- Rétro
- Ce jour-là
- 24 février 1983
Docteur Bilardo au chevet de l’Argentine
Il s'agit peut-être du moment le plus décisif de l'histoire du football argentin. Le 24 février 1983, Carlos «El Narigon» Bilardo est nommé à la tête de l'Albiceleste. Il l'emmènera deux fois en finale du Mondial et reste encore aujourd'hui influent en son sein.
1982. Un vent de déroute souffle sur l’Argentine. Au revers traumatique de la guerre des Malouines a succédé une décevante participation au Mondial. Auréolé du premier titre mondial de l’Albiceleste, le mandat de César Luis Menotti s’est achevé sur une débâcle en Espagne, où la sélection semblait privée de boussole. L’Argentine se sent perdue, abandonnée. Ses héros la quitte : Maradona et Menotti filent en Catalogne. Pour réveiller un pays hébété, la Fédération albiceleste va alors opter pour la thérapie de choc. Au romantique Menotti succède l’obsessionnel Bilardo. Nommé le 24 février 1983, le docteur de formation ne promet pas le grand soir, plutôt du sang, de la sueur et des larmes : « La première chose que je demande au joueur, c’est de la générosité, de la véhémence, qu’il avance fermement son pied sur le ballon, au point d’effrayer la jambe adverse. Pas de trêves, de pardon, de têtes de chien, ou plus justement, je veux onze chiens sur le terrain. » Une profession de foi qui ressemble à s’y méprendre à une déclaration de guerre.
Le 3-5-2, « l’ultime nouveauté tactique du XXe siècle »
Le choix de Bilardo ne fait pas vraiment débat en Argentine. Au moment de sa nomination, il vient de donner aux Estudiantes de la Plata le deuxième titre national de son histoire. Un exploit pour un club au portefeuilles bien plus maigre que ceux de Boca ou River, mais au riche palmarès international : trois Libertadores (1968, 1969, 1970) et une Intercontinentale arrachée à Old Trafford face au grand Manchester United de Best et Charlton. Bilardo n’est pas étranger à ces succès. Sur le terrain, ce milieu de terrain dur au mal faisait office de principal relais d’Osvaldo Zubeldia, un entraîneur qui révolutionne le football argentin. Considéré par ces critiques comme un apôtre de l’anti-football, Zubeldia constitue un modèle pour Bilardo. Ce rat de laboratoire fascine le docteur. El Narigon (gros nez) s’est notamment inspiré de sa préparation minutieuse des rencontres – des combinaisons sur coups de pied arrêtés aux stratégies pour gagner quelques secondes – et de sa recherche permanente de nouveaux recours tactiques. Au cours de son mandat à la tête de l’Abiceleste, Bilardo assure avoir inventé le 3-5-2, « l’ultime nouveauté tactique du XXe siècle » , selon lui. Un système qui transforme une sélection laborieuse en un redoutable ensemble à la veille de la Coupe du monde 1986.
Crise cardiaque et gros nez
Quand Bilardo prend en main l’Argentine, il vient de perdre son père footballistique. Zubeldia est décédé d’une crise cardiaque le 17 janvier 1982, dans les rues de Medellin. Bilardo vient alors de quitter le pays cafetero qu’il a échoué à qualifier pour le Mondial espagnol. El Narigon a été nommé à la tête de la sélection colombienne en 1979 après avoir emmené le Deportivo Cali en finale de la Libertadores, autre de ses grands mérites. Pour l’Argentine, Bilardo restera à jamais celui qui a su mettre Maradona dans les meilleures dispositions possibles pour remporter un Mondial, puis accéder à une deuxième finale de rang (1990). Tout au long de son septennat (1983-1990), El Narigon ne fait pourtant pas l’unanimité. En cause : des résultats en dents de scie. Mais malgré des débuts laborieux et des Copa América perpétuellement manquées, Bilardo peut compter sur l’appui de Julio Grondona, l’indéboulonnable président de la Fédération. Aujourd’hui encore, ce soutien indéfectible fait du septuagénaire Bilardo un coordinateur des sélections argentines, dont la A est dirigée par Alejandro Sabella, autre rejeton des Estudiantes de la Plata. À presque 75 ans, le gros nez de Bilardo reste toujours bien placé au cœur de l’organigramme du football argentin. Le vent finit toujours par tourner dans le sens d’El Narigon.
Par Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin