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Doit-on vraiment entendre les arbitres au micro ?
Il sera normalement bientôt possible d’entendre les arbitres lorsqu'ils délibèrent. Derrière cette exigence de « transparence », le souhait de beaucoup (entraîneurs, présidents, journalistes, spectateurs) de mieux « comprendre » leur décision et surtout de pouvoir les contester. Ainsi, loin de faciliter le travail des hommes et femmes en noir, ce petit gadget, surtout télévisuel finalement, risque encore davantage de leur faire endosser le costume du parfait bouc émissaire, toujours condamnés à justifier leurs « échecs ».
Un sondage auprès du corps arbitral, un groupe de travail sur l’arbitrage de la LFP… Tout converge pour que ce fameux micro devienne l’outil principal de protection et du bien-être du détenteur du sifflet. En tout cas, en voici le principal argument de vente. La tendance à la technologisation du football se poursuit. Certes, cela participe d’une société où l’on pense de plus en plus que la transparence justifie de tout surveiller (reconnaissance faciale, etc.). Bilan : goal-line, VAR et même désormais Arsène Wenger qui évoque une semi-automatisation des hors-jeu. En bref, la technologie au secours des arbitres en les couvrant de sa prétendue infaillibilité. Le président du Syndicat des arbitres de football d’élite (SAFE), Olivier Lamarre, estime de la sorte « qu’au-delà de ses vertus pédagogiques, la sonorisation pourrait protéger l’autorité de l’arbitre, car tout ce que diront les (autres) acteurs sera entendu de tous ». Fini les insultes et les attaques en douce. Et surtout, imagine-t-on, l’incompréhension devant telle ou telle sanction ou choix, comme par exemple le but accordé à Kylian Mbappé en finale de la Ligue des nations. L’ancien arbitre Bruno Derrien lui aussi s’en réjouit à l’avance : « Tous les acteurs et téléspectateurs sauront pourquoi l’arbitre a pris telle décision en vertu de telle règle. » Il serait si doux de partager cette illusion si l’histoire, même récente, ne nous enseignait pas l’exact contraire. La VAR n’a évidemment pas clôturé le cycle contestation-sentiment d’injustice-polémique sur les plateaux télé. Sans parler du temps perdu sur le terrain. Cette parole supplémentaire accessible en direct laissera aussi des traces et dopera le plaisir de gloser à l’infini. On imagine mal un Jean-Michel Aulas se calmer simplement parce que désormais il connaîtra les arguments qui ont justifié de refuser un penalty aux Lyonnais. On va simplement épicer les controverses en accroissant le temps de parole de chacun.
Rugbysation du foot
Bien sûr, l’exemple cité systématiquement en modèle s’appelle le rugby. La plupart des dispositifs technologiques qui envahissent le foot y ont souvent déjà fait « leurs preuves » . Seule petite problématique, on calque sur le ballon rond une culture et un rapport à l’arbitre qui n’y existe pas, que l’on s’en désole ou non. L’apparition de la VAR n’a en rien transformé les footballeurs en gentils garçons patientant sagement que l’arbitre se positionne, le doigt sur l’oreillette. Les coups de pression sont quasiment devenus des compétences professionnelles, et les coachs sont sûrement plus nombreux à exiger d’encercler l’arbitre que de le laisser tranquillement trancher. Ces images-là, nous les voyons aussi toutes les semaines et elles relèvent plus de la commedia dell’arte qu’autre chose. Le micro de l’arbitre risque surtout de se transformer en un média supplémentaire, y compris pour des joueurs qui pourront y déposer en direct leur mécontentement ou leur analyse, laisser une trace pour la suite et surtout interpeller le staff, les officiels, voire les supporters. Une fucking disgrace permanente. On doute alors fortement que cet outil – dont on peut comprendre aisément que des arbitres lassés et épuisés finissent par réclamer l’instauration – améliore la situation.
Par Nicolas Kssis-Martov