- International
- France
« Après les propos de Varane, les langues vont se délier »
Médecin du sport impliqué dans le sujet des commotions cérébrales, Philippe Malafosse suit régulièrement Raphaël Varane, qui s’est exprimé ce mardi sur le danger du jeu de tête pour la santé des footballeurs de haut niveau. Pas la première alerte, mais l’occasion de refaire un point sur les avancées en la matière.
Quels sont vos liens avec Raphaël Varane ?
J’ai pris en charge Raphaël Varane en 2016, quand il était blessé au Real Madrid. Il était venu me consulter directement au Montpellier Hérault Rugby. Depuis, on se voit généralement à l’intersaison pour faire un bilan complet. Sinon, il me soumet des tests de stabilométrie qu’il effectue à Manchester via une application téléchargée sur son portable. Aujourd’hui, on a moyen de digitaliser les données.
On imagine que sa prise de parole dans L’Équipe, pour alerter sur le danger des commotions cérébrales dans le football, a dû vous satisfaire.
Bien sûr, les langues vont se délier. La communication de Varane a été au-delà de mes espérances : il parle de son vécu, de sa parentalité, et c’est ce qui change. Je suis médecin du sport à la retraite. Je continue à faire de la recherche et à militer avec l’association « Alerte commotion ». On essaye de faire passer le message pour tous les sports présentant des risques de commotions, que ce soit pour les professionnels, mais également pour les amateurs, qui sont souvent abandonnés et pour qui le protocole return to play (RTP), que l’on doit suivre pour revenir à la compétition, n’est que rarement mis en place.
Parfois, les joueurs ne ressentent pas les alertes…
Totalement. Je me suis rendu compte en suivant des joueurs de rugby que lorsqu’il y avait des commotions et que je les réexpertisais, il y avait des altérations visuelles. Par exemple, le temps de réaction et de prise de décision, qui dépend de la rapidité de mouvement des muscles de nos yeux, peut être ralenti à cause d’une commotion. Pour vous donner un ordre d’idée, un sportif de haut niveau va mobiliser ses yeux à 800 degrés par seconde, mais en cas de commotion, cela baisse de moitié. Ce qui fait qu’il a besoin de deux fois plus de temps pour analyser une situation, ce qui va modifier le système postural, proprioceptif, l’exposer à des blessures et atténuer ses performances. Raphaël Varane en parle d’ailleurs : un joueur peut passer à côté d’une rencontre. Lors d’un Liverpool-Manchester, alors qu’il avait été élu homme du match, il m’a détaillé ses symptômes, et j’en ai déduit qu’il souffrait sûrement d’une commotion. Il y a également l’épisode du fameux match face à Manchester City avec le Real Madrid, où il réalise une prestation catastrophique. Et c’est dû à cela. Je l’ai rassuré en disant que ce n’était pas de sa faute et qu’on avait mis le nom Varane sur la feuille de match, mais pas ses capacités visuelles.
Pourquoi le joueur ne prend pas conscience qu’il n’est plus en état de jouer ?
Parce qu’à partir du moment où il a subi une commotion, il n’est plus tout à fait lui-même. Donc ce n’est pas à lui de prendre la décision. Dans ce genre de moment, il est en hyperexcitation, parfois il y a des troubles du comportement, dont le fait de devenir irritable. Le joueur veut forcément revenir sur le terrain. C’est au staff médical de dire non, c’est terminé. Le joueur qui sent des symptômes anormaux qui s’installent doit en parler. Avant, les médecins n’avaient pas les arguments ou le matériel pour connaître exactement la nature de ces maux. Aujourd’hui, notamment avec les tests salivaires et des techniques visuo-cognitives, on peut mesurer précisément les impacts de la commotion. On sait s’il est touché et quand il aura totalement récupéré ses facultés.
Pourquoi c’est si compliqué d’identifier une commotion ?
