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Docteur Real, Mister Barça

Par William Pereira
Docteur Real, Mister Barça

FC Barcelone, Real Madrid. Bien contre mal. Dans l'imaginaire collectif, cette affiche devenue un affrontement presque manichéen depuis les premières joutes entre Pep Guardiola et José Mourinho. Mais depuis que ces deux-là ont émigré, la tendance semble avoir changé. Il n'y a plus vraiment de bon camp. Et s'il devait y en avoir un, il semblerait que ce ne soit plus le même.

C’était un 17 août 2011, au Camp Nou. Le FC Barcelone mène 3-2 dans les arrêts de jeu de la finale retour de la Supercoupe d’Espagne. Marcelo se prend pour Guile de Street Fighter et balaye Fàbregas sans la moindre once de pitié. L’Espagnol tombe et se tord de douleur. Le Brésilien lève à peine la tête pour vérifier que le carton est bien rouge, avant de filer. Dans un second temps, une bagarre générale explose. Mesut Özil sort de ses gonds avant d’être expulsé à son tour tandis que José Mourinho s’en prend à Tito Vilanova, lui enfonçant le doigt dans l’œil. David Villa voit aussi rouge, mais c’en est presque anecdotique.

Car ce soir-là, le méchant est madrilène. Il l’est resté longtemps. Irrévérencieux, mauvais perdants, pragmatiques, « bling-bling » et violents, les Merengues défrayent la chronique à chaque Clásico, par opposition au gentil Barcelone, le Barça Unicef, celui du beau jeu, de Messi, de Guardiola (puis de Vilanova), de la Masia. À la tête de cette bande de salopards, un super-vilain : le Portugais José Mourinho. Celui-là même qui se plaint sans cesse de l’arbitrage s’embrouille avec Sergio Ramos, divise le vestiaire du Real et ose mettre sa sainteté Iker sur le banc. Plus le Real devenait noir, plus le Barça paraissait angélique. Et puis, José est parti. Les relations entre frères ennemis se sont normalisées, les Merengues ont commencé à soigner leur communication. Ils ont cessé d’être les méchants. Mieux, ils seraient presque devenus les représentants du bien en ne faisant rien, ou presque. Bref, en 2014, la controverse a changé de camp.

La mauvaise réputation de Suárez et les Bigmagouilles du Barça

Un nom incarne à lui seul le passage du FC Barcelone du côté obscur de la force. Luis Suárez. Suspendu quatre mois pour avoir mordu l’épaule de Chiellini en plein Italie-Uruguay lors de la Coupe du monde et connu pour ses nombreux coups de sang, l’image de l’ex-génie d’Anfield ne collait a priori pas vraiment avec celle de la maison catalane. Pourtant, le Barça a pris le « risque » de ternir une image (même si Suárez n’a rien fait pour le moment) déjà écornée par l’arrivée du Qatar sur l’avant de son maillot au détriment du plus politiquement correct Unicef. Suárez, c’est évidemment la garantie d’avoir un formidable buteur dans son camp plutôt que contre soi, mais c’est aussi une potentielle source de problèmes. Un tel transfert était difficilement concevable il y a quelques années en arrière, quand sous Guardiola les dirigeants du FCB expliquaient que le comportement d’un joueur était quasiment aussi important que ses qualités intrinsèques. Cette idéologie avait d’ailleurs un visage, ou plutôt trois : Xavi, Iniesta et Messi, les meilleurs et les moins turbulents. Encore que, pour le dernier, il se pourrait qu’il ne soit finalement pas aussi sympathique qu’on le dise. Fin août 2013, un mini-scandale éclate au Barça. Le quadruple Ballon d’or aurait le melon et rabaisserait régulièrement les nouveaux arrivants, qu’ils viennent de la Masia ou d’ailleurs. La rumeur désigne Cristian Tello et Alexis Sánchez comme ses victimes favorites.

