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Dmytro Riznyk : « Le football n’est plus ma priorité »
Devenu gardien numéro 1 du Shakhtar après le départ d'Anatoliy Trubin et la retraite d'Andriy Pyatov, Dmytro Riznyk, 24 ans, raconte son quotidien au milieu de la guerre, la perte de son frère sur le front et sa carrière de jeune footballeur devenue secondaire.
Vous étiez vraiment très proches d’égaliser lors du match aller (score final 2-1 pour le Barça). Là, pour le match retour « à la maison », même si le FC Barcelone a récupéré plusieurs blessés comme Robert Lewandowski ou João Félix, vous espérez créer la surprise ?
Le Shakhtar est un club qui veut gagner chaque match. Nous voulions les battre à Barcelone et nous allons essayer de les battre à Hambourg. Nous n’avons pas peur, même s’il y a Lewandowski ou Félix. J’ai juste du respect pour ces joueurs, c’est un grand challenge de les affronter, notamment pour moi, en tant que jeune gardien.
L’année dernière, le Shakhtar jouait ses matchs de Coupe d’Europe à Varsovie, cette saison c’est à Hambourg. Vous vous êtes habitués à jouer vos matchs loin de chez vous ?
Tout le monde connaît notre situation, nous sommes en guerre. C’est très difficile. Depuis 2014, le Shakhtar joue chaque saison en changeant de résidence, à Lviv, à Kyiv. On ne s’habitue pas vraiment à jouer loin de l’Ukraine, et ce serait vraiment mieux si nous n’avions pas à faire 11 heures de voyage pour jouer « chez nous ». Mais la situation est ainsi, et nous devons l’accepter.
Le Shakhtar joue ses matchs en Ukraine entre Lviv et Kyiv, loin du front. Vous arrivez à oublier la guerre parfois ?
La vie est beaucoup plus calme là-bas. On se sent presque « en paix » à Kyiv maintenant, grâce au travail de notre armée. Mais ce décalage est difficile à vivre. Parfois, il y a des sirènes, tu ne comprends pas vraiment ce qu’il se passe. On ne sait jamais ce qui peut arriver ensuite, si nous allons pouvoir jouer au foot ou si nous allons devoir nous cacher dans des bunkers. Mais même si on est loin du front, c’est impossible d’oublier la guerre. On y pense tous les jours.
Tu as été particulièrement touché par cette guerre cet été, lorsque ton frère de 33 ans est mort au front après l’explosion d’une mine…
Mon frère s’était porté volontaire. C’était son choix. À partir de là, nous savions tous ce qui pouvait arriver… Mais ça a été très dur pour moi de le perdre, pour ma famille. Aujourd’hui, je dois aller de l’avant, je ne peux pas rester bloqué. Je dois travailler encore plus dur et gagner de l’argent pour le reste de ma famille. Sans moi, il n’y a pas d’avenir. Jouer pour lui aujourd’hui me motive, je prie pour lui avant d’entrer sur le terrain, et de là où il est, il m’aide, c’est sûr.
Est-ce que toi aussi, tu as été tenté d’aller te battre ?
J’y ai pensé, oui. (Il s’arrête et passe sa main sous son œil.) Mais c’était un choix difficile. Si je n’avais pas ma famille, peut-être que… D’autant plus maintenant, vu la situation du pays, j’aurais eu du mal à renoncer. Mais j’ai un fils et une femme, et il faut que je prenne soin d’eux. Ma vie est finalement très liée à la guerre malgré tout, puisque mon fils qui va fêter ses deux ans est né le 24 février 2022. Le jour même du début de l’invasion russe sur toute l’Ukraine.
Jouer pour l’Ukraine et le Shakhtar, c’est un peu ta façon à toi de te battre…
Oui, totalement. Nous défendons notre pays, nous défendons les couleurs de notre drapeau. Nous essayons d’apporter des émotions positives à notre peuple. C’est aussi une façon de rappeler que l’Ukraine existe à toute l’Europe.
La guerre en Ukraine est un peu passée au second plan en Europe, comme si on s’était habitué à ce conflit. Est-ce que vous le ressentez aussi ?
En général, une guerre c’est très mal, donc on ne peut pas s’habituer à ça. Mais aujourd’hui, on se sent toujours soutenus et on espère que ce soutien va continuer. Je voudrais dire que nous sommes très reconnaissants de ce qui a déjà été fait pour notre pays. De la part d’autres pays et de la France. Nous voulons dire merci beaucoup pour ce soutien. Mais nous ne nous battons pas seulement pour l’Ukraine, nous nous battons pour l’Europe. Quand vous soutenez l’Ukraine, vous soutenez aussi toute l’Union européenne. Plus vous aiderez l’Ukraine, moins cette guerre sera dangereuse et risquée. C’est une question d’unité.
Il y a beaucoup de joueurs étrangers qui sont arrivés au club cet été, souvent très jeunes. Qu’est-ce que vous leur conseillez ? Vous faites un genre de tuto survie dans un pays en guerre ?
C’est quelque chose d’assez personnel, on n’en parle pas trop entre nous. Quand ils arrivent, bien sûr qu’ils ont peur ! Mais comme nous, ils finissent par s’habituer à ça. Par exemple, Stav Lemkin, qui est israélien et a rejoint l’équipe récemment, m’a dit que la situation à Kyiv était très similaire à celle de Tel Aviv. Il sait donc comment se comporter. Ce n’est pas quelque chose de nouveau pour lui. On passe énormément de temps ensemble. Nous voyageons ensemble, dormons ensemble dans des hôtels à Lviv ou à Kyiv… Cela permet d’être moins inquiet. Par exemple, le nouvel entraîneur Marino Pušić m’a dit qu’il allait loger à l’hôtel pendant le premier mois, parce qu’il a l’impression que c’est un endroit plus sûr. Et le club nous aide beaucoup, on traverse ces épreuves tous ensemble.
Tu as été recruté l’hiver dernier pour remplacer Pyatov et Trubin. Ce n’était pas trop de pression ?
C’était très facile. Gardien, c’est mon métier, et on est toujours habitués à jouer avec de la pression depuis tout petit. Quand je suis arrivé, Trubin et Pyatov m’ont donné pas mal de conseils, ils ont été très sympas avec moi. Aujourd’hui, Pyatov est aussi mon coach (il a pris sa retraite cet été, mais est resté dans le staff, NDLR), donc il me facilite forcément les choses.
Quand on a 24 ans et qu’on joue dans un pays en guerre, de quoi rêve-t-on ?
Je n’ai qu’un seul rêve : que la guerre prenne fin. Je veux que l’Ukraine se développe et je veux vivre dans un pays sûr. Je veux que l’Ukraine fasse partie de l’Europe, qu’elle soit utile à l’Europe. Aujourd’hui, le football n’est vraiment plus ma priorité.
Propos recueillis par Anna Carreau, à Hambourg
Merci à Yurii Sviridov pour l'aide à la traduction.