Les symptômes les plus courants sont un mal de tête, un mal-être, des nausées, des choses qui ne peuvent pas se mesurer. La commotion cérébrale, par définition, c’est un trouble soudain et rapidement résolutif du fonctionnement du cerveau, soit un traumatisme crânien bénin. Mais ce qu’on retient surtout, c’est que c’est bénin. Le problème, c’est qu’il faut avoir une référence antérieure. Si vous me dites : « J’ai une surface de 150 millimètres carrés en stabilométrie », ça ne me dira rien si je ne connais pas votre surface de départ avant la commotion. Dans le rugby, je fais un forcing pour que l’on obtienne ces références sur un maximum de joueurs avant que la saison ne débute. J’analyse la vision et la stabilité. La commotion brutale, à l’instant T, à la suite d’un choc avec un ballon, un coude ou une autre tête, peut donner des conséquences immédiates, mais seulement 10% d’entre elles s’accompagnent d’une perte de connaissance.
Même si la répétition des chocs n’est pas la même, pourquoi existe-t-il une telle différence de prise de conscience entre le rugby et le football ?
Je pense que c’est une question de temps et de timing. Est-ce que le football a les moyens d’accorder 12 minutes à un joueur, qu’il sorte et qu’il soit remplacé de manière temporaire comme dans le rugby et qu’au terme du protocole proposé, il revienne sur le terrain ? Ce n’est pas encore acquis. Le football est en train de réfléchir à cela, mais si on fait sortir un joueur comme Messi, cela a un coût financier à la minute. Il y a des pistes, des projets.
La santé des joueurs, c’est pourtant un sujet crucial, non ?
La performance de l’équipe parle plus aux entraîneurs que la santé des joueurs. Cela m’est déjà arrivé de me faire tomber dessus par un entraîneur : on était dans une spirale négative de défaite, certains joueurs sous-performaient. Je suis allé dans son bureau pour lui dire qu’il fallait étudier spécifiquement ces derniers, et sa réponse a été de hurler : « De toute façon, ce n’est pas tes trucs qui vont faire gagner les matchs ». Du tac au tac, je lui ai répondu : « Ça ne fait pas gagner, mais ça évite d’en perdre. »
Est-ce qu’il y a de nouveaux outils qui permettent de mieux détecter ces commotions ?
Il va falloir que le football se dote d’un système de surveillance médicale. En Top 14 et Pro D2, j’ai été pendant six ans aux bords des terrains de rugby avec une tablette en ayant accès aux six faisceaux d’images de Canal +, ce qui nous permettait d’analyser en temps réel, d’avoir des ralentis, des retours en arrière et, en cas de doute, d’interpeller le cinquième arbitre pour faire sortir un joueur pour commencer un protocole commotion. Après, avec notre travail en lien avec le CNRS et entre autres avec Franck Molina, il y a de nouvelles perspectives, comme le test salivaire.
Concrètement, comment cela serait mis en place ?
On prélève la salive et on l’analyse. Quand le cerveau est commotionné, il libère certains marqueurs dans le sang. Ce n’est pas encore très rapide, 10 à 12 minutes, mais il peut déjà permettre, notamment au niveau des enfants après séance de jeu de tête, de faire de la prévention grâce à des analyses. Si on faisait tous les quinze jours un test salivaire, cela ne serait pas agressif et ça permettrait de se rendre compte ou non du développement de marqueurs biologiques salivaires. En fonction des résultats, on pourrait faire un bilan neurologique chez un spécialiste et intervenir rapidement. Le CRNS est en train de valider la data base. On va faire des tests chez les rugbymen MHR, mais aussi dans d’autres clubs du sud de la France, dont au hockey sur glace. Il y aura aussi la possibilité d’intégrer un casque de réalité virtuelle, qui pourra nous aider à déterminer si un sportif est apte ou pas à reprendre la compétition.
Et ces évolutions, elles sont pour demain ?
Non, j’espère qu’elles seront pour ce soir.
Propos recueillis par Thomas Morlec