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Trump : la théorie du wokisme contre son camp
Sous le coup de poursuites judiciaires inédites pour un ancien président, Donald Trump n’a pas manqué de saluer à sa façon l’élimination des Américaines de la Coupe du monde. La preuve, selon le grand manitou de la fierté retrouvée de l’homme blanc-hétéro-de droite, que cet échec sigle la faillite des si dangereuses féministes wokistes qui veulent détruire « son » Amérique.
Dans une Coupe du monde où se multiplient les surprises et les sorties des favorites, la défaite des Américaines aux tirs au but contre les Suédoises (0-0, 5-4 T.A.B.) ne constitue finalement qu’un épisode supplémentaire, qui pourrait au passage ouvrir le champ des possibles aux Bleues. Toutefois cet échec, certes surprenant pour une formation qui a régné sur le foot féminin pendant une décennie, a été vécu tout autrement par Donald Trump. L’ancien président, toujours amer et revanchard depuis sa défaite aux dernières élections, n’a pas manqué l’occasion de tacler le soccer « progressiste », qui plus est féminin et donc si souvent féministe outre-Atlantique. L’homme, qui par ailleurs apprécie plutôt le ballon rond, sait cibler ses ennemis pour ragaillardir ses troupes. Alors qu’il se trouve inculpé pour complot contre l’État, rien que ça, il doit effectivement continuer d’entretenir le sentiment d’une guerre civile permanente, d’un « pays réel » en guerre contre « l’État profond ».
L’ennemie numéro 1 est toute trouvée : Megan Rapinoe – qui a malheureusement raté sa tentative au point des 11 mètres. Aux yeux du prédicateur du « Great Again », loin de se résumer à un couac ou une fin de cycle sur le plan sportif (l’attaquante vedette de la sélection nationale annonce sa retraite pour novembre), cet échec s’avère « tout à fait emblématique de ce qui arrive à notre ancienne grande nation sous le mandat du corrompu Joe Biden ». Sur son site Internet, TruthSocial, l’auto-proclamé sauveur de la nation précise : « Beaucoup de nos joueuses étaient ouvertement hostiles aux États-Unis. Aucune autre sélection ne s’est comportée de la sorte. C’est l’échec de la pensée woke ». Arriver à réaliser le lien entre l’épouvantail du wokisme et une frappe arrêtée par une gardienne de but en état de grâce, même CNews ou le nouveau JDD auraient un peu de pudeur à le tenter…
Woke me up, before you go-go
Pour résumer son propos, la seule vraie Amérique, c’est la sienne, pas celle des noires/latinas/lesbiennes qui s’affichent solidaires du mouvement Black Lives Matter (lors de la Coupe du monde 2019, Megan Rapinoe avait refusé de chanter l’hymne américain). Si cette logorrhée vous rappelle les belles envolées d’un Éric Zemmour sur l’unicité « ethnique » du foot allemand face à la France « multiraciale », vous avez beaucoup compris de notre époque. En face, la femme de l’actuel occupant de la Maison Blanche, Jill Biden, s’est contentée du service minimum sur Twitter pour les défendre : « Aujourd’hui, vous nous avez inspirés par votre courage et votre détermination. Nous sommes fiers de vous ».
.@USWNT, you made this sport matter.
Today, you inspired us with your grit and determination. We are proud of you. Always remember that you encourage women and girls everywhere to show up and fight for their dreams. 💕 https://t.co/1vIkTaZ45n
— Jill Biden (@FLOTUS) August 6, 2023
Les propos aigres de Donald Trump, tordant comme à son habitude le cou à la vérité et à l’histoire (cf. le palmarès hors norme des Américaines ou le fait qu’en 2019 notamment, elles étaient déjà « wokistes »), ne sont évidemment guère étonnants. Surtout, ils résonnent comme un règlement de compte à retardement. Pour les célébrations du titre au retour de la Coupe du monde en France, les joueuses – et Megan Rapinoe en tête – avaient boudé la Maison Blanche occupée par l’ancien homme d’affaires et de télé-réalité. À la place, une acclamation populaire devant l’Hôtel de ville de New York, la capitale culturelle et politique de la gauche yankee. Megan Rapinoe avait d’ailleurs expliqué cette hostilité, elle aussi, en des termes partisans : « Je pense que je dirais que votre message exclut des gens. Vous m’excluez. Vous excluez les gens qui me ressemblent. » Dos au mur, mais assuré de ses soutiens et de leurs convictions « nationalistes », Donald Trump dégaine dans tous les sens, distillant sans finesse son énième théorie idéologico-complotiste (après celles sur le Covid ou le réchauffement climatique). Au moins, Megan Rapinoe a remporté deux fois d’affilée le même trophée et n’a pas de difficulté à reconnaître sa défaite. Elle penserait à entrer en politique. Le « wokisme » pourrait donc jouer les prolongations…
Par Nicolas Kssis-Martov