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Dopage, la double peine du foot russe ?
La nouvelle a fait l'effet d'une bombe : la Russie pourrait être absente de la Coupe du monde au Qatar et même, basiquement, privée du droit de se présenter lors des qualifications. La raison ? La sélection russe fait les frais des récents développements de l’affaire de dopage qui s’abat sur la patrie de Poutine. Si cette décision reste à confirmer, les instances russes antidopage peuvent encore se pourvoir en appel, ce serait une première et surtout un précédent inquiétant pour le foot mondial dans son ensemble.
C’est une longue guerre d’usure que se livrent, depuis quelque temps maintenant, sous nos yeux, l’État russe et l’Agence mondiale antidopage (AMA). Cette dernière, via son comité exécutif réuni lundi à Lausanne, vient de dégainer son arme nucléaire : la suspension pour quatre ans des délégations nationales de toutes les compétitions internationales à venir, dont les Jeux olympiques et évidemment la Coupe du monde 2022 (l’Euro 2020, déjà en route, n’est pas concerné). Bien sûr, l’épilogue est loin d’être écrit puisque, à ce niveau d’enjeux économiques et diplomatiques, les retournements et autres deus ex machina ne sont pas rares, voire constituent la règle.
Le foot perd son totem d’impunité
Le plus instructif pour l’avenir est après tout d’observer le petit monde du ballon rond pour une fois concerné par une affaire de dopage de grande ampleur, dont il n’est pourtant, pour le coup, qu’une victime collatérale. L’ingérence politique systématique dans le sport du côté de Moscou, à une échelle aussi élevée et si peu dissimulée (on ne gomme pas l’héritage soviétique aussi facilement) ne pouvait de toute manière que lui retomber dessus. Il n’y était en revanche certainement pas préparé. Et on imagine les remous et l’incompréhension dans les couloirs d’une FIFA qui s’est toujours beaucoup amusée devant les déboires, en ce domaine, de l’athlétisme ou du cyclisme, cachée derrière son totem « d’impunité » .
Il n’empêche, nous sommes peut-être confrontés à une sorte de première cumulative. Par le passé, les exclusions des grandes compétitions renvoyaient plutôt à des problématiques géopolitiques évidentes, à l’instar du cas de la Fédération « blanche » de l’Afrique du Sud période apartheid, virée en 1976. Ensuite, le phénomène du dopage relève bien dans le foot davantage du running gag que de la grande peur qui s’empare d’autres disciplines, au hasard l’athlétisme, y compris en France… Savamment protégés, épargnés globalement de toutes les formes réellement efficaces de dépistage, les joueurs peuvent paisiblement se consacrer à leurs « performances » sur le terrain sans trop se soucier d’histoires d’éprouvettes ou de prises de sang (instaurées très tardivement). Quelques boucs émissaires font office de bonne conscience – bonjour à Samir Nasri – et cela suffit comme alibi. Or, voilà d’un coup, par ricochet, que nos « sains » footballeurs doivent décrocher leurs auréoles par la faute des coureurs de fond et lanceurs de poids. Voila pour ce qui relève de l’ironie de l’histoire.
Bombardiers russes sur Doha ?
Toutefois, cette sanction de l’AMA ouvre des portes et des possibilités qui redessinent les subtiles rapports de force au sein du sport mondial et du foot en particulier. La Russie n’y occupe pas forcément la place qu’elle garde dans d’autres fédérations internationales. Elle vient cependant d’organiser à grand frais une Coupe du monde unanimement saluée, Infantino le premier – qui vient d’ailleurs de rejoindre les grands pontes du CIO -, comme une belle réussite financière et populaire. L’éviction de la Sbornaïa de la prochaine édition ne constituerait pas uniquement un manque à gagner en droits télé. Elle risquerait également de provoquer une forte crise diplomatique autour d’un État très présent au Moyen-Orient.
Les répercussions, si la sanction était confirmée, prendraient alors des allures de guerre froide sur fond de gazon vert. Les footballeurs représentent leur pays, leur drapeau et, dans le cas russe, leur État. Ils ne peuvent concourir sous pavillon « neutre » comme les sprinteurs. Les virer, c’est inévitablement, en quelque sorte, mettre au pilori, aux yeux du monde, la troisième ou quatrième puissance du monde, selon les classements. Certes, le cas du dopage demeure une question exceptionnelle et une affaire de famille au sein du sport. Le vilain garnement russe a « manqué de savoir-vivre » et paie son manque de discrétion. Il se fait taper sur les doigts. On imagine mal pareille démarche pour les droits de l’homme, de la femme, du travailleur ou simplement du dribbleur ouïghour. À ce rythme-là, autant tout de suite prévenir le Qatar que son Mondial est annulé…
Par Nicolas Kssis-Martov