- Football italien
- Les belles histoires de l'été
- Épisode 1
Don Gennaro, celui qui aurait pu être un pionnier
Pendant tout l'été, nous nous attarderons sur des petites histoires méconnues du football italien. Pour ce premier épisode, coup de projecteur sur Don Gennaro Spavone, un homme qui a eu envie, à la fin du XIXe siècle, d'organiser des matchs de foot.
Tous les matins, c’est la même rengaine. Don Gennaro Spavone se lève, s’habille, souvent avec de beaux habits, embrasse sa femme, Donna Rita Spavone, et part travailler dans les rues de Naples. Son travail ? Importateur de fruits exotiques. Nous sommes à la toute fin du XIXe siècle. Bien avant que le football ne soit professionnel en Italie. Bien avant, même, que le ballon rond ne se soit démocratisé. En cette matinée ensoleillée, Don Gennaro doit aller récupérer au port de Naples des bananes en provenance de Somalie. Mais il ne reviendra pas à la maison qu’avec sa cargaison. En effet, sur le port, en face de la jetée, il assiste à une rencontre de football entre des marins anglais et des déchargeurs. C’est la première fois qu’il assiste à un match de ce sport venu d’Angleterre. Il en tombe immédiatement amoureux. Don Gennaro rentre chez lui avec des bananes de Somalie dans une main, et des idées dans l’autre. Les fruits exotiques, c’est bien, mais désormais, l’ami Gennare veut gagner sa croûte différemment : il veut organiser des matchs de football.
Deux armes secrètes
Quelques jours plus tard, Don Gennaro annonce donc à ses frangins qu’il quitte l’entreprise familiale. Il monte sa propre équipe de football avec des amis napolitains (mais lui ne joue pas) et, chaque dimanche, il s’en va défier d’autres équipes des quartiers voisins ou des villages alentour. En organisant des matchs, l’ancien importateur réussit déjà son business : des centaines de spectateurs payants s’amassent en effet pour y assister. Don Gennaro est alors considéré comme un pionnier du football en Italie, car c’est lui qui fait grandir l’engouement pour ce sport dans toute la région.
Un dimanche après-midi, Don Gennaro donne rendez-vous à l’équipe de la Polisportiva Partenope sur le terrain des Terme di Agnano, au sud-ouest de Naples. Une rencontre importante, puisque la Polisportiva Partenope en question n’est pas composée de joueurs amateurs. Non, ses membres sont des athlètes de haut niveau qui pratiquent la gymnastique, l’escrime ou encore le lancer de poids. Mais Don Gennaro n’a pas peur. Il a une arme secrète pour contrecarrer ses adversaires. Ou plutôt, deux armes secrètes : deux marins anglais de l’Entreprise, un bateau amarré au Molo Beverello. L’un est gardien, le « Golkipper » comme on l’appelle alors à Naples, et est capable de « repousser le ballon avec les poings à au moins 50 mètres » peut-on lire dans les journaux de l’époque. L’autre est un « Center Forward » connu dans toute la flotte anglaise pour sa capacité à « marquer des buts de toutes les façons et de toutes les distances » . Les deux s’entendent tellement bien qu’ils sont capables de marquer des buts juste en se concertant pendant quelques secondes. Prometteur.
Pas de pelouse, mais des femmes
Le terrain des Terme di Agnano n’a jamais vu de l’herbe. Mais il « valait le coup d’œil quand même, avec son bois vert autour » . L’équipe de Don Gennaro se présente avec un joli maillot bleu, ancêtre de celui du Napoli, celle de la Polisportiva Partenope avec des chaussettes rouges. Il y a des arbitres, en noir, et même des juges de ligne, choisis dans le public. Les dirigeants des deux équipes se placent, comme de coutume, juste derrière les buts, afin de pouvoir contrôler au mieux les actions et les buts inscrits. Sur les côtés, les spectateurs, en costume et cravate, se sont amassés en nombre. Des femmes sont également présentes, même si elles sont « plutôt masculines avec des coupes à la garçonne, et des chaussures sans talon » , précise le journal.
Sur la pelouse (pardon, sur le bitume), les deux formations affichent une belle tactique en 1-10. Tous à l’attaque, et tous en défense. Tout ça pour un festival de buts ? Pas du tout. À la moitié de la seconde période, le score est toujours de 0-0. Entrent alors en scène les deux comparses anglais. Le gardien de but souhaite mettre au point une stratégie avec son attaquant pour débloquer la situation. Alors, il monte pour venir lui glisser quelques mots à l’oreille. Manque de bol, à ce moment-là, son pote « Center Forward » reçoit justement le ballon et, à l’aveugle, lui effectue une passe en retrait. Sauf qu’il n’y a plus personne dans les buts… Le ballon roule ainsi lentement, mais sûrement vers les cages, pour ce qui s’apprête à être un incroyable but contre son camp. Le public retient son souffle. C’est alors que Don Gennaro craque.
90 jours d’hosto et une glace à la crème
Dans un élan incontrôlé de celui qui ne veut pas voir son équipe encaisser un but aussi ridicule, surtout à cause de deux joueurs qu’il avait lui-même recruté, l’organisateur éclate. Il enjambe la barrière, court à toute vitesse vers le terrain et, juste avant que le ballon ne franchisse la ligne, tape de toutes ses forces avec son pied gauche chaussé de beaux souliers anglais dans le cuir, afin de le dégager le plus loin possible. Et en même temps que le ballon rejoint le milieu de terrain, la carrière d’organisateur de matchs de foot de Don Gennaro part en fumée. Les adversaires de la Polisportiva Partenope deviennent fous, se ruent sur lui, et lui assènent une belle correction. Paraît-il même que certains spectateurs se sont joints à la bagarre, histoire de rappeler à Gennaro que l’on n’enfreint pas ainsi les règles, même quand on est organisateur.
Don Gennaro passera tout de même près de 90 jours à l’hôpital suite à ce lynchage sur le terrain des Terme di Agnano. Chaque jour, Donna Rita lui apportera des fruits exotiques, offerts par ses frères, visiblement pas rancuniers. En sortant de l’hôpital, Don Gennaro prend une décision : il n’organisera plus jamais de matchs de football. Il en revient au commerce de fruits, et aux balades du dimanche avec Donna Rita, une « belle glace à la crème et au chocolat à la main » . En revanche, il laissera désormais à ses frères le soin de traiter avec les marins anglais.
Par Éric Maggiori