Pour ne rien arranger, l’Argentin trempe dans une affaire de fraude fiscale avec son père. Les deux hommes sont accusés de se servir de sociétés implantées dans des paradis fiscaux pour éviter de payer des impôts et ne sont pas près de se défaire de la justice, comme en atteste l’échec de leur recours en cour d’appel au début du mois d’octobre. À l’échelle du Barça aussi, l’argent est devenu un problème. Surtout depuis que des informations censées être confidentielles sur le présumé vrai montant du transfert de Neymar ont fuité un peu partout dans les médias brésiliens et espagnols. En l’occurrence, 86,2 millions d’euros au lieu des 57 initialement annoncés. Bigmagouilles, pour eux. Sans parler des dernières révélations sur le contrat juteux de la star brésilienne. Avec un salaire annuel de 8,5 millions d’euros, Neymar pourrait toucher deux millions supplémentaires si le Barça venait à réaliser le doublé championnat-Ligue des champions cette saison. Entre autres, le Brésilien pourra empocher une prime de 500 000 euros en cas de victoire au Ballon d’or. Au terme de son contrat en juin 2018, le Barcelonais aura accumulé entre 52,5 et 62,5 millions d’euros selon la réalisation des primes prévues dans son contrat. Pas d’irrégularités, a priori, mais des sommes qui la foutent mal pour l’anti-Real, celui qui clamait haut et fort ne dépenser que peu d’argent sur le marché des transferts comparé à son ennemi de toujours il n’y a pas si longtemps. Bref, le FC Barcelone a petit à petit changé son image. Et les Merengues en ont profité.

Au Real, pacifisme et beau jeu

Forcément, tous les déboires du rival catalan ont fait et continuent de faire du bien au Real Madrid. Mais si le club le plus titré du monde a redoré son blason, ce n’est pas uniquement par défaut. Plus que le transfert de Neymar, les problèmes fiscaux ou l’instabilité émotionnelle de Suárez, le départ de José Mourinho et l’arrivée de Carlo Ancelotti à sa place ont apporté un vent neuf dans la Maison Blanche. Finis les clans, les disputes à deux sous et les crises d’égo, l’homme au sourcil fou a rapidement fédéré ses troupes et réinstallé un climat joyeux dans la Ciudad Real Madrid. Plus fair-play et moins acide que le Mou en conférence de presse, l’Italien a séduit les médias espagnols hors du terrain, mais aussi à l’intérieur des quatre lignes en faisant jouer son équipe comme rarement ces dernières années. Cette équipe n’a certes pas volé le monopole du beau jeu au Barça, mais elle se soucie autant de la victoire que de la manière de l’atteindre, et c’est déjà beaucoup.

Et puis, il y a le facteur Cristiano Ronaldo. Longtemps jugé arrogant, irritant et égocentrique, le Portugais a effectué un énorme travail sur son image afin de séduire un public toujours plus large. Les larmes sur son visage au moment de se voir remettre son deuxième Ballon d’or, l’apparition de son fils à l’écran quelques secondes plus tard, les réactions chaleureuses envers les supporters qui font irruption sur la pelouse pour le saluer… qu’elles soient spontanées ou montées de toutes pièces, ces scènes vues et revues ont eu un impact positif sur le Real Madrid. L’actuel meilleur buteur de la Liga est une arme redoutable sur le plan de la communication et personne ne l’ignore au club. Encore moins Ancelotti. Luis Enrique veut faire sortir Messi, mais ce dernier n’accepte pas de se faire remplacer ? Carlo Ancelotti en profite pour sortir CR7 à Anfield pour le préserver en vue du Clásico, avant d’adresser une petite pique à son homologue catalan en conférence de presse. « Je n’ai pas demandé à Ronaldo s’il voulait sortir ou non. » Et l’intéressé d’en rajouter une couche : « L’entraîneur n’a pas à me demander quoi que ce soit. D’ailleurs, je pense qu’il a bien fait de me sortir. » Les Merengues ne sont plus dans l’attaque frontale ou dans la punchline, mais dans le sous-entendu. Ils sont devenus sournois, comme l’était Barcelone autrefois. Et c’est sans doute pour ça qu’ils sont passés du « bon côté » . Du moins en apparence. Car dans les faits, ce Clásico n’a rien d’un simple affrontement manichéen.

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