de l’importance de la communication. Quand tout allait bien, il a été encensé pendant deux ou trois matchs et ensuite il s’est fracassé. Donc il a fallu lui expliquer que ça faisait partie du job et qu’il fallait accepter ce système. En pro, on n’a plus le temps, on est dans la performance immédiate. »

Face à l’obstacle, il y a deux types d’attitude, l’affronter ou le contourner. Illan l’a contourné.

Le banc est-il plus vert ailleurs ?

La performance immédiate, c’est notamment ce que recherchait Christophe Pélissier, remplaçant de Mickaël Landreau à l’issue d’une saison où Lorient a échoué dans sa quête d’accession à la Ligue 1 (6e place). Désireux d’avoir un gardien offrant plus de garanties, le nouvel entraîneur des Merlus choisit finalement de ne pas reconduire Meslier. « On lui annonce 48 heures avant le début de saison qu’il ne serait pas numéro un. On lui préfère Paul Nardi », se souvient son agent Yvon Pouliquen. Pélissier lui propose de jouer les Coupes, Meslier veut davantage. En privé, le portier est peiné et s’en plaint le soir même auprès de son clan. « Illan m’annonce immédiatement qu’il veut partir de Lorient, rejoue le conseiller breton. Je partageais cette décision. C’est un choix de coach que je ne conteste absolument pas – surtout qu’ils sont montés avec Nardi –, mais c’était la meilleure solution pour nous. » Quelques semaines plus tard, dans un entretien au Télégramme, Pélissier adresse une petite pique au jeune homme : « Face à l’obstacle, il y a deux types d’attitude, l’affronter ou le contourner. Lui l’a contourné. » Pas forcément un avis partagé par Yvon Pouliquen, qui estime que son joueur « est allé en affronter un peut-être encore plus compliqué que celui de Lorient. Signer à Leeds, à 19 ans, ce n’est pas un cadeau non plus, hein. »

De fait, à la suite de l’annonce des velléités de départ de Meslier, une proposition de Leeds arrive rapidement sur la table. Le deal : du temps de jeu chez les U23, des bancs chez les professionnels avec une position de numéro 2 derrière Kiko Casilla et l’objectif de faire de Meslier le gardien numéro un d’ici deux à trois saisons chez les Peacocks. L’accord est trouvé : direction un club mythique, sous les ordres de Marcelo Bielsa. Une arrivée dans le Yorkshire qui sonne comme un saut dans l’inconnu pour le jeune homme qui coupe véritablement pour la première fois le cordon avec son cocon familial et s’expose à l’un des clubs les plus suivis de Championship, ressuscité par la présence d’El Loco sur le banc et la fidélité de ses 35 000 supporters à Elland Road. Le gardien s’adapte, sans jamais rompre le contact avec sa bande de potes du centre de formation – Junior Burban, Tom Renaud, Enzo Le Fée, Julien Ponceau –, perfectionne son anglais – « Ce n’était pas forcément Shakespeare », rigole Revel. Comme prévu, il alterne entre une place sur le banc et les rencontres avec les U23 des Peacocks, jusqu’à disputer son premier match avec l’équipe première, début janvier, en Cup, face à Arsenal, au cours duquel il rend une copie très honorable, malgré la défaite 1-0.

Baby-face keeper

Parfaitement intégré à l’équipe et en osmose avec le public – en témoigne son explosion de joie lors de la victoire à l’arrachée des Whites face à Reading en février 2020 –, le gardien progresse et s’estime prêt à prendre la relève de Kiko Casilla, le gardien espagnol étant sous la menace d’une suspension pour propos racistes à l’encontre du joueur de Charlton Jonathan Leko. Alors qu’aucun joueur ou membre du staff de Leeds ne souhaite s’exprimer sur la potentielle suspension de Casilla, Meslier ne contourne pas la question et confie à Goal France : « Je ne lui en ai pas parlé. Lui non plus, il n’en parle pas. S’il devait être blanchi, ce serait tant mieux pour le groupe. Et s’il devait être suspendu, je suis prêt à jouer. Il faut savoir saisir les opportunités. Parfois, c’est une blessure, parfois une suspension, et parfois ce sont des actes peu communs. »

Aujourd’hui, ce qui fait qu’il joue à Leeds, c’est sa personnalité, son caractère, son audace. Moi, j’appelle ça un gardien offensif.

Finalement suspendu huit matchs, Casilla laisse sa place à Meslier en février 2020, à l’occasion d’une rencontre de Championship face à Hull City. Comme souvent depuis le début de sa carrière, celui que Kalvin Philips se plaît à appeler parfois « the Playboy » se met au niveau. Neuf matchs, sept victoires et autant de clean sheets, mais surtout peu d’erreurs et une impression de sérénité dégagée par la meilleure défense de Championship. Pour Christophe Revel, cette capacité à répondre présent tient beaucoup à sa personnalité : « Quand il arrive à Leeds, il se met au milieu des défenseurs et il joue, il fait un petit ballon piqué. Il intervient. Aujourd’hui, ce qui fait qu’il joue à Leeds, c’est sa personnalité, son caractère, son audace. Moi, j’appelle ça un gardien offensif. » Dans un registre parfaitement adapté à Bielsa : un jeu au pied de très bonne qualité, qui lui permet de relancer court ou long selon les phases de jeu.

L’Argentin s’est d’ailleurs décidé à reconduire le gardien de vingt piges pour les deux premières rencontres de Premier League. Avec son jeu flamboyant, Leeds enchante, mais derrière, les Peacocks ont encaissé sept buts en deux matchs. Des débuts rudes pour l’international U20, qui va devoir encore augmenter son niveau et éprouver sa capacité à résister à la pression dans le plus grand championnat du monde. Toujours en contact avec son ancien gardien, Revel analyse : « Il va falloir qu’il ingurgite le rythme, la pression. Je pense que ça ne va pas être facile, mais il faut qu’il s’accroche. Et puis, il faut maintenant qu’il fasse attention à cette nouvelle popularité. On connaît l’importance en Angleterre des médias. Il faut juste qu’il reste prudent par rapport à cet aspect. » Il devra aussi veiller à la pression des supporters : après les deux premières rencontres moyennes, certains émettent des doutes sur sa capacité à assumer toute une saison en Premier League. Mais surprendre les sceptiques, Meslier l’a déjà fait.

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Par Arthur Stroebele et Victor Launay

Tous propos recueillis par AS et VL, sauf mentions.

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