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Docteur, j’ai un problème : le football ne me manque pas

Par Théo Denmat
4 minutes
Docteur, j’ai un problème : le football ne me manque pas

Ce devait être un calvaire... Et puis, rien. Ou si peu. Le foot, qui était auparavant aussi important dans la vie que les pâtes dans les lasagnes, a disparu d’un coup, lui et tout ce qu’il traînait dans son sillage. D’où cette réflexion : le problème, finalement, n’est pas qu’il ne soit plus là, mais que son absence n'en pose aucun.

Le constat a frappé récemment, aussi subitement que l’on encaisserait un coup de poing à la rate après dix rounds d’amabilités. C’était à la verticale d’un bol empli à la va-vite de petit-suisse, de sucre blanc et de tranches d’une banane un peu trop mûre pour être dégustée seule. La cuillère à mi-parcours, la bouche entrouverte, les yeux encore hébétés d’une nuit entamée à 3h et conclue sept heures plus tard. Non par envie, mais parce qu’il fallait bien : la radio parlait de Jack London.

Et puis soudain, la pensée est remontée à la surface. Sans toquer à la porte, sans s’annoncer, comme les conclusions du commissaire Adamsberg dans les romans de Fred Vargas : les amis, les bars, sortir plus d’une heure, oui. Mais le foot ? Non, aucun manque. Simple observation. Ça n’était pas teinté de regrets, ça n’était pas dommage, ça n’était même pas une joie. C’était, simplement. Et c’est bien là le problème : si l’absence de quelque chose ne suscite aucune émotion, faut-il en conclure que sa présence non plus ?

LOSC, les disparus

À vrai dire, avant cela, la question ne se posait même pas. Le foot était là sans que personne ne remette jamais en cause sa nécessité, aussi inamovible que les bulletins météo, le stylo noir, les routes en bitume et les téléphones fixes. Pour peu que l’on en soit passionné, il fallait même tout savoir, tout connaître, plonger dans un puits sans fond d’actualité. Et alors que Le Bureau des Légendes et Game of Thrones relâchent leurs épisodes deux par deux chaque semaine, le ballon rond est une série qui diffuse sa 172e saison et qu’il faut binge-watcher quotidiennement pour ne pas être largué. Le problème, c’est que bien souvent, il ressemble à la dernière saison de Lost : on le suit davantage parce qu’il serait bête de s’arrêter après tant d’années que pour les prouesses du scénario.

Les matchs du dimanche soir ? Pas de manque. Ceux du mercredi ? À peine plus. Pierre Ménès non plus, tout comme les avis de Philippe Sanfourche, les interviews de Paga, son rire, les « Il faudra faire mieux en deuxième mi-temps », les polémiques sur la VAR, le Canal Football Club, les coachs agressifs en conférence de presse, ceux qui ne disent rien, ceux qui n’ont pas envie d’être là, les discours guerriers, Rudi Garcia, l’expression « Le génie français », les minutes de bonheur en plus, le sourire de Jean-Michel Aulas, la ville d’Amiens, les rumeurs mercato, le fair-play financier, Gianni Infantino, les polémiques salariales, la récupération politique, Christophe Duarig, les « sources proches du dossier », le compte Instagram de Benzema et la course au Ballon d’or. Non, pas de manque. Ce qui manque, c’est de courir sur une pelouse tondue et qu’un gus envoie une passe en profondeur. Ce qui manque, c’est la bière que l’on tend devant un match, mais pas le match en lui-même. Or ce foot-là est indissociable de celui d’au-dessus, alors tant pis. Tant pis.

Culpabiliser

Avec le recul, l’image que je pouvais me faire de la difficulté à évoluer sans football était bien supérieure à la réalité. Il faut croire que tout est remplaçable. Le départ était dur, et puis peu à peu, le foot a régressé dans la liste des sujets d’importance, derrière la bouffe et la santé, derrière les coiffeurs et les boulangers. Une question est alors sortie du four : suivrais-je plus le foot par habitude que par passion ? Peut-être qu’à force de manger des cerises en janvier et des coupes du monde en hiver, des matchs tous les jours et, quand il n’y en a pas, des émissions pour en parler, un trop-plein s’est installé.

Mais cela implique une sacrée remise en question, alors est venu le besoin d’en parler. De savoir si, oui ou non, c’était anormal. Pour les culpabilisés : à défaut d’être majoritaire, ça n’est pas un sentiment isolé. Le plat principal a perdu pas mal de sa saveur en étant recouvert par une montagne de chantilly, et une belle pause permet de s’en rendre compte. Cela ne veut pas dire que l’on n’aime plus le football, ou qu’on lui tourne le dos. Cela veut simplement dire que l’on vit parfaitement sans. C’est précisément le sujet : il est fort déstabilisant de constater à quel point il est indolore de se séparer de quelque chose d’aussi présent par le passé. Car une rupture amoureuse sans larme ni porte claquée, ça n’existe que dans deux cas de figure : lorsqu’il n’y a pas d’amour, ou lorsqu’il n’y en a plus. Reste à savoir si c’est le football qui pleure tout seul dans sa chambre.

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