- Équipe de France
Domenech : « J’ai mis Higuaín devant le fait accompli »
Le 15 novembre 2006, l'équipe de France affrontait la Grèce en match amical. L'occasion pour coach Raymond Domenech de lancer de nouveaux joueurs. Parmi les jeunots sélectionnés, un attaquant de dix-huit ans né à Brest et prometteur comme tout. Problème, il se nomme Gonzalo Higuaín, joue à River Plate et semble promis à l'Argentine. Dix ans plus tard, l'ancien sélectionneur des Bleus revient sur sa tentative de harponner « El Pipita ».
Pour ce match amical contre la Grèce, vous vous tournez vers deux jeunes de dix-huit ans, Karim Benzema et Gonzalo Higuaín. Où en était l’attaque de l’équipe de France à ce moment-là ?Alors, je me souviens de l’épisode, mais pas exactement de la date. Où on en était ? Je me souviens du contexte, Karim était un joueur dominant à Lyon, il était en plein essor. Ça me semblait normal de donner sa chance à un joueur de talent. Et l’autre, ça faisait un moment qu’on en parlait au Real, je l’avais déjà vu avant. Et je voulais absolument qu’il prenne une décision dans un sens ou dans l’autre. On en parlait, on me disait que je ne faisais rien, qu’on ne s’en occupait pas… Donc comme je l’avais vu, maintenant, c’était « ou il vient, ou il est obligé de me dire non » . À un moment, je l’ai mis devant le fait accompli.
C’était un façon de faire le forcing ?Ah non, pas pour faire le forcing ! Le mot forcing, il n’est pas juste. On en avait discuté, il hésitait, il ne savait pas, je lui ai dit : « Voilà, maintenant il y a ce match-là, il faut que tu choisisses. Ne laisse pas traîner les uns et les autres, à toi de décider en ton âme et conscience. » Derrière, l’Argentine le voulait aussi. Il était obligé de prendre une décision !
Et pourtant, après votre appel, il refuse, mais sans réellement prendre de décision, et il ne jouera avec l’Argentine qu’en 2009, trois ans plus tard…
Ça, c’est parce qu’il n’a pas été pris, mais il voulait jouer avec l’Argentine. C’est Maradona qui le prend, je crois. À l’époque, Higuaín était encore hésitant, mais moi, je voulais débarrasser l’équipe de France de ce poids. On disait : « Il y a quelqu’un, pourquoi vous ne le prenez pas, pourquoi vous ne faites rien ? »
En 2006, le père d’Higuaín aimait bien mettre en avant le fait que son fils était français, et il paraît que vous lui en avez voulu pour ça. Ça vous a énervé qu’il drague les Bleus pour rien ?Ah non, je n’ai jamais dit ça ! Son père a simplement joué son rôle de père-agent, en essayant de faire la promotion de son fils. Ils discutaient déjà avec le Real, je pense, il voulait peut-être revaloriser son contrat. Il a fait le travail que font tous les agents ! Je n’ai jamais critiqué quoi que ce soit à ce niveau-là.
Aujourd’hui, Higuaín est l’un des meilleurs attaquants au monde. À l’époque, il avait dix-huit ans, jouait en Argentine à River Plate. Qu’est-ce qui vous a plu dans son jeu ?Ce qu’il a prouvé à l’heure actuelle. C’est-à-dire qu’il a le sens du but. Il avait la qualité d’un combattant. C’est quelqu’un qui ne rechigne pas, qui n’a pas peur. Comme les attaquants argentins, qui savent se lancer dans de vraies batailles. Quand on voit les matchs argentins, c’est solide. Donc un attaquant qui réussit dans ce contexte-là… Et après, il est parti au Real, donc…
Vous l’aviez vu jouer en vrai ou seulement sur des vidéos ? Vous aviez envoyé des superviseurs de l’équipe de France pour l’observer ?Là-bas ? Non. On l’a vu après. On en avait entendu parler.
À part sa naissance à Brest, il n’a pas grand-chose de français. Il sait à peine dire bonjour. Vous n’aviez pas peur qu’il ne s’intègre pas au groupe ? Qu’il soit isolé dans le vestiaire ?
Pas du tout. Maintenant, le football est assez mondialisé. Et puis je parle espagnol, donc il n’y aurait eu aucun problème avec lui. Il y a deux ou trois joueurs qui pouvaient parler espagnol aussi, qui jouaient là-bas. On trouve vite des affinités, et dans ce métier-là, ils apprennent très très vite des rudiments d’un langage, quel que soit le pays dans lequel ils sont. Ça ne m’a pas posé de problème. Lui, ça lui en a posé, c’est ce qu’il m’a dit. Il m’a dit : « Je ne connais personne, tous mes copains sont en Argentine, ma priorité, c’est l’Argentine. » Et je l’ai compris !
Si un tel épisode arrivait aujourd’hui, il y aurait sans doute un débat sur les binationaux, voire même des réactions d’hommes politiques. Ça n’a pas été le cas, il y a dix ans ?Non, et ça prouve que c’est l’inverse, que ça ne marche pas toujours dans le même sens. Et que nous aussi, on aurait pu récupérer des joueurs de talent qui sont nés en France, mais de parents d’autre nationalité. Ce qu’on vit tous les jours, on l’a vécu dans l’autre sens. Moi, j’ai fini de me plaindre des choses que je ne peux pas changer. Je m’adapte.
En récupérant un Argentin, vous aviez le fantasme de trouver le nouveau Trezeguet ?
Non, il n’y avait pas de fantasme, quel qu’il soit. Simplement la possibilité de récupérer un joueur, un attaquant de haut niveau, qui était né en France. C’est le rôle de tout sélectionneur, et si ça se reproduisait maintenant, je suis persuadé que Didier ferait les mêmes démarches que moi et essaierait de le solliciter. Ce que font tous les pays qui ont des joueurs nés sur leur sol, mais de parents de différents pays. Tout le monde fait pareil !
Quand vous êtes devenu sélectionneur de l’équipe de Bretagne, vous avez déclaré que vous vouliez le sélectionner ! Pourquoi, vous ne faites pas confiance à Anthony le Tallec ?J’aurais pu le sélectionner en équipe de Bretagne, oui ! (Rires) Et je pense qu’ils peuvent être associés ! Antho’ est un vrai pivot, un remiseur. Il a la qualité technique pour faire jouer les autres, et Higuaín sait utiliser ce genre de joueur. En Bretagne, ça aurait été une doublette idéale !
Propos recueillis par Alexandre Doskov