ACTU MERCATO
Dominique Six : « L’OM devait finaliser Payet pour une question de crédibilité »
Il est dans le circuit depuis plusieurs décennies et tente d'y survivre en respectant les règles. Particulièrement actif sur le marché anglais et en Amérique du Sud, mandaté sur le transfert en Chine de Gervinho, l'agent Dominique Six décrypte le mercato d'hiver. Et un peu plus...
La dernière journée d’un mercato pour un agent, c’est un peu comme un réveillon de Noël ou du Nouvel an pour une boulangère : au taquet ?Un mercato bouge surtout la dernière semaine. Après, il faut différencier le mercato d’hiver et le mercato d’été. La comparaison avec la boulangerie blindée avant un réveillon, cela colle assez bien au mercato d’été, moins à celui d’hiver. Sur le mercato d’hiver, tout est très ciblé et il y a un facteur important : les clubs sont tenus par des budgets, et pour la plupart, s’ils ne vendent pas de joueurs, ils ne peuvent pas en prendre. Il y a des cibles bien précises aussi, comme Dimitri Payet à Marseille, ou Guedes à Paris. Ce dernier forcément, c’est un dossier sur lequel ils ont travaillé longtemps en amont, ce n’est pas la veille de la signature que l’agent a dû tout gérer. Au mercato d’été, tout le monde joue un peu au chat et à la souris, du poker, on joue sur l’offre et la demande pour obtenir le meilleur prix. Cette tendance est moins importante sur le mercato hivernal, sauf peut-être sur les joueurs en prêt. Car parfois, les clubs cherchent à vendre un joueur, et vu qu’ils n’y arrivent pas, au dernier moment, acceptent la solution intermédiaire du prêt. Une option par défaut qui s’active souvent à partir de J-3 ou J-2, voire le tout dernier jour. Le transfert de Dimitri Payet, qui se conclut assez tardivement, c’est un contre-exemple, mais il n’y en a pas beaucoup des cas comme ça.
Mais c’est l’un des transferts qui restera dans les mémoires pour ce mercato…C’est un transfert spectaculaire, qui a fait couler beaucoup d’encre, que les médias ont relayé, mais il n’est pas révélateur de la situation du mercato d’hiver. Ce marché est déjà tronqué par la CAN. Beaucoup de joueurs qui auraient pu être l’objet de transactions sont engagés dans la compétition. Des joueurs titulaires en sélection, mais qui ne jouent plus ou peu en club comme Max-Alain Gradel. Inutilisé à Bournemouth, mais quasiment titulaire à chaque match avec la Côte d’Ivoire, il aurait pu être ciblé, mais la CAN le fait sortir des radars, car les clubs ne savent pas combien de temps il va être engagé, il peut revenir avec une entorse…
Vous ne représentez pas seulement des joueurs, vous travaillez aussi beaucoup à partir des demandes de club…On est beaucoup à travailler comme ça en hiver, sur les demandes et besoins des clubs.
C’est plus technique, mais cela permet d’avoir une idée plus claire de ce que va être ton mercato. La période de transactions est plus courte en hiver, les agents ne peuvent pas avoir la même approche qu’en été. L’été, les clubs construisent une équipe. L’hiver, c’est un puzzle, ils ne cherchent qu’à boucher un espace manquant, à rafistoler. L’été, il y a trois mois pour caser un joueur, cela ouvre plus de champ, plus de possibilités aussi. L’hiver, si tu as la chance d’avoir un joueur qui est ciblé, tu peux faire un coup. Toulouse pour faire Delort, ils ont dû se mettre dessus depuis plusieurs mois. Quand on dit que tout s’est fait le dernier jour, c’est juste que l’une des parties a bloqué le transfert au maximum pour obtenir un peu plus. Dans le cas de Payet, c’est très clair, West Ham faisait grimper, espérait peut-être une autre offre, mais devait le vendre. Quant à Marseille, il s’était positionné de manière trop claire pour pouvoir ensuite abandonner la piste alors que le joueur s’était grillé dans son équipe. Si l’OM n’avait pas finalisé ce deal, ce n’était plus crédible pour intéresser d’autres grosses pointures par la suite, car le joueur s’était trop mouillé. À deux millions d’euros près, ils ne pouvaient pas l’abandonner…
C’est du poker menteur…Exactement. C’était dans leur intérêt de le faire en hiver en plus, car l’été prochain, Payet, il y a quatre ou cinq clubs anglais dessus, un allemand et peut-être des chinois.
Vous mentionnez la Chine après l’Angleterre et l’Allemagne. Vous avez travaillé sur le transfert de Gervinho au Hebei China Fortune. Comment s’est passé le transfert ?J’ai vu plusieurs personnes dont un avocat du club. Je n’ai pas forcément pu avoir la main autant que je le souhaitais, mais cela a été assez clair sur les montants, notamment celui de la commission, et tout a été fait clairement. Ce marché m’intéresse, mais pour de prochaines négociations, j’aimerais pouvoir mieux maîtriser l’ensemble du processus. Le marché chinois s’arrête fin février, mais il vient d’être limité sur le nombre d’étrangers qui passe à trois au lieu de quatre. Et puis ils sont tributaires du marché européen : désormais, les vendeurs ne peuvent pas remplacer les partants, donc ils ne lâcheront plus leurs joueurs aussi facilement, sauf très grosse offre.
Pour en revenir au cas Payet, cela vous est arrivé de vivre un bras de fer entre le joueur que vous assistiez et son club ?Pas sur un mercato d’hiver, mais en été, pour Rod Fanni qui voulait aller de Nice à Rennes. Pas un bras de fer, juste une tension. On sortait d’un cadre de discours non écrit présidentiel. Un président qui dit « si le joueur trouve son compte, je ne m’y opposerai pas » , et puis quand tu ramènes des clubs concrètement intéressés, la promesse présidentielle s’est évaporée. Le joueur vaut environ 2,5 voire 3 millions d’euros, et le club dit « 6 ou 8 millions, à prendre ou à laisser » … C’est un peu nous prendre pour des cons. Le beau discours du départ s’évapore et tu dois prendre des dispositions. Rod était avec Fred Antonetti, en stage de préparation dans les Alpes. La décision avait été de lui faire quitter le stage pour qu’il obtienne une discussion avec son président. L’idée, c’était un simple aller-retour pour être au club et voir un président qui ne proposait pas de date de rendez-vous. En gros, on me disait : « On ne peut rien caler, car ton joueur est en stage dans les Alpes. » Alors on a fait en sorte de pouvoir leur répondre, « Rod est là, c’est quand vous voulez. Dès demain 9h, il peut être dans votre bureau, cher président. » Mais bon, on ne peut pas parler de bras de fer, car un bras de fer, c’est relayé par les médias, et là en l’occurrence, les médias ne s’en sont pas trop soucié… Cela devient un bras de fer dès lors que tu utilises les médias.
Certains joueurs peuvent se confronter à leur club pour moins que cela. Y a-t-il une évolution tangible des joueurs sur les dernières générations ? Moins patients, plus exigeants ?Les premiers à le constater, ce sont les clubs. Mes interlocuteurs, notamment les directeurs sportifs, mais aussi le personnel administratif, font tous le même constat : les gars deviennent impatients. Mais il faut voir aussi qu’ils sont de plus en plus sollicités, notamment par des pseudo agents plus jeunes qui sont prêts à plus de choses pour obtenir les faveurs d’un joueur. Il y a plus de rêve et d’illusions aujourd’hui que par le passé. Avant, une carrière se construisait, aujourd’hui cela se fait à l’emporte-pièces. Parfois j’entends – et je ne vais pas citer de nom pour ne pas être méchant – que tel joueur est visé par tel club. Je suis sur le cul, je ne comprends pas, surtout quand la cible annoncée était un jeune avec 30 matchs de Ligue 2, et que le club prend un trentenaire avec une grosse carrière internationale. Le projet annoncé et le projet final sont opposés. Après m’être renseigné auprès du club vendeur concerné, j’ai compris qu’il y avait un pseudo agent s’occupant du joueur en question qui essayait d’enflammer le marché en faisant sortir des « infos » sur l’intérêt de grosses écuries pour son poulain. Le problème, c’est que le joueur s’enflamme comme si c’était vrai. Les joueurs d’aujourd’hui sont un peu naïfs. Et puis la Fédération doit aussi faire le ménage…
Il y a pourtant des règles à respecter…Oui, les règles existent, mais elles ne sont pas appliquées. Normalement, quand tu vois un sens interdit, tu n’as pas le droit de t’y engager, mais malheureusement, beaucoup le font et personne ne dit rien. Un agent doit tout déclarer, y compris ses collaborateurs. Un avocat peut exercer à l’exception de la prospection. Mais des tas de mecs se lancent comme « intermédiaires » ou « conseillers sportifs » , la Fédé le sait, et c’est à la Fédé de faire la chasse aux sorcières. Car aujourd’hui, il y a plus de pseudo agents que de réels agents, et sur un mercato, ils changent la donne, cela devient un truc de fou. Je ne suis pas contre que ces gens-là aient un vrai statut pour travailler, mais qu’ils le fassent par une vraie entité, qu’ils revendiquent un statut auprès de la Fédération et suivent les règles. Dans la plupart des pays, ils ont levé les restrictions, mais en France, on est encore régis par le code du sport. Donc régis par un ministère. Tu vas en Belgique, tu t’enregistres à la Fédération belge et cela suffit. Des tonnes de mecs font le métier en France sans être licenciés, ils passent par des avocats pour conclure les dossiers. Tu vas voir un match de CFA ou de U17 nationaux, ils sont omniprésents. Un éducateur en Île-de-France, en U17 Nationaux, me disait qu’à chaque match, il y avait environ 200 pseudo agents. Sur un match de U17 Nationaux ! C’est encore un autre débat que le mercato…
Sur les 200, quelques-uns vont devenir importants s’ils misent sur un bon joueur, comme un collectionneur qui achète le bon tableau au bon moment…
Sauf que là, ils n’achètent rien du tout, ils vendent du vent plus qu’ils n’achètent. Ils racontent qu’ils ont fait ça ou ça, qu’ils ont bossé sur plein de dossiers, révélé Pogba ou un autre… Ceux qui révèlent vraiment des cracks peuvent aussi se faire niquer au dernier moment par un gros poisson type Mino Raiola qui leur prend le joueur quand il devient intéressant. Contrairement à ce que disent certains consultants connus à la télé, la fonction d’agents est particulièrement cadrée, on a peut-être moins de marge de manœuvre pour exercer qu’un chauffeur de taxi avec tous les documents que l’on doit signer et donner à la Fédération. Le seul souci, c’est que certains travaillent hors cadre, dans la plus grande illégalité, mais les clubs et la Fédération ne disent rien.
Propos recueillis par Nicolas Jucha